N°19 | Le sport et la guerre

Armel Huet

Éditorial

L’histoire montre que toutes les sociétés ont institué des compétitions sportives comme des moments et des espaces d’affrontements pacifiés, interdisant la mort comme issue possible ou nécessaire (ainsi dans les jeux olympiques de la civilisation hellénique), ou l’autorisant et l’ordonnant dans le cadre d’enceintes réservée aux spectacles violents, comme les jeux du cirque chez les Romains, ou à l’occasion d’événements rituels comme dans les civilisations amérindiennes ou africaines. Dans les sociétés contemporaines, les compétitions sportives, instituées tout d’abord dans les pays occidentaux, se sont étendues et généralisés à l’échelle de la planète. Faut-il considérer ces compétitions comme les formes d’une transfiguration pacifique de la guerre, capables de juguler et de réguler les inévitables conflits constitutifs de l’histoire ?

Qu’apprend-on alors de l’histoire, notamment de l’histoire récente, des relations entre le sport et la guerre ? Le sport compétition, par les affrontements qu’il provoque entre adversaires déterminés à dominer et à vaincre l’autre, n’est-il qu’une manière de faire la guerre autrement, comme le soutient Georges Orwell dans une formule radicale : « Pratiqué avec sérieux, le sport n’a rien à voir avec le fair-play. Il déborde de jalousie haineuse, de bestialité, du mépris de toute règle, de plaisir sadique et de violence, en d’autres mots, c’est la guerre les fusils en moins » ? Le sport serait-il alors de même nature que la guerre ? En aurait-il les mêmes raisons et les mêmes finalités ? En porterait-il, sous des formes atténuées, les mêmes déchainements possibles ? Mais s’interdisant la mort comme issue possible et nécessaire de l’affrontement, constituerait-il alors un moyen privilégié d’éviter les conflits, d’instaurer les moments de trêve favorisant la paix.

D’un autre côté, l’histoire nous montre aussi que la préparation des guerriers a toujours nécessité, certes sous des formes différentes, le « dressage » des corps par des activités physiques et aujourd’hui par la pratique régulière du sport. Comment en effet des combattants peuvent-ils subir des affrontements éprouvants et violents sans pratique régulière d’activités sportives forgeant les aptitudes corporelles, mais tout autant les capacités de résistance et d’endurance de la personne dans un environnement hostile ?

Par ailleurs, comment la guerre a-t-elle participé à freiner et/ou à accélérer la diffusion et le développement du sport ? Comment et avec quelles conséquences le sport a-t-il investi l’espace des conflits ? Quels enjeux politiques, idéologiques, géoculturels recouvre l’utilisation du sport et de ses champions dans les nouvelles formes d’affrontement qui surgissent au xxe siècle ? Quelles places occupent, dans la régulation des tensions internationales, de grandes compétitions sportives comme les Jeux olympiques, les coupes mondiales et continentales de football, de handball… les grandes manifestations sportives et les institutions internationales qui les gèrent (cio, fifa...) ? La participation aux compétitions internationales devient un enjeu stratégique. Les vaincus de la Grande Guerre sont exclus de la scène sportive pendant que les vainqueurs célèbrent ensemble leur victoire au cour des Jeux interalliés. Le conflit latent entre les deux blocs est et ouest a largement participé à amplifier l’importance du sport dans les rapports de force internationaux et les enjeux géopolitiques. Au cours de la guerre froide, des années 1940 aux années 1980, la scène sportive est devenue un espace d’affrontements entre puissances par champions interposés.

