N°16 | Que sont les héros devenus ?

L. Capdevila, F. Rouquet, F. Virgili, D. Voldman
Sexes, genre et guerres
France, 1914-1945
Paris, Payot, 2010
L. Capdevila, F. Rouquet, F. Virgili, D. Voldman, Sexes, genre et guerres, Payot

Réédition revue, corrigée et actualisée d’un ouvrage publié en 2003, Sexes, genre et guerres [France 1914-1945] aborde un thème de plus en plus populaire mais trop sujet aux lieux communs : les rôles sociaux des hommes et des femmes. Il en compare l’évolution au cours des deux conflits mondiaux et des années qui les ont séparés.

Son introduction didactique expose quelques grandes catégories d’analyse : entre autres, le concept de « genre », celui de nation, celui de classe ou groupes sociaux. Elle permet aux auteurs de définir leur champ d’investigation : il s’agira de l’écart qui peut s’opérer entre valeurs déclarées et valeurs vécues – entre le dire et le faire – dans un contexte culturel où les hommes sont expressément assignés à la guerre et les femmes à la maternité.

À partir de là, l’ouvrage développe une histoire culturelle adossée à l’examen de l’évolution des dispositions réglementaires et des pratiques de guerre. Dans la première partie sont retracées les différentes formes de mobilisation des hommes et des femmes dans les branches industrielle, militaire et hospitalière du marché du travail en temps de guerre (1914-1918 et 1939-1945).

La deuxième partie est consacrée à l’action de l’État dans le domaine des mœurs et de la sexualité. La guerre engendre aussi une désorganisation profonde du cercle des intimes et de l’intimité ; elle transforme la régulation des pratiques sexuelles et des alliances familiales en « affaire d’État ». Les auteurs décrivent ainsi la palette de dispositifs à laquelle la sexualité fut soumise à la période considérée, depuis une codification culturelle et légale plus stricte du rôle des hommes et des femmes jusqu’aux aménagements administratifs en faveur des familles (par exemple, le système de permissions des soldats ou la reconnaissance des enfants illégitimes), en passant par les mesures prophylactiques.

Dans la troisième partie, les rapports sociaux de sexe sont considérés « à l’épreuve du feu ». C’est là que les phénomènes de brouillage identitaire apparaissent dans toute leur complexité : hommes déchus et femmes héroïques, traumatisés et insoumis, virilité blessée et cruauté féminine s’entrecroisent dans un contexte où la transformation de la pratique guerrière, notamment le bombardement, en vint à placer tout le monde sur un pied d’égalité.

Globalement, les auteurs adoptent une position nuancée par rapport à une hypothèse qui est trop souvent tenue, dans le discours ordinaire ou universitaire, pour avérée : le rôle positif, voire moteur, des guerres du xxe siècle dans le processus d’émancipation des femmes. Sans que la thèse inverse puisse non plus être soutenue, les évolutions examinées font apparaître les guerres comme le catalyseur de tendances préexistantes, dans le domaine des rapports sociaux de sexe comme dans d’autres, et non pas comme leur cause.

Ce livre est donc intéressant par son amplitude et son accessibilité : des terrains désormais bien défrichés par l’historiographie contemporaine sont exposés au grand public, dans un style et un format (de poche, avec illustrations) qui en feront un bon compagnon de voyage dans le temps.


14-18. Les Refus de la guerre | André Loez
Roger Cadot | Souvenirs d’un combattant