N°20 | L’armée dans l’espace public

Jean-Marc de Giuli

Le militaire entre socialisation accrue et perte d’influence

La place des militaires dans la société française et leur capacité d’influence sont un sujet de préoccupation et d’études récurrent. On ne compte plus les colloques, les rencontres, les séminaires tenus sous les auspices les plus divers, qu’ils soient organismes de formation comme les Écoles de Coëtquidan, le Cours supérieur d’état-major de l’armée de terre (csem), le Collège interarmées de défense (cid, rebaptisé École de guerre en 2011), le Centre des hautes études militaires (chem), l’École des hautes études en sciences sociales (ehess) ou la représentation nationale via sa commission des Affaires étrangères et de la Défense. La question a fait l’objet de multiples travaux et ouvrages traités sous un angle sociologique, historique, journalistique, mais d’audience limitée au cercle restreint des intéressés eux-mêmes et des chercheurs. Elle constitue aujourd’hui le thème de cette livraison d’Inflexions.

À première vue, il pourrait paraître superfétatoire et vain pour un praticien ordinaire des rapports entre civils et militaires de se livrer à un exercice qui pourrait passer pour un banal plaidoyer corporatiste. Pour autant, les militaires se sont suffisamment plaints de ne pas pouvoir exprimer leur opinion pour que cette occasion d’expression ne soit saisie.

Prenant acte d’une évolution opposant à une lente « socialisation » des militaires une non moins lente mais réelle marginalisation de ses élites, cet article promeut l’idée que, prenant appui sur cette intégration, la communauté nationale gagnerait à ne pas réduire les apports des armées à leur seule dimension technique et à intégrer au mieux celles-ci dans les instances décisionnelles. Cette démarche, ce nouveau pacte social à revivifier, aurait pour principal intérêt de rétablir une cohérence globale entre la finalité des armées et leur rôle au sein de la République tant en ce qui concerne les dimensions civiques internes que la dimension diplomatique et militaire externe de celle-ci.

  • Soldat et citoyen : une lente construction
    et reconnaissance sociale

Le militaire1 est aujourd’hui un citoyen comme les autres, son intégration sociale constituant le garant de sa loyauté, de son respect de valeurs communes et des exceptions qui lui sont accordées. Mais il est aussi un citoyen tout différent des autres en tant que soldat.

Citoyen ordinaire, tout militaire naît et grandit civil. Après un parcours au service des armes de durée variable, il a beaucoup de chances de vieillir et de mourir civil. Comme tel, son fond humain et culturel sera à l’image d’un peuple versatile, brave et généreux, divisé et contestataire2 en temps ordinaire, mais soudé à l’heure du danger. Comme chez ses concitoyens, sa personnalité sera influencée par sa culture et des gènes d’audace ou de prudence, de spontanéité ou de réflexion, de prédispositions à l’ouverture et à l’écoute ou à l’isolement et à l’autoritarisme. À l’image de ses compatriotes, et à l’opposé de la caricature parfois véhiculée du clone obtus et borné membre écervelé d’un corps monolithique, le militaire français a été et reste généralement contrasté dans ses idées et ses comportements.

Il ne se distingue du reste de la population française que par la jeunesse3 et la mobilité4. Un handicap pour le travail du conjoint5, nouvelle nécessité sociale, et pour le logement6. Mais il se situe dans la moyenne nationale en ce qui concerne la place de la femme7, sa situation familiale8, le nombre d’enfants et les salaires9.

Il s’en différencie cependant par un rôle particulier. Hier défenseur de la patrie à ses frontières, aujourd’hui au-delà de ces dernières, il reste délégataire de la légitime force publique, disposant du droit extraordinaire de pouvoir donner la mort et devant accepter, en contrepartie, le devoir absolu d’être prêt à la recevoir, non pas de façon accidentelle et privative, mais sacrificielle, puisque reçue en lieu et place du peuple français, comme le dit la formule officielle « Mort pour la France ». Les permanentes nécessités de formation morale, d’instruction technique et d’entraînement physique et tactique qu’entraîne cette spécificité forgent une personnalité aux traits unitaires mais en rien uniformes.

Cette personnalité est tout d’abord celle d’un homme « engagé » qui se voudrait acteur et non spectateur d’un destin collectif. Cet engagement est le résultat de motivations diverses mais jamais triviales10. De façon plus ou moins aiguë, se posent toujours à un moment ou à un autre les questions de la vie et de la mort, de la conciliation des ordres reçus et de l’appel à sa conscience. Il est ainsi un homme de réflexion puis de convictions, souvent héritées d’une jeunesse en quête d’absolu.

