N°14 | Guerre et opinion publique

Martin Klotz

Afghanistan : un cas concret de communication institutionnelle

« Une semaine après le début des frappes aériennes sur l’Afghanistan, le 7 octobre 2001, trois enquêtes permettaient de constater que l’opinion publique française approuvait très largement le passage à la phase militaire de la crise ouverte le 11 septembre avec les attentats terroristes de New York et Washington » (Armées d’aujourd’hui n° 265, novembre 2001). Sept ans plus tard, en 2008, le baromètre Les Français et la défense montrait que les Français n’associent déjà plus la « prévention des conflits et des menaces », à laquelle ils étaient toujours favorables, aux opérations extérieures (opex) menées par les armées, pour lesquelles leur adhésion était en baisse. En 2010, l’opinion des Français en faveur des forces armées reste largement positive, mais clairement dissociée du niveau de leur adhésion à l’engagement militaire en Afghanistan.

En outre, l’embuscade d’Uzbeen des 18 et 19 août 2008, au cours de laquelle dix soldats français ont trouvé la mort, marque un tournant dans le traitement médiatique de cette opération extérieure. Peu relayé par la presse grand public et d’opinion depuis le début du conflit, le sujet de l’engagement des forces en Afghanistan est soudain venu nourrir toutes sortes de débats et de polémiques dans les milieux politiques et journalistiques. La vague de critiques a alors trouvé un écho favorable auprès du public et engendré une baisse supplémentaire de l’adhésion des Français à cette opération. À ce jour, la courbe de l’opinion n’est pas remontée. Elle s’est toutefois stabilisée.

  • Opinion et communication globale

Le conflit afghan est un sujet complexe dont le contexte est très mal connu des Français. C’est une opération lointaine qui nécessite une communication globale de la part du ministère, d’autant plus que nous sommes désormais confrontés à une habile utilisation de la communication par l’adversaire, qui cherche ainsi à affaiblir l’adhésion des Français à l’engagement des armées. En effet, il n’y a pas de soutien stable à une intervention militaire qui ne s’appuie pas sur une bonne compréhension par l’opinion publique.

Pour se faire leur propre opinion, les Français ont des attentes qu’il faut cerner (besoin d’information, de pédagogie, de témoignages, désir de proximité avec les événements) afin de pouvoir leur apporter des réponses. Pour cela, l’institution utilise divers canaux : allocutions des ministres concernés dans les médias et au Parlement ; voyages de presse au sein des unités déployées sur le théâtre d’opérations ; reportages de terrain ; mise à disposition pour les médias français et étrangers d’images (photos et vidéos) réalisées par l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ecpad) ; rédaction de tribunes par des autorités civiles et militaires dans la presse écrite ; disponibilité des porte-parole de l’état-major des armées et de la Défense ; mise à disposition de moyens matériels et humains pour la sécurité et l’information des journalistes sur le théâtre d’opérations.

Par ailleurs, et pour la première fois dans l’histoire récente, des actions de communication encore plus proactives sont mises en œuvre, comme la création d’outils et de supports à la communication dédiée (dépliants, argumentaires ou encore plaquettes d’information globale synthétiques et factuelles à destination des élus et des médias).

Elles sont organisées autour de thèmes prioritaires : les objectifs de la présence militaire française au sein de la coalition ; le processus de transfert de responsabilité aux Afghans afin que cet engagement ait une issue ; la reconstruction ; les spécificités de l’action militaire française, en particulier le contact avec les populations locales et la prévention des dégâts collatéraux par une action au sol aux côtés des soldats afghans, afin de délégitimer les insurgés ; la contribution à la formation de l’armée afghane, action largement approuvée par l’opinion publique française ; l’entraînement et la préparation des forces en vue de leur projection ; les efforts d’équipement et de soutien de nos soldats ainsi que l’accompagnement des blessés et des familles des victimes dans la durée, les Français étant très attentifs à ce dernier thème.

La conception de véritables orientations stratégiques de communication est apparue indispensable tout comme la nécessité de conduire ce travail en interministériel, et ce à partir d’observations majeures. Tout d’abord, le fait qu’il existe une corrélation entre le manque d’adhésion de la majorité des Français à l’engagement militaire en Afghanistan et leur méconnaissance des aspects civils de l’investissement de notre nation dans ce pays (actions des ong, de l’Agence française pour le développement…). Ensuite, le fait que la coalition soit perçue comme une armée d’occupation par une partie de l’opinion publique occidentale à cause de son ignorance de la pleine participation des Afghans aux opérations civiles et militaires de l’alliance sur le terrain, mais aussi de sa méconnaissance du processus de transfert des responsabilités aux Afghans.