Plus généralement aujourd’hui, le sport ne reste-t-il pas une « arme » entre les mains de la « communauté internationale », permettant aux nations de peser dans un sens ou dans un autre sur les tensions du monde. Ainsi participe-t-il d’ores et déjà à engendrer de nouveaux modes de gouvernance internationale ? Avec quels résultats ? Le sport se substituerait-t-il à la guerre ? Les affrontements régulés que les pratiques des sports de compétition imposent engendrent-ils, dans le contexte des conflits latents ou violents entre des nations, des groupes sociaux, d’autres formes de relations, fondées sur le respect et même l’estime de l’adversaire. Ne voit-on pas, à l’issue de compétition, des sportifs de nations en conflits se serrer la main ou se jeter dans les bras de leurs adversaires vainqueurs ou vaincus ? Le sport apprendrait-il à l’homme à surmonter sa peur de l’autre pour se réconcilier et être heureux avec lui ? Si la peur de l’autre est aux sources de la guerre, comme l’a démontré magistralement le théologien Eugen Drewermann dans La Spirale de la peur1, Albert Camus aurait-il raison de penser qu’en fin de compte le sport rend l’homme heureux au point de le conduire à rejeter la guerre ? Le sport sublimerait-il alors la peur de la mort, que tout guerrier peut avoir, mais qu’il a choisi d’accepter ?

La guerre produit ses héros connus ou discrets. La formation des guerriers produit aussi de grands sportifs, dont certains sont tombés au combat2. Le bataillon de Joinville créé en 1956, dans le prolongement de l’École normale militaire de gymnastique de Joinville3, aura formé environ vingt et un mille sportifs de haut niveau, dont de nombreux médaillés olympiques. Dans bon nombre de pays, de nombreux sportifs sont issus des armées.

Ainsi, les relations entre le sport et la guerre soulèvent des questions fondamentales et conjoncturelles sur la guerre et la paix, sur les équilibres géopolitiques, sur les pratiques sportives dans le monde militaire et sur les théâtres opérationnels, sur les sportifs dans la guerre, et bien d’autres thèmes.

Étendre et actualiser les recherches sur ces relations étaient les objectifs du colloque international « Le sport et la guerre. xixe-xxe siècle », qui s’est tenu aux écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan du 28 au 30 octobre 2010 et auquel était associée la revue Inflexions. Ce colloque constituait le 14e carrefour de l’histoire du sport. Son organisateur, Luc Robène4, membre du lares5, partenaire scientifique depuis vingt ans des écoles de Saint-Cyr, a proposé un programme scientifique construit autour de questions majeures posées par les relations entre le sport et la guerre : le sport comme mode de gouvernance internationale ; le sport comme prolongement de la guerre/la guerre comme prolongement du sport ; le sport, le monde militaire et la guerre ; le sport dans la guerre ; sportifs et sportives dans la guerre…

Environ soixante-dix communications, auxquelles il faut ajouter six conférences, ont examiné ces questions et en ont soulevé de nouvelles. Pour traiter ce vaste champ des relations entre le sport et la guerre, les historiens du sport ont ouvert leur rencontre aux militaires afin que ceux-ci puissent confronter leurs expériences et leurs réflexions à celles des disciplines académiques (sciences des activités physiques et sportives, sociologie, anthropologie, philosophie…) intervenant dans ce colloque6.

Dans son article « Comparer l’incomparable », Luc Robène expose les difficultés de l’analyse scientifique engendrées par la diversité des approches, qui doivent pourtant rendre compte de la complexité des enjeux des relations entre le sport et la guerre. Et le texte d’Arnaud Waquet, « 1918, football en guerre, football des campagnes », nous plonge au cœur de ces relations. Ce rôle du football pratiqué dans les villages des territoires en guerre avec le soutien et l’influence des Tommies est aujourd’hui totalement ignoré par le monde du football. Il a été jusqu’ici peu mis en avant pour éclairer les relations imprévues entre le sport et la guerre, et notamment pour configurer l’image du soldat sportif, qui s’impose tout au long du xxe siècle.

