N°21 | La réforme perpétuelle

Anne Nivat
Les Brouillards de la guerre
Dernière mission en Afghanistan
Paris, Fayard, 2011
Anne Nivat, Les Brouillards de la guerre, Fayard

Voilà un reportage de belle taille, c’est le moins qu’on puisse dire, qui nous permet de découvrir l’Afghanistan sous le regard d’une « candide ». Il s’agit d’un véritable reportage et non pas d’un roman ou d’un essai, même si l’on y trouve tous les ingrédients de l’un et de l’autre. Parfois, les portraits qui nous sont présentés datent de quelques années. Il n’en reste pas moins que cette dizaine de descriptions laisse une impression différente de celle que l’on trouve dans la presse occidentale et, en particulier française.

Le lecteur y découvre des militaires canadiens francophones qui se préparent à partir pour le dernier mandat de leur armée au sein de l’isaf. Il les suit pendant leur séjour et à la fin de leur mandat, mais il découvre aussi la société civile afghane, hommes et femmes. Cela est d’autant plus facile que l’auteur, grand reporter, prix Albert-Londres en 2001, lauréat du prix littéraire de l’armée de terre Erwan-Bergot, est adepte de la technique de l’immersion, qui permet de vivre comme ceux qui l’accueillent. Avec les militaires, elle se déguise en « Robocop miniature » équipée de pataugas, « d’un pantalon beige ceinturé de poches multiples », et revêt lorsqu’elle se rend chez les Afghans « une tunique vert pâle à manches longues, au jabot brodé de rouge et brun, un pantalon bouffant et le large voile assorti ». Le châdri devient alors autant une protection réelle de l’anonymat que le moyen de prendre discrètement des notes. Le lecteur découvre les joies des nuits passées sur le toit d’une maison à Kandahar, la tension dans certains quartiers, l’obligation pour la population de ménager l’avenir et donc d’avoir des contacts avec les talibans. Elle va vers les uns, revient vers les autres, présente ses relations qui font des affaires dans les télécommunications, les travaux publics, les femmes actives qui acceptent de prendre des responsabilités. La rencontre avec des talibans montre à la fois que ces derniers ne sont pas isolés au sein de la population, mais aussi le courage du reporter et de son guide.

Le panorama qui en résulte, tant politique qu’économique ou militaire, est assez pessimiste pour ceux qui souhaitent voir s’implanter la démocratie dans le pays. Anne Nivat met en évidence l’incompréhension culturelle entre les Afghans et les Occidentaux. Elle est sceptique sur la coin (counter-insurgency) et sur les actions civilo-militaires. Si, dans son reportage, elle fréquente essentiellement les Canadiens et les Américains, elle aborde la politique française en Afghanistan dans l’épilogue. Elle regrette l’absence de débat en France sur ce sujet et les conséquences que cela peut avoir sur le moral des militaires. Le bilan global est donc pour elle loin d’être positif. Elle se fait même accusatrice en expliquant que les Occidentaux portent une lourde responsabilité dans « une situation qu’ils ont largement contribué à rendre inextricable ».

Ce livre permet de découvrir l’Afghanistan et la guerre qui y est menée sous un autre angle, et de donner quelques sujets de réflexion entre autres sur l’action militaire, sur l’importance de la cohérence entre les buts politiques et militaires.


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