« Ce n’est pas la parole qui est en nous, c’est nous qui sommes dans la parole… »
Jean-Louis Chrétien (Promesses furtives, Éditions de Minuit, 2004)
Que faire de ses blessures invisibles, oubliées, enfouies dans les secrets de la mémoire ? Le temps a passé, les conflits semblent loin, la nation tend à oublier. Et cependant, « ceux qui en reviennent », ceux qui en furent, ne peuvent oublier. Si leur corps est ici, leur esprit est encore là-bas. Ils voudraient être tout entiers « ici et maintenant » mais ne le peuvent pas toujours ! Là est le paradoxe de ces « blessures invisibles ». En apparence, la paix est là. La guerre est loin. Les canons se sont tus. Les corps sont cicatrisés. Le bien-être semble revenu. Mais sous la surface des choses, dans les esprits et les cœurs, des souffrances perdurent. Elles résistent, ne veulent pas partir et obligent le blessé-sans-blessure-visible à une cohabitation avec sa mémoire malheureuse qui a fini par prendre le pas sur l’autre. Cette autre mémoire est vivante, joyeuse, soucieuse d’emmagasiner les bons souvenirs. Alors, que faire ? Tout est là.
Quand il développe la philosophie des « commissions vérité et réconciliation », Desmond Tutu (prix Nobel en 1984) met en avant quatre idées-maîtresses pour ce travail de réconciliation des peuples et des personnes. Premièrement, dire la vérité sur le passé. La dire sans rien oublier ni pour autant se bloquer sur lui, comme s’il devait ne jamais passer. Mettre au jour le passé, surtout s’il est douloureux, meurtrier, fait d’injustices et de crimes, doit permettre de le débloquer – tel est du moins l’objectif. Deuxièmement : assurer la sécurité des personnes. Sans elle, la vérité ne peut pas advenir, le passé semble alors le plus fort avec, dans la foulée, le retour presque inévitable des conflits sanglants et des rancœurs accumulées. Troisièmement, instaurer une confiance nouvelle dans l’avenir. Le passé attire, il retient même les bonnes volontés au point de les rendre inertes, et pèse de tout son poids sur les bourreaux autant que sur les victimes. Il importe donc (comment ?) de rendre désirable l’avenir. Ce désir d’avenir, s’il s’instaure, devrait finir par rendre préférable la vie à la mort, la nation harmonieuse aux conflits des groupes entre eux. Quatrièmement : permettre l’établissement d’une paix durable. Cette paix intervient au bout des multiples réconciliations entre personnes, groupes, communautés. Elle les parachève. Elle finit par désarmer les groupes mais surtout, toutes les raisons qui poussent à poursuivre la guerre civile. La parole, comme nous allons le voir, est ce qui permet, d’une part, de redonner vie à la mémoire et, d’autre part, une mise en récit pour mieux revivifier cette mémoire.
Pour aborder cette question des « blessures invisibles », voyons, dans un premier temps, en quoi elle est d’abord liée au drame d’une mémoire douloureuse, puis, dans un deuxième temps, nous verrons que la plus grande des exigences tient à cette réconciliation avec cette mémoire en douleur. Et pour finir, il nous faudra regarder de plus près ce travail de la parole comme un travail de réconciliation avec soi-même.
- Le drame de la mémoire douloureuse
et le moyen de se réconcilier avec elle
De quoi est-il question avec ces « blessures invisibles » ? Avant tout de cette mémoire portée en soi, douloureuse, vive jusqu’aux blessures, fantomatique et qui ne passe toujours pas. Elle demeure malgré tout au point de devenir un passager clandestin, indésiré, remuant. Il nous faut donc, dans un premier temps, mieux cerner le travail de la mémoire qui ne se fait pas, ou mal.
- Tout en revient à la mémoire, au « poids mort » qui est en elle
Comment mieux cerner ce « corps étranger » qui est logé dans la mémoire, l’alourdit, lui fait perdre sa vitalité ? Poids mort. Mémoire morte. Corps étranger. Cette mémoire est d’autant plus morte qu’elle n’est pas visitée par de la parole. Dès lors, la réconciliation est impossible. Elle ne se fait pas. Se bloque. Se fige sur elle-même et n’arrive pas à retrouver sa fluidité. Nous verrons que la réconciliation vient en quelque sorte dégripper la mémoire, la débloquer.
Le drame des blessures invisibles provoque toute une série de congestions mémorielles. L’oubli nécessaire devient incertain et souvent impossible. Le passé ne passe pas. Des gangrènes mémorielles s’installent. La mémoire perd de sa fluidité, devient lourde, pour ne plus réussir à digérer l’ancien et à s’alimenter avec du nouveau. À côté de la mémoire vive grossit une tumeur mémorielle aussi malade que les traumatismes qu’elle porte et les horreurs vécues. Dès lors, quand la mémoire connaît une apoplexie mémorielle, quand le processus naturel d’acquisition et d’oubli ne s’opère plus, cette tumeur finir par grossir, s’imposer et, en fin de compte, prendre le pouvoir, n’est plus à disposition de l’intelligence (comme un grenier nourricier dans lequel tout est à disposition), mais fait pression sur la conscience, l’envahit et vient hanter l’inconscient – celui des rêves et des respirations spirituelles nocturnes.