De ce choix initial découlent implicitement quelques références structurantes de son comportement. La première est l’efficacité, qui justifie une hiérarchie propre à répartir les responsabilités de commandement et qui sublime les tâches à accomplir dans la notion de mission, puisque les projets à conduire sont des opérations. Ce souci d’efficacité en fait un homme d’ordre et de discipline, aimant les cadres et les situations nettes. Cette constante contraste aujourd’hui avec la réalité des conflits contemporains. Certes le « do something general »11, les mandats reçus en complet décalage avec une réalité méconnue ou ayant évolué ou fixant des modalités totalement contraires à l’efficacité de l’action militaire le révoltent. Mais, appelé à agir face aux réalités, la même efficacité lui impose une aptitude particulière à la remise en question et à l’adaptation permanente, qualités en symbiose avec ses motivations initiales de refus d’une routine personnelle ou professionnelle. Du fait des interventions multinationales outre-mer, la plupart s’avèrent ainsi être des hommes plus mobiles, plus curieux et plus ouverts sur l’étranger que ne le sont en moyenne les Français.

Cette confrontation aux réalités amène le militaire à se méfier des médias et de leur propension à façonner les sentiments par des instantanés médiatiques partiels, voire partiaux. Pour lui-même, c’est un homme de service peu enclin à se mettre en avant12 ou à faire du lobbying. Modeste et peu exigeant dans la reconnaissance qu’il estime lui être due, c’est un sentimental parfois un peu cabotin, aimant être aimé, sensible aux grandes causes et à la situation des opprimés, que la proximité avec la douleur et la souffrance rend plus humaniste qu’on ne le croit.

La deuxième référence est sa sensibilité à l’action collective, l’« esprit de corps », terme passé dans le langage courant et en français dans les publications étrangères, démultiplicateur d’efficacité et agent protecteur dans les situations difficiles. Hors le service des armes, il sera tout naturellement porté à accorder une valeur essentielle au respect du contrat et de la parole donnée, tout comme à l’importance des relations humaines, ces grandes oubliées de la société civile moderne et notamment des grandes entreprises.

Dernière caractéristique enfin, et non des moindres, après une formation initiale de grande qualité, le militaire reste studieux. Il bénéficie tout au long de sa carrière d’actions de formation régulières, en tant que formateur ou comme « formé ». Ses compétences professionnelles et son aptitude physique sont régulièrement et rigoureusement évaluées, que ce soit individuellement ou collectivement.

Ces références se concrétiseront souvent par des attitudes opposées, soit de repli sur soi face à une société si différente dans ses références éthiques, soit d’engagement local ou associatif bénévole. Sur le plan des convictions politiques, la neutralité obligée satisfait la très grande majorité. Elle garantit la cohésion interne et évite d’avoir à choisir entre des conceptions idéologiques binaires. En récusant le fait d’opposer l’efficacité à la fraternité, on peut puiser dans chaque système politique ce qui permettrait de les renforcer.

Par méconnaissance ou par parti pris, nos compatriotes n’ont souvent perçu leurs militaires que de façon superficielle, les apparences ou le décor occultant les motivations profondes de leur engagement. La vertu d’obéissance perçue et comprise comme symbolique de l’état militaire, dont les remises en question et les transformations opérées par la Défense ces quinze dernières années portent témoignage, montre cette incompréhension.

Des trois degrés de pratique, le premier, l’obéissance aux ordres, le plus courant et le plus commode, a occulté les deux autres : l’obéissance aux lois, obligation fondamentale, et l’obéissance à sa conscience, le plus difficile, devenue la référence explicite avec le règlement de discipline générale de 1966. Le prétexte de l’obéissance aux ordres, étendu à la notion de loyauté des subordonnées, fut celui des officiers de la Wehrmacht pour excuser leur passivité face à la barbarie. Dans d’autres circonstances extrêmes où un choix s’imposait, l’obéissance à sa conscience a pu conduire aux attitudes opposées de révolte ou de démission comme les choix d’Hélie Denoix de Saint-Marc et de Jacques Pâris de Bollardière durant la guerre d’Algérie.

Cette citoyenneté, équilibrée entre spécificité et intégration, a été le résultat d’une lente construction et d’une reconnaissance sociales faisant passer la communauté militaire d’un éclatement originel à une composante sociale soudée et fermée, puis enfin à une intégration équilibrée.

Sous le régime monarchique, la société militaire n’existe pas en tant que telle, tant la situation est contrastée entre hauts dignitaires, officiers et soldats. Si les premiers reçoivent primes, récompenses et prébendes, les derniers sont relégués dans les plus basses couches sociales. En s’engageant, le « recruté » prend ou reçoit un sobriquet, comme un valet de ferme ou un employé de maison. « Le soldat est pire que le bourreau », dit alors un adage populaire.

La Révolution considérera le droit de tous les citoyens à prendre les armes comme un de ses acquis majeurs et la marque tangible de la liberté du peuple. Avant que de constituer le rempart défenseur de la patrie en danger et un des instruments privilégiés de la promotion de ses vertus au-delà de ses frontières, l’armée devient un outil d’unité et de cohésion qui aura pour vocation de prolonger le parcours citoyen entamé par l’école13. La réalité de ce discours républicain sera tout de même contrastée au travers d’une alternance de pactes et de divorces. Au pacte volontaire révolutionnaire succédera un pacte imposé impérial. Avec la IIIe République bourgeoise s’instaurera une certaine méfiance réciproque, nonobstant la dimension sociale de l’armée et l’union sacrée qui se dissoudra dans la boue des tranchées pour donner lieu à l’antimilitarisme de l’entre-deux-guerres.

Jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, les deux tiers des officiers sortent du rang et l’ensemble constitue une composante sociale fermée. Les officiers promis au haut commandement sont issus de la bourgeoisie, encore que l’aristocratie soit alors surreprésentée. La condition de tous est modeste, d’où l’importance des fortunes personnelles héritées ou des mariages de rapport. Les ménages, aux nombreux enfants à l’instar des ruraux, vivent modestement voire chichement, palliant de maigres ressources par l’ingéniosité et la débrouillardise. Ainsi les grosses garnisons, où l’on se reçoit et où la solidarité est plus aisée à exercer qu’ailleurs, sont des affectations prisées.

Une des manifestations les plus tangibles de l’isolement social des militaires en activité réside dans l’absence du droit de vote au motif qu’ils ne devaient pas prendre parti dans les querelles politiques. Ce droit leur sera conféré le 17 août 1945, un an après les femmes. La Seconde Guerre mondiale va profondément transformer la société militaire française, qui va s’américaniser dans ses habitudes, son style de vie, ses horaires de travail, ses effets vestimentaires. Mais sur le fond, elle va aussi raviver les ferments du divorce sociétal. Outre les conséquences de la défaite militaire analysées plus loin, l’opinion, confortée en cela par le discours officiel qui, au nom de l’unité retrouvée, l’exonère de sa propre passivité, estime devoir la victoire aux Alliés et à la Résistance. La communication, qui pourrait exploiter la participation des armées à la Libération, sera vite gommée par celle liée à l’engagement outre-mer et à l’occupation en Allemagne. Ainsi va durer la perception populaire selon laquelle l’armée est une microsociété autarcique, caractérisée par son endorecrutement, un corporatisme entretenu par des codes sémantiques, une formalisation excessive de la position interne de chacun, par les grades, les appellations et l’affichage ostensible de décorations attestant l’expérience et le mérite, et des avantages matériels comme la réduction des frais de transport ou des loyers avantageux voire inexistants, qu’ils soient réels ou imaginés14.

Le retour dans les garnisons, les évolutions sociétales, dont l’importance croissante du rôle de la femme, vont accentuer la formalisation et la prise en compte de ce qui va devenir la condition militaire.

Il faudra attendre 1972 pour que le statut des militaires soit fixé par une loi qui leur soit spécifique et les différencie des fonctionnaires. Cette spécificité allait auparavant de soi, il fallait désormais la faire reconnaître. On ne pouvait tout à la fois demander une reconnaissance sociale et un refus du statut. Ainsi, par-delà la volonté d’uniformisation de la fonction publique, le statut pouvait être l’occasion, tout en rompant l’isolement des militaires au sein de l’État, de poser l’ambivalence affirmée, spécificité du métier des armes mais « communalité » de la citoyenneté.

La vérité oblige à dire que les réticences à cette évolution sont venues de la hiérarchie ou des intéressés eux-mêmes par une référence plus ou moins implicite à un « vœu de pauvreté ». Prolongeant leur réticence éthique originelle, bien des militaires n’ont vu que les effets négatifs de cette politique et notamment une fonctionnarisation si décriée, occultant le fait qu’elle fut une des conditions de revalorisation de leur condition, de l’extension du bénéfice de revendications et une possibilité de comparaison avec les autres fonctionnaires.

La professionnalisation va donner une acuité nouvelle à la question. Elle distendra moins qu’on ne le craignît au départ les liens avec la nation, mais elle donnera un relief nouveau à la prise en compte de la condition militaire, facteur non négligeable d’un recrutement attractif et de la fidélisation. Elle renforcera le besoin de représentativité et d’efficacité des moyens de la concertation. Prendre en compte ses préoccupations familiales, l’associer aux conditions et aux moyens d’exercice de son métier devient une nécessité pour le soldat professionnel, à l’instar de tout autre acteur public ou privé de la vie nationale.

L’intégration sociale a été une évolution cohérente avec la place et le rôle voulus pour les militaires par notre démocratie. Mais elle a entraîné la banalisation de leur état, la relative négation d’une spécificité toujours justifiée, tout à la fois causes et conséquences parmi d’autres de la marginalisation de leur influence dans les grands choix politiques.

  • Marginalisation des élites militaires et érosion
    de leur capacité d’influence

Si la position sociale des militaires s’est affermie, force est de constater aujourd’hui un affaiblissement sensible de leur capacité d’influence en direction et au profit des décideurs politiques ou des « faiseurs d’opinion ». Trois faisceaux de raisons, qui se particularisent et s’enchaînent dans le temps, expliquent cette situation.

La désacralisation progressive du métier des armes en est une première cause. Elle se nourrit d’une perte de plus en plus accentuée des références religieuses, dont une des manifestations est l’attitude face à la mort, passée de son acceptation d’origine mystique à son refus d’inspiration agnostique15.