Le comité de rédaction de la revue Inflexions a tenu à poursuivre dans sa propre perspective éditoriale cette réflexion sur le sport et la guerre, en reprenant certaines communications de ce colloque, et en y ajoutant de nouveaux regards et témoignages. Il fallait en effet recueillir ceux des personnages qui ont marqué l’histoire du sport militaire depuis plus d’un demi-siècle, et de militaires qui ont tenu un rôle déterminant dans l’élaboration de la politique sportive contemporaine de la France. Ainsi la revue ne pouvait manquer de rappeler le rôle primordial de Maurice Herzog. C’est en effet à cet ancien chef d’une compagnie de maquisards ftp, un des libérateurs de la Haute-Savoie, puis capitaine commandant la 2e compagnie du 27e bataillon de chasseurs alpins, rendu célèbre par son ascension de l’Annapurna en 1950, que fut confiée par le général de Gaulle, président de la République, la mission de construire une nouvelle politique sportive en phase avec les évolutions de la société et à la hauteur de ses ambitions internationales. Cette politique est résumée dans un document intitulé modestement Essai de la doctrine du sport7 (1965), qui frappe par sa vision prospective, sa pertinence anthropologique et qui reste d’une étonnante actualité. Préconisant un sport au service de l’homme, il définit l’activité sportive comme un loisir de masse, concernant l’ensemble de la population et devant assurer un rôle déterminant dans la formation de la jeunesse, à l’école, à l’armée et dans les temps de loisirs organisés8. Il détaille ainsi dans un chapitre spécifique comment les associations à « préoccupation éducative » (clubs sportifs, fédérations, associations de sport en pleine nature, organisations de jeunesse) et les organismes « à perspective essentiellement sociale » des municipalités, des entreprises et des clubs de vacances doivent constituer les organisations permanentes et dynamiques de cette politique sportive de masse. Ce document expose également, et pour la première fois, une définition du sport de haut niveau. Il n’en mésestime nullement les dangers, contre lesquels il préconise diverses mesures fondamentales. Mais il définit clairement la politique à mettre en œuvre afin de former les sportifs capables, pour les meilleurs, de concourir dans les grandes compétitions internationales. Une formation confiée au colonel Marceau Crespin, nommé premier délégué à la préparation olympique9 et secrétaire général du haut comité des sports.

Cette importante contribution des militaires à l’accueil et à la préparation de sportifs de haut niveau est exposée de manière détaillée par Christian Persicot dans son article « Armées et sport de haut niveau ». Il rappelle le rôle tenu par celles-ci au bataillon de Joinville puis au bataillon d’Antibes et, depuis 2003, dans le cadre du Centre national des sports de la Défense situé à Fontainebleau et intégré au dispositif du sport français et international par un accord-cadre entre le ministère de la Défense et le ministère des Sports. En citant les noms de sportifs devenus célèbres, mais dont l’appartenance aux armées est souvent ignorée, il rappelle cette contribution de la Défense à l’image de la nation.

Le témoignage émouvant d’un des plus grands athlètes militaires de haut niveau, Alain Mimoun, recueilli par André Thiéblemont, nous ramène au cœur des interrogations sur les relations entre le sport et la guerre. Son grand rival et ami, Emil Zatopek, colonel de l’armée tchèque, ne lui déclare-t-il pas un jour : « Le plus grand de nous deux, Alain, c’est toi, parce que toi tu as fait la guerre et pas moi. » Ce bel hommage, comme la vie de Mimoun, certes jalonnée des efforts et des sacrifices permanents du sportif de haut niveau, mais aussi marquée par les épreuves du combattant, rappellent un point essentiel pour comprendre les relations entre le sport et la guerre : le sport n’est pas la guerre et la guerre est bien différente de l’activité sportive quelle qu’elle soit.

C’est ce que tient à souligner avec force Jean-René Bachelet dans son article « Convergences et limites » : « Quelle que soit la convergence qu’il peut y avoir entre pratique des sports, individuels et collectifs, et formation au métier des armes – on a bien dit “formation” –, il est nécessaire de bien mesurer en quoi cette pratique diffère radicalement de l’action militaire effective, sauf à s’égarer sur de fausses pistes. » Trois raisons selon lui marquent cette différence : l’action de guerre peut aboutir à donner volontairement la mort, alors que le sport est une activité pacifique ; les comportements des belligérants sont dissymétriques, alors que les pratiques des sportifs obéissent aux mêmes règles ; la « fraternité des armes » exigée dans le combat pour tenter de vaincre est aussi la condition pour sauver les vies, ce qui la rend bien différente de l’« esprit d’équipe » qui ne comporte pas ce dernier enjeu.