Deux perturbations sont constatées. D’une part, un impossible oubli. La mémoire devient douloureuse et finit par se retourner contre celui qui la porte – comme un ennemi de l’intérieur. La quiétude ne s’installe pas. Ni elle ni cette « mémoire heureuse » (évoquée par Paul Ricœur) qui devrait, normalement, toujours prendre le dessus. D’autre part, la mémoire n’arrive plus à se réconcilier avec elle-même. Une mauvaise conscience apparaît : comment oublier ses malheurs sans se trahir soi-même et trahir les siens ? Mais alors, comment passer à autre chose, comment tourner la page quand le passé finit par vampiriser les mémoires ? D’heureux, le sujet devient malheureux. Divisé en lui-même il vit, malgré lui, une sorte d’auto-guerre-civile mémorielle. Il devient trop fidèle à son malheur et bien incapable de lui faire des infidélités. Il déteste en lui ce qui l’empêche de vivre et n’arrive pas à trahir son malheur.
- Un travail de réconciliation de la mémoire avec elle-même
Comment sortir de la mémoire malheureuse ? Cette sortie ne peut se faire qu’en atteignant les trois étages de la mémoire. Premier étage : la mémoire intime, celle qu’il faut recoudre, pour éviter ce renvoi permanent de soi sur soi-même dans un tumulte belliqueux et une confusion guerrière qui peut aller jusqu’à une auto-guerre-civile. Deuxième étage : les mémoires partagées avec les voisins, les amis, les passants alentours. Comment se réconcilier avec celui-ci qui était un traître, avec cet autre qui fut bourreau, et ce troisième qui tortura ? Et pourtant, ne le faut-il pas pour cicatriser le groupe et éviter les partitions et les haines transmises de générations en générations ? Troisième étage : la mémoire collective. Mémoire d’une cité, d’une région, d’un pays, d’une nation, qui, elle aussi, fut tiraillée par les conflits et brisée par les malheurs du temps.
Une question alors se pose : comment trouver en soi la ressource suffisante pour accéder à la joie d’oublier ? Comment parvenir à une mémoire réconciliée – la réconciliation étant un besoin infini ? Où aller puiser ses ressources ? Comment œuvrent-t-elles ? Et s’il est aisé de faire l’inventaire du travail à faire, s’il est possible de mettre en place les structures publiques pour le permettre, il est plus délicat de lancer, de l’extérieur, ce processus − car la mobilisation des ressources personnelles ne se fait pas par décret. Pour y parvenir, ne faut-il pas mobiliser en soi un surcroît d’énergie personnelle ? Énergie pour témoigner de ses blessures, pour raconter son malheur, pour accepter de laisser derrière soi son passé douloureux, pour laisser un deuil se faire en soi – comme quand les chairs cicatrisent et que la peau finit par effacer les traces des blessures. Cette ressource cicatrisante, avant tout culturelle, psychologie, spirituelle, gît dans le tréfonds moral des individus, à la jointure de l’amour morbide de son malheur et du désir de faire prévaloir des forces de vie plus fortes que tout. Nous retrouvons là les mécanismes de la « résilience », bien expliqués par Boris Cyrulnik. Car, pour désirer une réconciliation, pour se réconcilier avec soi-même, pour faire prévaloir la paix en soi, encore faut-il laisser, en son for intérieur, les forces de vie prendre le pas sur les forces de mort !
Tout débute toujours par un travail de nomination, d’énonciation : nommer son malheur, dire son traumatisme, désigner son ennemi, reconnaître sa part d’innocence. Pas de paix sans mots justes – des mots ajustés à ce qu’il faut exorciser. Pas de justice sans reconnaissance des fautes des uns et des injustices des autres ! Ce travail de désignation permet de reprendre le dessus, de faire prévaloir un récit structuré sur un malheur aphone et émietté. Une règle s’est imposée face au mutisme personnel : l’impératif de la narration. Se dire. Se raconter. Devenir un récit. Transmettre une histoire. Et cette mise en intrigue, contre la mise en abîme, est une manière de se raconter « autrement » − et tout tient à ce dernier mot. Un autre que moi émerge qui est moi sans être moi. Du jeu (comme ce qui s’ajuste mal) est introduit dans le Je – un « Je » qui devient « un autre ». Une fissure apparaît qui augmente avec les mots et les phrases qui s’y déversent. Alors, le malheur n’assomme plus autant, il s’éloigne un peu de moi et permet d’instaurer une distance salvatrice entre soi et soi-même. Quand le malheur est exprimé, il relâche un peu ses mâchoires, desserre son étau. La « guérison » vient de cette « distance » introduite entre moi et moi-même de manière à revenir au moment du traumatisme. Y revenir et le reprendre pour espérer rendre audible l’inaudible, exprimable l’inexprimable, admissible l’inadmissible.