Dans l’Athènes classique, berceau de nos démocraties, les stratèges cumulaient les responsabilités politiques, militaires et religieuses, et dirigeaient la cité. Comme tout acte politique, la guerre était régie par les dieux. Cette dimension mystique a transcendé les époques et les régimes. Selon le système politique, l’armée a possédé une dimension sacrée qu’elle soit d’essence religieuse ou laïque. Qu’il s’agisse d’un privilège ou d’un droit citoyen, le fait de porter les armes représentait la quintessence des valeurs chevaleresques individuelles ou patriotiques collectives. En témoigne l’association des mots « honneur » et « patrie » inscrits au revers de nos drapeaux et étendards ainsi que sur les superstructures des bâtiments de la Marine nationale, devise de l’ordre de la Légion d’honneur.

L’armée était soit une des émanations du souverain, chef des armées et combattant à leur tête, soit la manifestation la plus éclatante de la réalité et de la vitalité de la nation. Monarchies, empires et républiques ont exalté l’armée et les soldats, mais, en contrepartie, ont exigé d’eux obéissance absolue, sacrifices et résultats. Mater les nobles révoltés de la Fronde, passer par les armes les généraux sans audace de l’an II, limoger les insuffisants de 191416 montrent d’égales exigences régaliennes. Jusqu’à une époque récente, ces chefs, généraux compris, se tenaient en première ligne. Leur courage physique17 constituait le principal moteur de la dynamique et de l’efficacité collectives. Le développement et la complexification des armements, comme des situations de crise et de conflits qu’ils eurent à préparer et à conduire, leur imposèrent aussi de se transformer en ingénieurs18 puis en administrateurs et en gestionnaires avisés des ressources, du patrimoine immobilier notamment, qui leur étaient confiées.

À ce titre, instruments premiers du pouvoir pour réaliser son unité puis imposer ses valeurs, les chefs militaires lui ont été étroitement associés. Leur influence sera réelle, mais à contre-courant de la perception populaire19 : moindre sous des pouvoirs autoritaires qui les réduiront au rôle d’exécutants dociles et dévoués, bien plus grande dans les régimes démocratiques, durant la IIIe République notamment. Avant la Grande Guerre, les ministres de la Guerre seront très souvent des généraux20.

La deuxième raison tient à la succession de ruptures qui les affectent à notre époque contemporaine. Les deux guerres mondiales provoquent une perte de crédibilité technique et professionnelle. Les pertes humaines du début de la première tuent aussi l’idée que celles-ci donnent la mesure de l’engagement et de son efficacité, et qu’essayer de les réduire serait une faute voire une trahison21. La défaite de 1940 marque au fer rouge la réputation interne et externe de l’armée française. Puis la place tenue par les généraux au sein du régime de Vichy masque grandement le rôle tenu par les militaires dans la Résistance.

Après la Libération, les grands chefs meurent rapidement : Leclerc dès 1947, de Lattre en 1952. La création de l’École nationale d’administration (ena) réserve à une élite sélectionnée la haute administration de l’État. Les campagnes outre-mer entraînent une perte de crédibilité culturelle, une souffrance interne, un divorce mental avec une société française qui n’aspire qu’à retrouver sa tranquillité, son bien-être, et pour laquelle l’armée évoque plutôt effort et privations. Le « putsch » des généraux d’avril 1961 et la mise au pas de la hiérarchie militaire par le général de Gaulle vont précipiter l’ostracisme et le discrédit, obligeant colonels et généraux à faire profil bas durant au moins les trois décennies suivantes, et en donnant naissance à un soupçon, immérité, sur la loyauté de l’armée, soupçon qui culmine en 1981.

La Ve République, qui érige la défense en domaine réservé du président, et la doctrine de dissuasion provoquent, quant à elles, une perte de crédibilité intellectuelle, tant l’affichage unitaire et l’absence volontaire de débats sur le dogme participent à l’efficacité de la dissuasion. Dans le même temps, la substance de cette dialectique subtile fait reculer l’intérêt pour la stratégie opérationnelle et la manœuvre, et, ce faisant, pour les armements classiques. En revanche, la crédibilité de l’arme nucléaire liée à sa fiabilité et à sa qualité technique va consacrer l’importance croissante de la Délégation générale pour l’armement (dga). Ce silence des esprits entraîne un effacement quasi complet des militaires des grands « débats politiques », y compris de ceux qui les concernent directement22. Puis, sous la pression de la crise économique et sous prétexte d’optimisation, de simplification et de rationalisation, la centralisation et le dirigisme de l’appareil d’État vont se renforcer.

