N°17 | Hommes et femmes, frères d’armes ?

Eugène Carrias
La Pensée militaire allemande
Paris, Economica, 2010
Eugène Carrias, La Pensée militaire allemande, Economica

Cet ouvrage a été écrit dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, point culminant d’un antagonisme entre les nations française et allemande remontant à la rivalité entre les rois francs et les empereurs du Saint Empire romain germanique, en passant, plus récemment, par la guerre de 1870-1871 et la Grande Guerre. L’auteur, Eugène Carrias, breveté d’état-major, a vécu les deux conflits mondiaux. Il a publié plusieurs études, notamment dans l’entre-deux-guerres, et présente ici une synthèse très complète de la pensée militaire allemande.

Bien que développé dans un ordre chronologique, cet ouvrage n’est pas une simple histoire de la pensée militaire allemande. Il s’agit de réellement comprendre celle-ci, ce qui semblait avoir fait défaut au moment où l’auteur écrit : comprendre comment pensent les militaires allemands pour arriver à déterminer ce qu’ils préparent, à une époque où l’on ne peut deviner qu’il n’y aura plus de conflit entre les deux nations. De ce fait, Eugène Carrias ne se contente pas d’exposer ce qu’est la pensée militaire allemande, mais il scrute sa genèse, ses avancées, ses reculs. Il montre comment elle opère, comment elle se construit dans le mental. Il élargit son champ de recherche à l’éducation, à la culture, à ce qui imprègne les officiers supérieurs.

Tout au long de cette recherche, l’auteur met en avant deux piliers essentiels de la stratégie militaire allemande, qui ont donné à l’officier allemand une compétence exceptionnelle : l’esprit d’offensive ainsi que le sens de l’indépendance et de l’autonomie des officiers dans l’exécution des ordres de leurs supérieurs, le fameux Auftragstaktik (le commandement fixant le but à atteindre et les contraintes, l’officier décidant de la meilleure façon de procéder).

L’ouvrage s’articule autour de quatre parties :

– la première est relative à la naissance de la pensée militaire allemande : la mise au point d’un système performant sous Frédéric II et l’instauration de la réforme militaire prussienne après la défaite de Iéna par Scharnhorst et Gneisenau (véritable point de départ d’une nouvelle phase de l’art de la guerre en rendant au chef ses responsabilités et son initiative, et établissant une doctrine sur la base de l’armée nationale) en sont les deux étapes majeures ;

– la deuxième traite de la consolidation de l’œuvre de Scharnhorst par Boyen et Clausewitz, qui ne fut pas chose aisée, la lutte contre le dogmatisme des admirateurs de l’ancienne armée durant plus d’un demi-siècle ;

– la troisième montre l’évolution de la pensée militaire allemande moderne jusqu’en 1914, avec un effort incessant de développement et d’adaptation, rendu nécessaire malgré les victoires de 1866 et 1870 par la politique pangermaniste de l’Allemagne. Moltke, par son œuvre doctrinale et le développement d’une méthode de commandement original et dynamique, puis Schlieffen, avec le développement de l’idée d’anéantissement de l’ennemi, en sont les points clés ;

– la dernière, enfin, nous emmène vers la solution de guerre totale rendue nécessaire par le développement de la Première Guerre mondiale, et reprise à son compte par le parti national socialiste et sa politique d’expansion.

Au final, l’auteur conclut sur l’originalité de l’œuvre de la pensée militaire allemande qui a donné au problème de la guerre une solution intellectuelle personnelle, refusant principes et solutions a priori : le chef agit par lui-même grâce à son instruction, à son expérience, à son intelligence et à son caractère. Il montre aussi la nécessité de s’adapter perpétuellement aux conditions toujours nouvelles. Cette pensée a produit une efficacité tactique redoutable et a contribué à la supériorité militaire de l’Allemagne, qui lui aurait donné la victoire si elle n’avait eu à lutter contre le nombre.

Cette synthèse peut sembler quelque peu obsolète aujourd’hui, alors que tout conflit entre la France et l’Allemagne est écarté. Elle reste d’actualité cependant car la pensée militaire allemande continue à influencer directement la pensée militaire moderne. Son style de commandement a été généralisé dans la plupart des armées occidentales.

Gilles Tognini

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