Tout est alors une question d’identité. Ricœur distingue deux identités personnelles : l’idem (le même, ce qui en moi ne change pas et assure ma permanence) et l’ipse (ce qui change, qui est lié à ma condition historique). Le malheur englue, en quelque sorte, l’une et l’autre de ces deux identités et aussi le va-et-vient qui existe entre elles. Tout est figé. Et la mise en récit, en intrigue, en mots, en exposition ne peut plus alimenter le stable par le changeant, le permanent par l’histoire. Comment, dès lors, refaire fonctionner cette circulation entre les deux identités ? Paul Ricœur insiste, quand il est question de la reconnaissance, qui est un parcours, sur la restauration des différentes capacités de l’homme1. Il en distingue quatre. La capacité de parole tout d’abord. Dire. Se dire. Se redire après un mutisme prolongé. La capacité d’action ensuite. Agir sur l’événement, refaire corps avec lui, se réinscrire dans le cours du monde après un abattement, une impuissance totale, une soumission à ce qui vous a collé au sol, sans souffle. Puis, la capacité de se raconter. Nous retrouvons là la « mise en récit », la cohérence a posteriori permise par la narration pour reprendre le dessus et disjoindre l’homme de son malheur. L’imputation morale enfin. Faire la part des choses entre l’innocent et le coupable, reconnaître le premier et désigner le second. Le faire comme une nécessité morale alors que le malheur brouille les repères, donne de la culpabilité aux innocents et empêche l’établissement des frontières morales.
Ces retrouvailles de l’homme avec ses capacités s’opèrent par un travail en soi du deuil. Le deuil au double sens d’une douleur (dolus en latin) qui nous travaille et au bout de laquelle il faut aller pour en sortir, et d’un duel (doel en vieux français) avec le malheur qu’il faut finir par tenir en joue. Le deuil, avec ses rituels, est précisément, nous dit Patrick Baudry, l’établissement d’une séparation entre les vivants et les morts, entre ce qui est mort en nous et cet « appel des morts » qui invite les vivants à les rejoindre dans la tombe2. Il faut « se défaire de la mort du mort », disent les Mina – peuple d’Afrique.
- La parole comme moyen de se réconcilier avec soi-même
Nous voudrions, ici, indiquer certaines pistes permettant de se retrouver – et de le faire avant tout par une parole mise en forme (ou en récit) et mise en commun (ou en partage).
La cicatrisation est avant tout un état d’esprit. Elle est un parcours, un parcours pour le dévoilement de la vérité afin de permettre d’établir une réconciliation de longue durée, qui fait corps avec le temps. Sans l’« esprit » de la réconciliation, qui travaille les cœurs et les consciences, la « lettre » de la réconciliation est creuse. Une authentique réconciliation suppose, avant tout, la mobilisation de toutes les bonnes volontés pour ménager les victimes et aménager un avenir commun à tous. Avant d’être des protocoles, des procédures, des confrontations, des réparations, la réconciliation est une commune disposition d’esprit faite de reconnaissances nécessaires, de sacrifices indispensables, de sanctions acceptées et de vérités douloureuses à partager en commun.
Tous les instruments élaborés pour permettre l’établissement de la vérité et l’instauration d’une réconciliation stable, sans retour en arrière, restent des instruments au service d’un « savoir-faire ». Ils supposent une dextérité dans l’usage, une fermeté dans la pratique et une souplesse dans les mises en œuvre. Nous ne parlons pas ici de la justice de tous contre certains – comme pour la « justice des vainqueurs » –, mais de la justice de tous pour tous. La réconciliation devient alors une nécessité. Pour parvenir à des résultats, fussent-ils incertains, elle doit s’appuyer sur une intelligence réparatrice. D’où une infinie prudence quant aux chemins à emprunter.
« Il n’existe pas, dit Desmond Tutu, d’itinéraire pratique de la réconciliation. Il n’existe pas de raccourci ou de prescription simple pour cicatriser les blessures et les divisions d’une société après des violences prolongées. Créer un climat de confiance et de compréhension entre anciens ennemis est un défi extrêmement difficile à relever. Cependant, c’est un défi auquel il est essentiel de s’attaquer dans le processus de construction d’une paix durable. »
Nous retrouvons là la notion de « prudence » mise en avant par Aristote3. Notion que nous pouvons aussi traduire par « sagacité » ou « sagesse pratique ». Dès lors, ces processus sont périlleux, comme l’est la sagesse pratique, et nécessitent l’adhésion du plus grand nombre. Disons-le autrement : comment changer les esprits et orienter autrement les cœurs ? Comment établir un « consensus » (sorte d’unité symbolique entre tous), seul capable de permettre l’établissement d’une paix durable4 ? Deux qualités sont indispensables : une obstination déraisonnable et une humilité farouche.