Enfin, la troisième raison résulte pour une large part des profondes et rapides transformations économiques et géostratégiques aux conséquences majeures sur les préoccupations des Français. Les enjeux individuels, qu’ils soient économiques ou sécuritaires, protection des biens et des personnes, ont pris le pas sur un devenir collectif brouillé par la construction européenne ou la mondialisation. Avec la disparition des menaces existentielles pour la France s’est éloigné le spectre des guerres impliquant mobilisation humaine et satisfaction prioritaire des besoins des armées. Les crises se produisent désormais bien au-delà de nos frontières, leur résolution dépend au premier chef de mandats définis par des organismes et des diplomates internationaux, les interventions militaires nécessaires le sont dans le cadre de coalitions internationales. Les principales occasions où les Français sont physiquement touchés dans leurs biens, leur chair ou leurs affections sont le résultat de catastrophes naturelles, d’accidents ou de faits divers criminels.

Les deux manifestations les plus perceptibles de cet effacement en ont été les conséquences sociales et budgétaires. Socialement, la spécificité militaire a été occultée au bénéfice de la citoyenneté, s’inscrivant ainsi dans le mouvement accéléré de désacralisation précité du métier des armes, prenant acte de la dichotomie opérationnelle et managériale consubstantielle à la professionnalisation, exagérant à bon droit l’aspect « métier ordinaire » comme ont pu le laisser suggérer de récentes campagnes de recrutement : « Soldat, un métier comme les autres » ou « L’armée de terre aux quatre cents métiers ». Les rapports entre la société et les armées vont dès lors se caractériser par une « indifférence polie », pour reprendre un raccourci évocateur récent.

Budgétairement, elle s’est traduite par une réduction très sensible de l’assurance défense qui ne représente aujourd’hui plus que 1,3 % du pnb (2,7 % en 1985). En 2010, la Défense, avec ses trente-sept milliards de budget annuel23, retraites comprises, représente le troisième poste de dépense de l’État, derrière l’Éducation nationale (soixante et un milliards) et le service de la dette (quarante-quatre milliards). Mais cette présentation est à la fois exacte et trompeuse. En effet, si les ressources de la Défense reposent sur le seul budget de l’État, d’autres domaines bénéficient de revenus de la part des collectivités territoriales, d’administrations, des entreprises, de l’étranger, du privé ou des ménages. Ainsi, en 2009, les activités éducatives ont disposé de cent trente-deux milliards24 pour un budget de l’Éducation nationale de cinquante-neuf milliards neuf cent mille euros.

  • Réassocier les militaires au dialogue politique25

La perte de l’influence des élites militaires a été l’une des conséquences naturelles de la « déconflictualisation » des relations en Europe. Elle a pu avoir une certaine cohérence à un moment où la dissuasion garantissait notre sécurité. La chute du mur de Berlin a pu, un instant, faire croire à la « fin de l’histoire », et nous faire espérer bénéficier des « dividendes de la paix ». Mais la mondialisation économique, une difficile construction européenne et la multiplication des crises rendent nécessaire une nouvelle cohérence.

  • Leçons de l’histoire et réalités actuelles

La nature « instrumentale » des armées est une réalité secondaire, qui ne concerne en opérations que le personnel d’exécution. L’idée que l’optimisation et la rationalisation de la prise de décision, tout comme l’efficacité économique et donc opérationnelle, passeraient par une répartition des tâches entre opérationnels militaires et managers civils n’est pas nouvelle. L’histoire nous enseigne que les réduire à celle-ci conduit souvent à de sanglants déboires. Et cette attitude fait fi des réalités opérationnelles actuelles.

Le Second Empire avait confiné les militaires dans un rôle de sabreurs, qu’ils tenaient bien d’ailleurs, et réservé les responsabilités de gestion aux nouveaux technocrates de la société industrielle, artisans d’une spectaculaire réussite économique. De ce fait, le commandement militaire fut totalement déresponsabilisé. La principale réforme qu’il proposa, portait comme légitime ambition de rétablir une parité de ressources mobilisables avec la Prusse. Elle fut rendue inopérante par les intérêts financiers, et le refus populaire d’un effort considéré comme aliénant et inutile. Avec l’« année terrible », on a oublié que la première mesure corrective appliquée après la défaite fut, à l’instigation du rapport Bouchard, la loi sur l’administration de l’armée de 1882 qui a duré un peu plus de cent ans et qui posait deux principes essentiels : la responsabilisation directe des chefs militaires à la mobilisation et à la préparation de la guerre, et la subordination de l’administration au commandement.

Cette conception fut aussi celle de la toute jeune, moderne et innovante administration Kennedy. Ce dernier nomma comme secrétaire d’État à la Défense Robert McNamara, qui lui avait été recommandé comme l’un des maîtres des nouvelles techniques d’analyse scientifique et du concept coût/efficacité. Il sera à l’origine de la mainmise bureaucratique (des civils, des économistes, des ingénieurs, des gestionnaires) sur l’armée américaine. Leur imperium technocratique affectera funestement la tragédie vietnamienne ; la résolution du conflit ne se réduisait pas à une dimension économique ou technique mais passait aussi par une dimension culturelle et humaine. Le mépris de McNamara pour les militaires finit par déteindre sur la présidence américaine au point d’écarter tout militaire qui exprimerait une opinion contraire ou différente de celle en vigueur.