La première mesure mise en œuvre fut la réalisation d’un argumentaire interministériel complet. Ce document d’une vingtaine de pages s’adresse au réseau diplomatique et de défense, en particulier aux attachés militaires français en poste à l’étranger, et a vocation à être relayé par nos ambassades. Il est régulièrement actualisé et diffusé par messagerie électronique. Il s’agit d’un véritable argumentaire, c’est-à-dire d’un outil permettant aux attachés de défense et aux diplomates de préparer d’éventuelles interviews ou conférences de presse lorsqu’ils sont interrogés sur le rôle de la France en Afghanistan. La réalisation d’un tel document s’insère dans l’effort de pédagogie jugé nécessaire.

  • Informer plus que séduire : un exemple concret

C’est dans cette perspective que la création d’une plaquette a été décidée dès le début de l’année 2009. Son but : montrer l’approche globale de l’engagement de la France. Il s’agissait de réaliser un produit le plus sobre possible et exploitable sur la durée en éveillant l’attention du lecteur sans tomber dans la propagande ou l’autosatisfaction. Cette plaquette illustrée et informative a donné à ses lecteurs des renseignements factuels dans les trois domaines d’intervention de la France en Afghanistan : action diplomatique, engagement militaire et aide à la reconstruction.

L’objectif était également de replacer l’investissement de la France dans le contexte international en donnant un aperçu factuel et thématique des actions déjà réalisées par l’ensemble des alliés. Cette partie du dépliant intitulée « Les progrès accomplis depuis 2001 » permet de montrer la diversité des domaines dans lesquels la communauté internationale aide les Afghans : gouvernance, droits de l’homme, santé, éducation, infrastructures, développement économique, liberté d’expression… À l’ensemble de ces domaines sont associées des actions très concrètes qu’il était important d’exposer afin de montrer que l’action militaire n’est pas la seule raison d’être de l’engagement français mais bien l’un des moyens permettant aux Afghans d’accomplir des progrès importants, le but ultime étant que ceux-ci s’approprient pleinement leur responsabilité.

Le volet destiné à introduire le document répond simplement à la question qui fait titre : « Pourquoi la France s’engage ». Les arguments sont développés au sein de quatre raisons majeures : « par respect pour ses engagements internationaux, ses responsabilités et ses valeurs » ; « pour combattre le terrorisme » ; « pour contribuer à la reconstruction et au développement » ; « par fidélité à une longue histoire d’amitié et de solidarité avec le peuple afghan ».

Ce document a été diffusé à quatre cent cinquante mille exemplaires ciblant les catégories socioprofessionnelles supérieures, les élus locaux et nationaux, les hauts fonctionnaires, les réseaux de diplomatie et de défense comprenant les unités militaires engagées sur le terrain et, enfin, l’ensemble des ministres du gouvernement. En effet, une lettre d’accompagnement du dépliant, sous double timbre, signée du ministre des Affaires étrangères et européennes et du ministre de la Défense leur a été adressée ainsi qu’aux parlementaires.

Au vu du succès remporté par ce produit de communication jugé d’utilité publique par de nombreux lecteurs, il a également été distribué aux journalistes et traduit en six langues (anglais, russe, allemand, arabe, espagnol, dari), de manière à permettre une diffusion internationale relayée par nos ambassades.

Le général américain McChrystal, qui commande les forces de l’otan en Afghanistan, soulignait récemment le besoin croissant de communication. Cette plaquette répond à cette nécessité en décrivant les champs d’action de l’intervention et les succès qu’elle engendre tout en soulignant le caractère international des opérations. Ce document illustre donc également la solidarité avec les alliés. En affichant l’unité de la coalition et en s’inscrivant dans une démarche d’information proactive, la France s’aligne ainsi sur les meilleurs standards de la communication définie avec ses alliés. Au sein de l’otan, on parle désormais de Reputation War. Il s’agit de contrer l’élan de l’insurrection et le discours des extrémistes par l’accroissement de la production média apportant les preuves des progrès accomplis. 

Partir en guerre ou s’abstenir... | N. La Balme
J. de Rohan | Le Parlement, enceinte légitim...