Que viennent donc restaurer la parole et ce retissage des fils de la réconciliation ? Avant tout la confiance. Elle est invisible. Et pourtant, quand elle fait défaut, elle provoque des blessures tout aussi invisibles – mais ô combien réelles ! Les blessures du corps sont une chose. Elles répondent aux règles de l’anatomie et peuvent être guéries par le génie réparateur de la médecine, et le savoir-faire des médecins. Les blessures spirituelles font perdre pied – et désarment d’autant plus qu’elles sont invisibles aux yeux. Pour les « soigner », encore faut-il (comment ? tout est là) réparer l’ordre moral (personnel et collectif) qui fut brisé. Il est question de confiance (fides en latin) à restaurer – au sens de la foi commune, de la confiance des uns vis-à-vis des autres, de la responsabilité de l’homme pour le monde. Car ces violences, ces crimes, cette sauvagerie, ces haines ont ébranlé bien des croyances, bien des manières d’adhérer au monde et de faire corps avec lui et avec les autres humains. Elles ont surtout, avant tout, ébranlé la plus précieuse de toutes les croyances, la première d’entre elles, celle qui rend toutes les autres possibles : la « croyance au monde » – selon l’expression de Husserl.
De quoi s’agit-il ? Sommes-nous posés sur la surface du monde comme des insectes sur l’eau ou sommes-nous parties prenantes d’un monde établi par nous, entre nous et pour nous, qui est notre « monde commun » ? Ce passage, invisible, d’un sentiment d’appartenance à une impression d’étrangeté à tout, comme si je ne faisais plus partie du monde, tient, avant tout, à une perte de confiance. Et quand la confiance s’amenuise, s’étiole, s’effiloche, s’amenuise aussi l’idée que nous nous faisons de ce monde entre nous, qui nous relie et nous unit. Cette perte, invisible, secrète, quelle est-elle ? Elle est celle d’un « sol universel » sur lequel s’appuyer, avancer, construire, bâtir. Sol de l’équilibre. Sol de la marche. Sol de la stabilité. Sol de l’établissement. Sol de l’habitation. Quand Primo Levi décrit la condition de ceux qui sont revenus des « camps de la mort », il insiste sur un « sentiment de faute » et une « honte du monde »5. Ce sentiment et cette honte peuvent perdurer bien longtemps après la sortie hors des camps.
Comment, dès lors, pour ceux qui ont vécu un traumatisme (sans aller jusqu’aux horreurs nazies), restaurer la confiance et surtout cette confiance originaire – qui permet à toutes les autres confiances d’apparaître ? Comment, sinon par un travail de restauration intérieure, par une reconstruction de notre potentiel de confiance personnelle, par une auto-réhabilitation, un gonflement de l’estime de soi ? Tous ces éléments constituent autant de composantes de ces ressources spirituelles individuelles qui nous façonnent de l’intérieur et nous permettent de surmonter les crises et d’affronter les blessures invisibles. C’est pourquoi Desmond Tutu préfère parler de « justice restauratrice »6. Il faut de la restauration, il faut retrouver la stabilité sur un même sol commun pour accepter de reprendre pied.
Ces retrouvailles avec soi-même supposent un retour sur soi, un retour en soi. Nous sommes là en lisière du psychologique et du spirituel, au bord des ressources personnelles profondes qui, si elles ne sont pas apaisées, troublent un individu dans tous les compartiments de sa manière d’être. Ces retrouvailles intimes s’effectuent par un retour en soi, une réconciliation avec soi-même. Cette auto-justice réparatrice renvoie, bien entendu, à un geste religieux ou à un fond religieux en soi. Car, de toutes les manières possibles, la réconciliation vise à se tourner vers un autre que soi, vers cet autre en soi qui ne demande qu’à apparaître au grand jour. Ce geste essentiel, d’où vient-il ? Nous en revenons à ce geste essentiel de retournement vers Dieu – le tout Autre, le Grand Autre, l’Autre en soi. Quelle est la grammaire qui est ici convoquée ? Celle des religieux avec comme référence la Teshuvah hébraïque7 –, qui suppose de se retourner vers soi et sa communauté, et de le faire quand les temps sont favorables. À quelle figure renvoie-t-il ? À ce retournement pour s’affronter, se faire face et donc parvenir à une pacification – comme quand on fait la paix avec soi-même et les autres.
Tout est affaire de conversion – et de retournement (metanoia) – pour un nouveau départ. Ce geste de repentance passe par les mots et leur pouvoir salvateur quand, mis au bon endroit, au bon moment, ils permettent de guérir les cœurs et de purger l’âme. La reconstitution des douleurs, leur exposition, la place accordée aux récits des victimes et la considération que les commissions leur accordent8 participent de cette « thérapie par la parole », qui est un des éléments de travail purgatif de réconciliation.