Les réalités opérationnelles de ces dix dernières années ont montré la nécessité d’une approche globale dans la résolution des crises26. Il est désormais avéré qu’elle passe par la mise en œuvre combinée de mesures économiques, sociales, diplomatiques et non uniquement militaires27. Et au contact des réalités de la crise extérieure, militaires, diplomates, policiers, juges, humanitaires et journalistes ont appris à se connaître et à s’estimer. Dans cette perspective, comment imaginer que la synergie de leurs efforts communs puisse être efficace lors des crises extérieures si on n’étend pas la pratique de ces échanges et de cette collaboration en temps normal en métropole ?

  • Redonner du sens par les finalités

La technicisation de l’action des armées arrive à contre-courant d’une évolution qui nécessiterait leur pleine intégration à la politique. Notre système de défense et de sécurité reposait sur une cohérence de ses finalités. Les armées étaient détentrices d’une excellence citoyenne vertueuse par association de tous les citoyens à la défense28, ciment de l’unité de la nation et garante de sa survie. La dissuasion tous azimuts puis la professionnalisation lui ont substitué une cohérence des modalités. Les armées sont devenues un des instruments de l’action extérieure de l’État. Elles ont perdu leur légitimation sacrificielle par déresponsabilisation des citoyens en matière de défense29. Cette transformation a aussi entraîné, avec un certain paradoxe, tout à la fois une banalisation de l’état militaire et un accroissement de la dimension technicienne des armées. D’une certaine façon, la désacralisation des finalités s’est transformée en sacralisation des modalités.

La cohérence des modalités pourrait se comprendre, mais à deux conditions : l’existence d’une direction politique forte et bien au fait des questions géostratégiques et militaires, et une dissuasion conditionnant l’emploi du système de défense. Ses conditions ne sont plus remplies et sa validité est désormais caduque.

En effet, au plan européen ou mondial, il n’existe pas aujourd’hui d’autorité politique forte voulant et pouvant intégrer au mieux les options militaires. Au plan national, en dépit du fait que les responsables militaires, hier comme aujourd’hui, tiennent normalement la place qui leur est assignée par les institutions de la République30, ce rôle est limité à la mise en œuvre des décisions politiques émises par des hommes dont la culture stratégique ou militaire est embryonnaire ou en tout cas très décalée par rapport à leur maîtrise des dossiers politiques internes, économiques ou sociaux.

La dissuasion n’est pas la réponse la plus adaptée aux crises actuelles d’origines politiques, économiques et sociales, se manifestant par une violence protéiforme de nature terroriste. Les opérations militaires reposent à nouveau sur des confrontations conventionnelles où le succès ou l’échec se paie comptant, selon la formule clausewitzienne. Leur légitimité s’appuie désormais sur une définition encadrée des buts et des modalités de l’intervention. Elle se concrétise aussi par la multinationalité de la force engagée. Légitimité et multinationalité soulignent l’importance du dialogue politique préalable à une vision harmonisée des objectifs à atteindre, tout comme à son prolongement pendant l’engagement pour en assurer le contrôle.

Cette tendance à la technicisation dépasse le strict cadre militaire. Elle pose la question sensible de la gouvernance de notre pays, et du dialogue entre ses élites politiques et ses forces vives. Aujourd’hui, la spécialisation et l’excellence deviennent le pendant des maîtres mots de performance et d’efficacité. Les autres domaines régaliens de l’économie, des finances et des relations extérieures n’échappent pas à cette tendance forte. La politique elle-même s’y prête d’autant plus volontiers qu’elle peut légitimer cet isolement par la nécessité de traiter de sujets complexes et de réagir dans l’urgence sans délai, forte du mandat reçu. Ne jouant plus son rôle fédérateur ou intégrateur, elle développe, dès lors, un discours déconnecté des réalités et sans prise sur des politiques sectorielles élaborées pour elles-mêmes à l’aune de stricts critères techniques internes, souvent transnationaux d’ailleurs.

  • Rétablir cette nouvelle cohérence des finalités
    est possible et nécessaire

Vingt ans après la fin de la guerre froide, quinze ans après la professionnalisation, nos armées acquièrent une nouvelle légitimité. En dépit des appréciations partielles ou partiales données par des médias toujours en quête de sensationnel, les résultats militaires obtenus dans les interventions extérieures attestent l’excellence du comportement de nos soldats. Ce fait est reconnu par les observateurs étrangers les plus divers. L’image très favorable qu’ils présentent en interne31, et notamment auprès des jeunes, témoigne que nos concitoyens leur en savent également gré. On assiste aussi à un retour heureux de la réflexion, par des publications de qualité, et de la prise de parole médiatique. Les particularismes de la société militaire s’estompent, d’autant qu’on pourrait en étendre les formes à bien d’autres corporations32.

