N°32 | Le soldat augmenté ?

Michel Jacquet
Guerre d’Algérie : la dernière séance
Avon-les-Roches, Anovi, 2015
Michel Jacquet, Guerre d’Algérie : la dernière séance, Anovi

Spécialiste de l’histoire du cinéma, Michel Jacquet nous propose aujourd’hui un petit livre intéressant sur les représentations de la guerre d’Algérie dans le septième art. Il s’interroge d’abord sur les « rapports compliqués » entre la guerre d’Algérie et le cinéma, cette guerre « représentant de manière caractéristique le type de sujet hypersensible auquel le cinéma ne pouvait envisager de s’attaquer qu’avec la plus grande circonspection ». En constatant les oppositions toujours vives entre les différentes mémoires, il défend également les diverses prises de position des réalisateurs avec cette observation : « Pourquoi exigerait-on du cinéma ce que l’histoire ne parvient pas à mettre en place ? » En dépit d’une production finalement assez nombreuse, « seul Yves Boisset, en 1973, avec RAS, a pu se targuer d’avoir obtenu un franc succès commercial pour un film exclusivement consacré à la guerre d’Algérie ». Le plus souvent, il s’agit en fait d’une approche ponctuelle, voire d’une évocation éloignée ou d’une simple allusion aux opérations de guerre dans des films qui traitent d’un tout autre sujet, par exemple dans le cadre de portraits intimistes ou de références à des tranches de vie. Après une première époque au début des années 1970, ce sont bien deux œuvres très différentes, L’Honneur d’un capitaine et La Question, qui marquent la filmographie. À l’occasion, la responsabilité première des politiques n’est pas évacuée, avec des militaires « contraints de ramasser les poubelles de la République, livrés au sentiment d’abandon et au goût amer d’une double trahison ». Il y a ensuite la longue liste des films évoquant, de façon très différente, les pieds noirs, plus tard Dupont Lajoie et les innombrables représentations des Algériens sur le sol de France, jusqu’à Avoir vingt ans dans les Aurès et Indigènes, par exemple. Après avoir souligné que certains réalisateurs s’engagent au titre de leurs convictions politiques personnelles, Michel Jacquet en vient aux diffusions les plus récentes, de La Trahison à Mon colonel et L’Ennemi intime, pour constater que « les non-dits et les tabous sont toujours nombreux sur les deux rives de la Méditerranée ». Il reconnaît que le poids intellectuel et social des idées dominantes interdit d’aborder d’autres aspects : « Qui, aujourd’hui, oserait s’attarder suffisamment sur la brutalisation du conflit pourtant revendiquée par les caciques du fln pour rendre irréversible la fracture entre les communautés ? » Complété par deux index, voilà un petit ouvrage qui mérite d’être connu bien au-delà du seul cercle des cinéphiles.

PTE

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