Le pardon est l’horizon de la réconciliation. Dieu ne pardonne pas de lui-même, sans nous, par un coup de force amoureux. Non. Le pardon ne se décrète pas du haut, par le Très-Haut. Il est avant tout une affaire humaine, un « pouvoir humain ». Et Jacques Derrida, après l’expérience sud-africaine, reprend cette question et constate que cette notion de pardon vient d’un « héritage singulier », d’une « mémoire abrahamique des religions du Livre »9. Pourquoi ? Avant tout pour reposer sur le caractère « sacré » de l’« humain » qui « trouve son sens » dans une interprétation juive, mais surtout chrétienne, du « prochain » ou du « semblable »10. Paul Ricœur aussi insiste sur l’inscription de cette « énigme du pardon » (qui est capable de délier un coupable, de le séparer de son acte) dans l’« espace de sens » des religions du Livre11.
Ce pardon, qui s’appuie sur des ressources spirituelles, montre les limites du droit, de la politique, de la justice et même de la psychologie quand il s’agit de reconquérir sa dignité, de retrouver une estime de soi, de se réconcilier avec soi-même et avec les autres. Comment aller puiser dans nos ressources amoureuses qui sont au-delà de nous ? Comment activer en soi ces ressources d’amour, seules capables de pardonner, en allant au-delà de la faute, de la cicatrice, des blessures invisibles ? « Enlevez l’amour du cœur : la haine prend sa place, il ne sait plus pardonner », précise saint Augustin12. « Mais si l’amour est là, il pardonne paisiblement et sans restriction. » Il faut donc que l’amour soit là, toujours là.
Comment comprendre ce que nous dit Augustin ? Revenons au sens premier du pardon tel qu’expliqué par le grand rabbin Bernheim : il n’efface pas la faute mais la recouvre (kapar, kippour). De cette dette, je ne tiens plus compte, je renonce à me la faire payer ou à exercer vis-à-vis d’elle le droit du créancier ou un droit de suite. Il s’agit donc d’un don complet (per-donare), gratuit, d’un don par-dessus le don, sans raison raisonnable sinon celle, « folle » dit Jacques Derrida, de rompre le cycle de la violence, de la vengeance, de la faute et du remords. Seul l’amour recouvre et pardonne. Et s’il n’est plus là, le besoin de vengeance revient et avec lui la haine.
- La réconciliation, une arme à double tranchant
La démarche de réconciliation se dirige vers le pardon, tend à le faire advenir, en passant par les mille et une formes de la reconnaissance. Ce processus reconnaît la faute, la nomme pour mieux la recouvrir et non l’effacer. Il se résume à cette formule : « Tu vaux mieux que tes actes. » Cette puissance de réconciliation permet de ligaturer le péché (le péché étant un mal orienté vers le pardon) et de retrouver une « mémoire heureuse ». Que dire de cette puissance ? Elle est une ressource pharmacologique. Le pharmakon, pour les Grecs anciens, est à la fois ce qui tue et ce qui sauve, à la fois le poison et le médicament. Tout est question de juste dosage. Trop de réconciliation de pure forme, sans reconnaissance authentique, avec trop d’amnésie et des réparations injustes, tue la réconciliation et détruit, à terme, la cité pour la faire retomber dans la guerre de tous contre tous.
C’est la raison pour laquelle Paul Ricœur insiste sur la double nature du pardon dans l’horizon de la réconciliation. Il est à la fois une odyssée et un don. Une odyssée, comme pour Ulysse, au sens d’un cheminement, d’une traversée partagée, d’une épreuve commune avec différentes épreuves qui sont autant d’étapes de nomination et de reconnaissance. Un don, aussi. Tout par-don est à considérer comme un trait d’union entre un désir de réconciliation et une culpabilité reconnue. Il emprunte toujours, d’une manière ou d’une autre, les chemins de la conversion quand la mémoire retrouve la faculté « positive » d’oubli telle qu’indiquée par Nietzsche13 quand il insiste sur « la forme plastique de la mémoire » qui permet de « transformer et d’incorporer le passé et l’étranger, de cicatriser ses plaies ».
Retrouver cette plasticité de la mémoire et donc sa capacité d’oubli, sa capacité digestive, permet de rompre avec un « trop-plein de mémoire », selon l’expression de Paul Ricœur, qui finit par nous rendre étrangers à nous-mêmes. S’agit-il tout bonnement d’oublier ? Non. L’oubli est un poison. Le remède est dans le pardon. Encore faut-il ne jamais oublier la qualité du pardon si bien comprise et si judicieusement exprimée par Kierkegaard : « Le passé n’est pas oublié purement et simplement, il est oublié dans le pardon. Chaque fois que tu te souviens du pardon, le passé est oubli ; mais quand tu oublies le pardon, le passé alors n’est plus oublié et le pardon est perdu14. » Le pardon est donc une double mémoire quand l’oubli est un double oubli. Le pardon est un surcroît de mémoire quand l’oubli est une amnésie. Lier ensemble le passé et le pardon du passé, les ligaturer ensemble nous conduit à stimuler, en nous, des réserves infinies de réconciliation, là même où gisent en nous des ressources qui nous excèdent. Ainsi, nous allons vers un inespéré spirituel plus « intime que notre intimité ».