Plutôt que de vouloir « comparer l’incomparable », comme le fait remarquer Luc Robène, il convient essentiellement de bien tenir compte des spécificités irréductibles du sport et de la guerre, pour construire une trame solide de l’analyse de leurs relations. Le sport est indispensable à la formation du guerrier, comme le démontre si bien l’histoire du sport militaire. Gilbert Andrieu en fait une démonstration fort argumentée dans son article sur « Georges Hébert et l’éducation physique et morale par la méthode naturelle », une méthode s’adressant « à un homme qui possède un corps, une âme et un esprit » et destinée avant tout à « former un soldat résistant, endurant, rompu à toutes sortes de difficultés, développé physiquement et plus encore organiquement et moralement ». Auteur d’ouvrages de référence tels que L’Éducation physique raisonnée (1907) et Le Sport contre l’éducation physique (1925), souvent incompris, Georges Hébert méritait cette réhabilitation.

Quatre articles apportent encore des éclairages différents sur la place indispensable de l’entraînement physique et sportif dans la formation du soldat. Vincent Lapouge, dans son article « L’entraînement physique militaire et sportif aujourd’hui », montre comment les armées se sont régulièrement souciées de l’utilité opérationnelle des doctrines successives qu’elles appliquaient pour la formation de leurs soldats, en prenant en compte à la fois « les caractéristiques de la population à entraîner » et les évolutions de la société française. Il rappelle comment la politique sportive nationale élaborée par le haut-commissariat de la jeunesse et des sports va inciter les militaires à évoluer vers une nouvelle doctrine fondant l’entraînement physique militaire sur la formation et la motivation sportives. Dans le contexte des mutations de l’institution et des nouveaux engagements opérationnels, une nouvelle doctrine s’est imposée depuis 2003, qui privilégie la finalité opérationnelle de l’entraînement physique et de la formation sportive des militaires. Ceux-ci doivent pratiquer le sport pour se préparer à être de bons guerriers dans des opérations extérieures difficiles où ils sont régulièrement confrontés à des adversaires déterminés.

Par le témoignage de ses engagements personnels, Michel Goya montre qu’il existe cependant un écart entre la doctrine et les pratiques de terrain. « Dans l’ensemble, la politique du sport dans les unités de combat ne brille pas par sa variété. On peut y voir une certaine paresse d’esprit de la part des cadres de contact, mais il faut ajouter qu’il n’y a guère non plus d’incitation à changer de la part de l’institution… Le résultat de ce manque de volontarisme du sommet et d’imagination de la base est un appauvrissement du contenu de l’entraînement physique sinon de son intensité. » Son article éclaire sans ambages la nécessité de revenir à une formation physique et sportive permanente préparant le soldat à bien faire son métier sur le terrain, où il doit entretenir quotidiennement cette formation, même dans des situations difficiles.

Dans « La force physique au service de la victoire », Éric Bellot des Minières, fort également de son expérience de terrain (il fait notamment beaucoup référence à son récent séjour en Afghanistan), abonde aussi dans le sens d’une formation sportive destinée à forger le physique et l’esprit des combattants. Comme d’autres auteurs, il insiste sur la nécessité de bien distinguer le sport et la guerre afin de situer de manière adaptée la place du sport dans la formation des qualités fondamentales de l’homme combattant. Sa préparation physique comme sa pratique régulière et variée du sport assurent, affirme-t-il, une part essentielle du succès des missions de nos armées.

François Cochet conforte dans une analyse historique et comparative, minutieuse et fort éclairante des gestes de l’éducation physique et des gestes de la guerre, comment, par-delà les doctrines et les usages différenciés du sport, de la gymnastique et de l’éducation physique, les premiers constituent en fin de compte une exigence et une garantie déterminantes dans l’exercice des seconds. Et il souligne combien les actuelles conditions d’engagement en Afghanistan attestent que l’entraînement physique est toujours la condition sine qua non de la survie d’une troupe au combat.