Un nouveau pacte citoyen, satisfaisant les éternelles nécessités de l’identité, peut être scellé. Les militaires peuvent le concrétiser dans le temps et dans l’espace. La dimension temporelle est celle du lien avec notre histoire, la forge de nos valeurs, mais aussi et surtout celle du lien avec la jeunesse. La dimension spatiale se développe aux deux échelles, nationale et internationale. La réalité des liens sociétaux, et notamment de ceux qui unissent les Français et leur armée, est manifeste et vivante en province. En dépit d’une tradition jacobine et d’une centralisation, conséquence inéluctable de la revue générale des politiques publiques, toujours recherchée, il serait fallacieux de réduire notre réflexion au seul point de vue central ou « parisien ». En sortant de l’hexagone, les militaires sont des hommes prêts et aptes au dialogue ou à la confrontation constructive avec d’autres cultures. Nombre de leurs élites ont eu à représenter la France, à défendre ses intérêts dans l’enceinte des organisations internationales civiles ou militaires, voire à commander en opérations dans un contexte multinational.

La résolution du défi d’une évolution positive de la démocratie exige de redonner une noblesse à une action politique équilibrant l’écoute des citoyens et l’affirmation des intérêts supérieurs de la nation. Pour autant, cette reconquête de l’influence doit venir des militaires eux-mêmes, en évitant les pièges du « recentrage sur le métier », « placardisation technique » qui mobilise sur une stricte attribution des ressources aux besoins opérationnels stricto sensu alors qu’il faudrait élargir l’accès aux écoles de formation initiale des officiers33, accentuer la mobilité et l’osmose public/privé ou civil/militaire, multiplier l’écrit et la prise de parole à l’image de nos amis anglo-saxons, si souvent cités en exemple, ou américains. Si, aujourd’hui, la rigueur financière risque d’accélérer le décrochage économique, la « priorité à l’opérationnel »34 risque d’annihiler toute possibilité d’influence.

L’avenir de la composante sociale représentée par les militaires est très interdépendant de celui de la société française, et de la façon dont cette dernière percevra les enjeux de sécurité et de défense. À n’en pas douter, cette perception peut évoluer entre un repli sur soi, consécutif à des difficultés économiques majeures ou à un sentiment d’inutilité face à une mondialisation rendant illusoire notre autonomie décisionnelle, et un sursaut de conscience dû à ce que la France représente encore dans le monde. Cette dernière option serait assez conforme à un héritage gaullien si souvent revendiqué. Elle relaierait l’exhortation de Saint-Exupéry sur le lien entre raisons de vivre et de mourir : « Ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort. » Elle exigerait, entre autres, de résorber le découplage qui s’est installé entre l’opinion et le soldat à propos de la mort, néo refus culturel d’un côté, occurrence irréductible de l’autre. Par médias interposés, ne pas accepter la mort de nos soldats conduirait soit à refuser la confrontation, soit à se résigner à une défaite assurée puisque seule celle de leur adversaire serait héroïque et légitime. Refuser cette impasse suicidaire passera par un effort d’explication et le rétablissement d’une certaine dimension sacrale du métier des armes. Ainsi, dans son adresse de départ, en août 2011, le général Irastorza a martelé une dernière fois : « Si d’aventure cette dimension sacrale venait à s’effilocher au fil des ans, notre métier deviendrait moralement inconsistant et nous serions alors bien incapables de donner du sens à l’engagement de nos soldats et moins encore à leur sacrifice. Ce jour-là, faute d’armée motivée, bref faute d’armée tout court, la voix de la France ne pèserait plus grand-chose. »

1 Par ce raccourci de « militaire », on comprendra l’homme en référence à son statut. Le terme de soldat fait référence au combattant.

2 Les divisions et l’affrontement internes, caractéristiques de la société française, se retrouvent chez les militaires : généraux et ceux qui ne le sont pas, marins et terriens, aviateurs et terriens, saint-cyriens et non saint-cyriens, officiers et non officiers.

3 Âgés en moyenne de trente-trois ans, 59 % d’entre eux ont moins de trente-cinq ans.

4 Un militaire sur dix vivant en couple déclaré est célibataire d’un point de vue géographique.

5 68 % des conjoints de militaires travaillent, contre 77 % dans le civil.

6 Les militaires, hors gendarmerie, sont moins souvent propriétaires (35 %) que leurs concitoyens (55 %). En contrepartie, ils bénéficient davantage du logement à titre gratuit (23 %, contre 11 %) et sont également plus souvent locataires (42 %, contre 34 %).

7 15 % des effectifs en 2009.

8 70 %, pour moitié mariés, vivent en couple.

9 Chiffres du Ve rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, publié le 21 mai 2011.

10 « L’engagement s’inscrit autour de valeurs fondatrices dont l’institution militaire est porteuse : être au service de la communauté, de son pays dans un souci d’ordre et dans le respect d’une valeur centrale qui suppose le dépassement de l’individualisme dans un certain don de soi. » Dominique Engelhart, Jacques Birouste, Jean-Louis Marais, « Motivation à l’engagement des officiers issus des filières universitaires », Centre d’études en sciences sociales de la Défense (c2sd), 2004.

11 Consigne donnée au général belge Briquemont, commandant la forpronu en ex-Yougoslavie, en lieu et place de directives précises.

12 Sur vingt-deux mille biographies, la dernière édition du Who’s Who compte 1,5 % de militaires (pourcentage identique aux sportifs).