1 Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Paris, Gallimard, « Folio », 2004, pp. 149-177.
2 Patrick Baudry, La Place des morts. Enjeux et rites, Paris, Armand Colin, 1999.
3 La prudence (la Phronésis) est « une disposition (d’esprit) accompagnée de règles vraies, capable d’agir dans la sphère de ce qui est bon ou mauvais pour l’être humain » (Éthique à Nicomaque, VI, 5).
4 Sandrine Lefranc nous le dit bien : « La paix durable n’est concevable qu’appuyée sur un consensus. » Consensus entre les parties, entre les clans, entre les personnes, entre les victimes et les bourreaux (Politique du pardon, Paris, puf, 2002, p. 21).
5 Primo Levi, Les Naufragés et les Rescapés : quarante ans après Auschwitz, Paris, Gallimard, 1989, p. 76.
6 Desmond Tutu, « Pas d’amnistie sans vérité », Esprit, décembre 1997.
7 Ce mot (Teshuvah) signifie « s’engager en retour », nous dit le grand rabbin Bernheim (message pour Kippour, 13 septembre 2012). « Retour à Dieu, retour sur soi-même. » Il s’agit, ajoute-t-il, de « se réorienter dans sa relation au monde, à autrui, à Dieu ». Et la tradition talmudique rapporte que « la Teshuvah a été créée avant le monde ». Ainsi, « elle garantit à l’homme la possibilité de modifier le cours de sa vie », car « l’existence du pardon conditionne l’existence de l’humanité ».
8 Un des membres des commissions vérité et réconciliation d’Afrique du Sud dit au frère d’une victime : « Nous espérons sincèrement que, par ce processus, votre guérison peut commencer parce que la nation reconnaît ce qui vous est arrivé » (cité par Kora Andrieu, La Justice transitionnelle, Paris, Gallimard, « Folio-Essais », 2012, p. 397).
9 Il faut, par cette expression, dit Jacques Derrida, « prendre en compte l’effet de christianité romaine qui surdétermine aujourd’hui tout le langage du droit, de la politique… » (Foi et Savoir, Paris, Le Seuil, 1996, p. 108).
10 Ibid, p. 106.
11 Paul Ricœur, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Paris, Le Seuil, 2000, p. 641.
12 Cité par Jean-Louis Chrétien, Saint Augustin et les actes de paroles, Paris, puf, 2002, p. 230.
13 Dans sa Seconde Considération intempestive.
14 Soren Kierkegaard, L’Évangile des souffrances, cité par Jean-Louis Chrétien, L’Inoubliable et l’Inespéré, ddb, 1991, p. 111.
“It’s not the words in us, it’s us in the words”
Jean-Louis Chrétien (Promesses furtives, Éditions de Minuit, 2004)
What can be done about a soldier’s invisible wounds: those that are forgotten or buried in the secret depths of the person’s memory? Time has passed, the conflicts seem distant and the nation tends to forget. And yet, those who return, those who were part of it, cannot forget. While their bodies are here, their minds are still there. They would like to be wholly in the “here and now” but cannot always do that! That is the paradoxical side of the “invisible wounds”. We appear to have peace, and war is distant. The guns have fallen silent, bodies have healed and well-being seems to have returned. Below the surface, however, in minds and hearts, suffering continues. It holds out, not wanting to leave, and obliges those who are wounded yet have no visible wounds to coexist with their unhappy memories, which end up on top in the struggle with the other memories that are alive, joyful and concerned to hold on to the good times. What can be done? Everything is there.
When Desmond Tutu (Nobel laureate in 1984) developed the philosophy of the Truth and Reconciliation commissions, he promoted four main ideas for the work of reconciling people and nations. First, they should express truth about the past, without forgetting anything and yet not looking at things exclusively from its own perspective, as if it would never end. The truth expressed should expose the past to daylight, especially if that past was painful, deadly, composed of injustices and murderous crime; this should make it possible to move on, which is after all the intention. Second, they should ensure people’s safety. Without that, the truth could not emerge, the past in that case seeming to have a stronger hold, resulting as a consequence in an almost-inevitable return of bloody conflict and cumulative resentments. Third, they should establish a new confidence in the future. The past attracts and has a hold even over people of goodwill, to the point of rendering them impotent, exerting all its weight on the oppressors as much as on their victims. It is therefore important (but one wonders how) to make the future desirable. If a desire for the future becomes established, it should result in making life preferable to death, and a harmonious nation preferable to inter-group conflict. Fourth, they should allow a lasting peace to be established. Such a peace would come at the end of a sequence of reconciliations between individuals, groups and communities, putting the finishing touches. It would end by disarming the groups and, more importantly, removing all the reasons for pursuing civil war. Words, as we will see, are what make it possible both to revive active remembering and to establish an account, assisting this revival of remembering.