L’analyse des relations entre le sport et la guerre est toujours difficile à situer sur le plan scientifique, d’autant plus qu’elle baigne, dans le monde du sport, dans des métaphores guerrières constantes. « Je veux des guerriers », dira un entraîneur à son équipe. Des visions de ces relations se sont imposées dans les champs des sciences humaines et sociales et de la littérature et constituent souvent les paradigmes, explicites ou inconscients, des analyses actuelles. Ainsi –, Georges Perec, frappé par le caractère « ultra-organisé, ultra-agressif et ultra-oppressant du système sportif », n’hésite pas, en regardant le film Olympia réalisé par Leni Riefenstahl lors des Jeux olympiques de Berlin en 1936, à le comparer au monde nazi. Dans W ou le souvenir d’enfance, publié en 1975, il met en scène une société sportive idéale, située sur l’île imaginaire nommée W, afin de décrire la barbarie du sport, métaphore des camps d’extermination. Certes, le sport, comme toute activité humaine, peut être dévoyé à des fins funestes d’oppression. Dominik Mann fait remarquer que la métaphore guerrière du sport peut n’être qu’un écran, comme c’est le cas pour Perec, qui permet à la fois de montrer et de se protéger de la vérité. Mais quelle vérité ? Celle de son histoire personnelle, tout à fait compréhensible dans des interprétations absolues ? Celle du dévoiement du sport, ou celle d’analyses fondées sur des distinctions éprouvées et irréductibles du sport et de la guerre, autorisant alors le raisonnement de leurs liens ?

Comme le montrent les articles de ce numéro, notamment ceux des auteurs militaires, le sport n’est pas d’essence guerrière, même lorsqu’il participe à la formation du guerrier. Il est avant tout une pratique de la maîtrise de soi, de l’effort, du dépassement requis dans les situations difficiles, du contrôle de la violence inhérente à la nature humaine de chacun. Nous pouvons sans doute partager le point de vue de Luc Robène qui, se référant au sociologue Norbert Elias10, considère comme lui que « le sport moderne correspond à l’émergence d’une forme de jeu civilisé, une pratique ludique théoriquement tempérée, qui accompagne, à partir de la fin du xviiie siècle, l’intériorisation de comportements sociaux acceptables (pacification des mœurs) et dont la principale caractéristique reste inscrite dans le contrôle de la violence. Le champion sportif moderne s’approprie la victoire en éliminant son adversaire, mais s’il le tue, c’est de manière tout à fait symbolique. La victoire sportive est acquise sur un terrain dont chacun doit sortir vivant, à la différence des compétitions antiques dans lesquelles la mort constitue un ingrédient banal. La violence inhérente à l’émotion produite dans et par le jeu moderne est une violence maîtrisée, une violence ritualisée ».

Comme le montrent les quelques articles de ce numéro d’Inflexions, les relations entre le sport et la guerre ont soulevé et continuent de soulever bien des questions sur l’homme lui-même, sur ses quêtes incessantes d’équilibres possibles dans une histoire qui lui échappe à chaque fois qu’il croit pouvoir la maîtriser, sur les défis qu’il se sent capable de relever comme sportif ou de conjurer comme soldat, sur ses abnégations qu’il n’imaginait pas à sa mesure et dont, pourtant, il peut faire preuve dans des dépassements héroïques de ses qualités intrinsèques et de ses engagements, malgré ses peurs face au danger. Mais comme le fait remarquer Robert Badinter, « si la peur de la mort arrêtait les hommes, vous n’auriez ni grands soldats ni grands sportifs ».

Certes ce numéro est très incomplet, nous en sommes conscients. Luc Robène en met parfaitement en relief les manques, en cherchant à les compenser dans son article, notamment en indiquant les axes de réflexion et de recherche qui doivent se poursuivre dans l’analyse des relations entre la guerre et le sport, concernant notamment l’affirmation du sport au xxe siècle comme mode de gouvernance internationale, comme enjeu géopolitique, sur le sport dans les armées, le sport dans la guerre, les transformations du sport par la guerre, thèmes auxquels il faudrait ajouter des travaux d’économistes. Nous pensons cependant que ce numéro a abordé dans les approches des relations entre le sport et la guerre des questions fondamentales, indispensables pour leur compréhension mutuelle, mais également pour comprendre les mutations du monde contemporain, qu’elles portent dans leurs manifestations, tensions, enjeux et évolutions.