13 Avant 1914, les élèves de « normale sup » doivent être officiers de réserve.

14 Trois cent mille salariés d’edf payent 50 % de leur facture d’énergie, électricité et gaz, et ont leur abonnement offert. Un avantage qui coûte 1,1 milliard d’euros par an à l’entreprise, selon son rapport annuel 2008. À rapprocher des 192,4 millions d’euros payés par la Défense à la sncf pour le 75 % en 2009 au profit de cent soixante mille bénéficiaires, dont 3,1 millions d’euros pour cinq mille six cent dix personnes ayant un statut de général (chiffres de la Cour des comptes).

15 Philippe Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, Paris, Le Seuil, 1975.

16 Cf. Pierre Rocolle, L’Hécatombe des généraux, Paris, Lavauzelle.

17 La photo du colonel Désgrées du Loû, serrant le drapeau de son 65e ri de Nantes, au bord de la tranchée quelques minutes avant l’assaut de son régiment et sa mort, fit la une de L’Illustration à la suite des offensives de Champagne en 1915.

18 Un diplôme d’ingénieur de l’école spéciale militaire de Saint-Cyr est attribué aux élèves de la filière scientifique depuis 1983.

19 Ce sentiment d’une armée réactionnaire de « coups d’État ».

20 De la proclamation de la IIIe République à 1906, quarante-cinq gouvernements se succèdent. Dans l’immense majorité des cas, c’est à un général qu’est confié le ministère de la Guerre puisqu’avant 1902, les civils devenus ministres de la Guerre ne sont que trois.

21 Au lendemain du combat de Rembercourt-aux-Pots, début septembre 1914, le commandant de la 7e compagnie du 106e ri se fait rendre compte des pertes par ses chefs de section. Celle de Maurice Genevois en a un peu moins que les autres, il va rester marqué par le « que çà ? » soupçonneux de son capitaine.

22 C’est par une interview télévisée du président de la République que, le 14 juillet 1991, les chefs d’état-major d’armée apprendront la réduction du service militaire à dix mois. La décision de professionnalisation sera annoncée par le président Jacques Chirac le 22 février 1996, dans des conditions draconiennes de secret. Ses conseillers lui auraient dit : « Professionnalisez les armées, mais ne le dites surtout pas aux militaires, ils vous diront que c’est impossible. » Conseil qui n’était pas dénué de pertinence.

23 Ce chiffre est à rapprocher des 200,5 milliards d’euros que les Français ont consacrés en 2009 à la protection des biens et des personnes (données insee relatives au chiffre d’affaires des assurances).

24 Martine Jelioul, Jean-Pierre Dalous, Luc Brière, Le Compte de l’éducation. Principes, méthodes et résultats pour les années 1999 à 2009, ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et de la Vie associative – direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, mai 2011.

25 On complètera très utilement les éclairages suivants par la relecture de l’excellent article du général de corps d’armée Pierre Garrigou-Grandchamp, « État militaire et sens politique : une nécessaire désinhibition », Inflexions n° 6, 2007.

26 L’appellation originelle britannique de Comprehensive Approach, terme médical signifiant que l’on ne va pas soigner les conséquences de la maladie mais ses causes, est bien plus parlante.

27 Les militaires renoueraient ainsi avec la tradition de bâtisseurs, d’administrateurs, de médecins de leurs grands anciens tels que Lyautey ou Gallieni, à ceci près qu’aujourd’hui, les rôles autres que militaires devraient être tenus par des civils.

28 Slogan de l’époque : « La défense française s’appuie sur une dissuasion nucléaire et une dissuasion populaire qui se valorisent mutuellement. »

29 Ce constat ne se limite pas au seul domaine militaire. La déresponsabilisation des citoyens, par transfert total des responsabilités aux instances ad hoc, police, justice, armées, sécurité sociale, assurances, induit leur passivité civique.

30 État-major particulier auprès du président, existence de conseils de défense, de cellules de crise, interventions devant les chambres ou audition par les commissions des responsables, publication publique des rapports.

31 Plus de 80 % de réponses favorables aux sondages effectués ces dix dernières années. Henri Mendras, « Les Français et l’armée », Revue de l’ofce, juillet 2003.

32 Si 30 % des militaires s’inscrivent dans une tradition familiale, cette proportion est identique en ce qui concerne les hommes politiques. Pour ne pas être aussi visible que chez les militaires, la hiérarchisation des responsabilités, des appellations et des postes, tout comme l’usage de codes sémantiques très typés, est une réalité interne très tangible des universitaires, des magistrats et des médecins, pour ne citer que ceux-ci.

33 Pourquoi Saint-Cyr ne formerait-elle pas aussi de futurs cadres de la nation après quelques années au service des armes, à l’instar de Sandhurst ?

34 Slogans dont l’auteur ne récuse ni le fondement ni la pertinence, mais se méfie d’une application exclusive binaire.

La «grande invisible » | H. Pierre
J.-L. Cotard | Les militaires sont-ils des in...