To deal with the question of invisible wounds, we should initially look at how it is connected with the drama of painful memories, and we will then see that the greatest need relates to this reconciliation with painful memories. To end, we will have to look more closely at this effort of expressing things in words, as an effort to become reconciled with oneself.
- The drama of painful memories,
and how to become reconciled with them
What are we talking about when we speak of “invisible wounds”? In particular, we are talking about memories we carry that are painful, “live” to the point of being injurious, and ghostly. They never come to an end, remaining in spite of everything, and becoming clandestine passengers, unwished for and disruptive. We must therefore start by getting a better hold over the remembering efforts that are not succeeding, or only badly.
- Everything comes back to memories, and to the deadweight within them.
How can we get a better grip on these “foreign bodies” that have taken residence in people’s memories, weighing them down and destroying their vitality? The memories are a deadweight, somewhat akin to read-only memory: foreign bodies, indeed. The memories are all the more inert for not being expressed in words. This makes reconciliation impossible. It cannot be done; it’s stuck, bogged down and unable to continue moving. As we will see, reconciliation is able, in a way, to unblock the system.
The drama of invisible wounds produces a whole set of blockages in people’s memories. The forgetting which is needed becomes unreliable, and often impossible. The past doesn’t let go, and gangrene of the memory sets in. The apparatus of memory loses its fluidity and becomes a weighty burden, unable to digest old memories and take nourishment from new ones. Alongside the still-active part of the memory apparatus, a tumour is growing, diseased by the traumatic recollections of horrors it holds. As a result, when the apparatus of memory seizes up and the natural processes of memory acquisition and forgetting no longer function, there is growth of the tumour, which becomes dominant and ends up by taking over, no longer amenable to rational thought (like a food store in which everything is freely available). It does, however, exert pressure on consciousness, invading it and haunting the unconscious: the domain of dreams and nocturnal refreshment of the mind.
We can note two types of disturbance. On the one hand, forgetting being impossible. Remembering becomes painful and ends up turning against the person with such memories: an “enemy within”. Peace of mind cannot be achieved. Nor can “happy memories”, as mentioned by Paul Ricœur; in the normal course of events, these should always come out on top. On the other hand, the apparatus of memory can no longer become reconciled with itself. An unhealthy awareness appears. How can one forget one’s painful experiences without betraying oneself and one’s peers? And if forgetting is impossible, how can one move on, with the past having taken over one’s store of memories? From being happy, the person becomes unhappy, with a split in his consciousness, living, in spite of all his efforts, his very own civil war of the memory function. He becomes too loyal to memory of the painful experiences, unable to be disloyal to them. He hates what is inside him that prevents him from living and yet is unable to betray the painful experiences.
- The work of reconciling memory with itself
How can one leave the painful memories behind? Emerging from them can be done only in three stages. The first stage involves intimate memories: those that have to be sewn up again, in order to avoid constantly returning to the internal struggle in a bellicose tumult and warlike confusion that really can result in a personal civil war. The second stage involves memories shared with neighbours, friends and acquaintances. How can one be reconciled with someone who was a traitor, with someone else who bullied and with a third person, who was a torturer? And yet, isn’t it necessary, in order to bring healing to the group and avoid the divisions and hatreds being communicated from generation to generation? The third stage involves collective memories: those of a residential complex, a region, a country or a nation which was also torn apart by conflict and exhausted by the painful experiences of the times.
This raises a question. How can one find appropriate resources within oneself to achieve the joy of forgetting? How can one arrive at a reconciled memory, given that reconciliation is a need of infinite extent? Where can one go to find the resources? How do they work? While it may be easy to make an inventory of the work to be done, and even possible to establish jointly-owned organisations that make it possible, it is more difficult to get the process started from outside − as mobilising a person’s own resources cannot be done by a governmental order. To succeed, is it not necessary to mobilise an excess of personal energy within oneself? The energy is needed to testify about one’s wounds, to give an account of one’s painful experiences, to agree to leaving one’s painful past behind, to allow internal mourning to take place: processes comparable to the healing of physical wounds, with the skin left free of scars. This “healing resource”, which is primarily cultural, psychological and taking place in the mind, lies in individuals’ moral depths, where a person’s morbid love of his painful experiences meets his desire for the supremely strong life forces to come out on top. Here, we are getting back to the “resilience” mechanisms that were well explained by Boris Cyrulnik. This is because, to desire reconciliation, to be reconciled with oneself, and to ensure that peace gets the upper hand within oneself, it is again necessary to let one’s internal life forces get the better of the death forces.