Nous espérons que ce numéro suscitera des réactions, et peut-être les controverses nécessaires au débat et aux travaux de recherche. Et nous tenons à remercier les intervenants au colloque de Coëtquidan qui, par la reprise de leurs communications, ont bien voulu participer à ce numéro d’Inflexions.

1 Stock, 1994.

2 On cite généralement les plus célèbres : l’athlète Jean Bouin, tué au front en 1914, ou François Faber, vainqueur du Tour de France cycliste en 1909, tué en 1915. Mais au moins quatre cents sportifs auraient été tués aux combats durant la Grande Guerre. Depuis, d’autres sportifs sont tombés au combat.

3 Créée en 1852, elle deviendra en 1925 l’École supérieure d’éducation physique. En 1956, le bataillon de Joinville est créé pour assurer la formation sportive des appelés. En 1967, l’École d’entraînement physique militaire d’Antibes, les sections sportives de tir de Montauban, de parachutisme de Pau, de pentathlon moderne de Bordeaux, et le centre d’entraînement physique et des sports de la Marine de Toulon sont regroupées à Fontainebleau pour former l’École interarmées des sports. Ce nouvel établissement reprend les missions de l’École supérieure d’éducation physique de Joinville. La suspension du service national militaire obligatoire a entraîné la disparition du bataillon de Joinville en juin 2002.

4 Professeur d’histoire dans le département sciences et techniques des activités physiques et sportives (staps) de l’université Rennes-II, chargé de cours à l’ens de Cachan et à Sciences-Po Bordeaux.

5 Le laboratoire de recherches et d’études sociologiques (lares) est désormais une composante du laboratoire d’anthropologie et de sociologie (las) qu’il a fondé pour regrouper dans un même laboratoire les représentants de trois disciplines (sociologie, anthropologie et sciences du langage).

6 Les actes de ce colloque seront publiés en 2012 aux Presses universitaires de Rennes.

7 Cet Essai de la doctrine du sport est un document d’une cinquantaine de pages détaillant les arguments et les commentaires résumés dans la déclaration de principe présentée par Jean-René Bachelet. Ce document rapporte aussi les noms de tous ceux (près de deux cent cinquante personnes de tous milieux, politiques, sportifs, universitaires, scientifiques, journalistiques, professionnels…) qui ont participé à cette réflexion dans les dix sous-commissions.

8 Ce document renforça la légitimité de Maurice Herzog et du gouvernement à mettre en œuvre une politique volontariste dans le domaine de la construction des équipements sportifs (loi programme 1961-1965 : plan « Mille piscines, mille stages et terrains de jeux »). Il réalisa, en un sens, ce que le Front populaire avait tenté idéologiquement mais sans en avoir les moyens financiers : construire les équipements nécessaires aux pratiques sportives, notamment de la jeunesse. La conjugaison d’un pouvoir fort, d’une volonté politique affirmée et de moyens financiers bénéficia au développement du sport dans une ambiance de concurrence amorcée par les échecs français aux Jeux de Rome en 1960, commentés avec force par le général de Gaulle lui-même, et donc la volonté de dynamiser le haut niveau.

9 C’est aussi le colonel Crespin qui, en 1968, fonde le Centre national d’entraînement en haute altitude de Font Romeu.

10 Norbert Elias (1897-1990) voyait dans le sport un moyen privilégié pour assurer la maîtrise de la violence. Il développa cette thèse notamment dans Sport et Civilisation. La violence maîtrisée, ouvrage réalisé en collaboration avec Eric Dunning et qui rassemblait des articles qu’ils avaient écrits entre 1966 et 1986 (date de publication de l’ouvrage en anglais : Quest for Excitement, Sport and Leisure in the Civilizing Process).