Everything always begins with an effort of naming and stating: putting a name to one’s painful experiences, expressing the trauma, pointing to one’s enemy and recognising one’s share of innocence. There is no peace without the right words – words that are appropriate for what has to be exorcised. There is no justice without recognition of one group’s misdeeds and the other group’s injustices! This effort of naming and stating makes it possible to get back on top and ensure that a structured account wins out over a voiceless and fragmented painful experience. One rule has got the better of personal silence: the absolute necessity of giving an account: telling yourself, recounting to yourself what happened, becoming part of the story and communicating history. This placing within a story, in opposition to casting into the abyss, is a way of telling one’s story “differently”, this word being critical. A person different from myself emerges: a person who is me, and yet is not me. From components that do not fit together at all well comes a slightly different arrangement and a different – and better-adjusted – me. A split appears, increasing as the words and sentences pour out. Yet the painful experience is not vanquished; it moves a bit away from me and enables life-saving distance to be established between me and myself. When painful experience is expressed, the grip of its jaws is slackened somewhat and the vice grips less tightly. “Healing” arises from this creation of distance between me and myself, making it possible to return to the moment of trauma, returning there and taking it back in order that the inaudible can be heard, the inexpressible can be expressed, and the inadmissible can be admitted.
Then, it is all a matter of identity. Professor Ricœur made a distinction between two personal identities: the idem (“the same”, what, within me, does not change and constitutes what is constant about me) and the ipse (what does change, and is associated with my historical situation). Painful experiences result in both of the person’s identities, and also the interaction between them, getting bogged down. Nothing is able to move. Expressing the situation in a written account, a story portrayed in words to disclose what is going on, can no longer colour what is stable by what is changing and what is permanent by what is historic. Given this situation, how can interaction between the two identities be made to resume? When it comes to recognition (seen as a type of journey), Professor Ricœur stresses the restoration of a person’s various capabilities, distinguishing four of them. First, there is the capacity to use words, saying, telling oneself, and re-telling oneself, after a prolonged period of silence. Then, there is the capacity for action: acting in response to an event, being reunited with it, resuming one’s place in the course being taken by the world after a severe diminution, complete impotence and a submission to what held you breathlessly unable to get up from the ground. Third, there is the capacity to tell oneself the story. Here, we again find the idea of consigning to an account, with a posteriori consistency allowed through narration in order to get back on top and separate the person from his or her painful experience. Lastly, there is the moral attribution: making an allocation between the innocent and the guilty, recognising the former and pointing out the latter; and doing it as a moral necessity even though the painful experience is obscuring all the signposts, making those who are innocent guilty and preventing moral boundaries from being established.
This reuniting between the person and his or her capabilities comes about through an effort of internal mourning, a word which, for Professor Ricœur as a Francophone, has two meanings: pain, which shapes us and which we must pursue to the end, in order to find our way out, and a duel with the painful experience, which must be kept in one’s sights. Mourning and its rituals are, says Patrick Baudry, precisely a matter of effecting a separation between the living and the dead; between what is dead within us and the “call from the dead”, who are inviting the living to join them in the grave. You need to “break away from the deaths of the dead” as the Mina people of Africa say.
- Words as a way of becoming reconciled with oneself
Here, we would like to indicate certain avenues for re-finding oneself, doing it primarily through structured words (in an account) that are shared.
Healing is, above all, a state of mind. It is a journey: one to reveal the truth in order to allow reconciliation to be established in the long term, taking shape over time. Without respect for the “spirit” of reconciliation, shaping hearts and minds, the “letter” of reconciliation is hollow. Genuine reconciliation requires, as a starting point, mobilisation of goodwill on everyone’s part, in order to treat the victims gently and develop a future for everyone. Before taking the form of protocols, procedures, confrontation and rectification, reconciliation is a common predisposition, resulting from recognising what is necessary, making the sacrifices that are absolutely essential, accepting sanctions and sharing painful truths.
All the instruments created to allow the truth to be established and stable reconciliation to be instituted, with no going backwards, remain instruments serving the goal of practicality. There is an assumption of skill in using the instruments, firmness in making use of them and flexibility in implementing a plan. Here, we are not talking about everyone’s justice against some parties – such as “winners’ justice” – but of everyone’s justice for everyone. Reconciliation then becomes a necessity. To succeed in getting results, however uncertain those results might be, reconciliation must rely on reparative knowledge, and hence infinite caution with regard to the route to be taken.
As Archbishop Tutu said, “There is no handy roadmap for reconciliation. There is no short cut or simple prescription for healing the wounds and divisions of a society in the aftermath of sustained violence. Creating trust and understanding between former enemies is a supremely difficult challenge. It is, however, an essential one to address in the process of building a lasting peace.”
Here, we again find the idea of a prudent form of wisdom, as advocated by Aristotle. His word, phronesis, is sometimes translated as “practical wisdom” or “intelligence”. These processes are accordingly hazardous, needing co-operation from the greatest number of viewpoints. This can alternatively be expressed as: “How is it possible to change people’s minds and produce a change in their hearts? How can a ‘consensus’ (symbolising universal agreement) be established, that being the only way to attain lasting peace?” There are two essential aspects: unreasonable obstinacy and unshakable humility.
What, then, will restore dialogue and serve to reconnect the threads of reconciliation? The most fundamental factor is trust: something invisible, yet when it is absent it produces wounds that are similarly invisible – but only too real! Physical wounds are one thing. They respond to treatment in accordance with anatomical principles, and can be healed by the reparative genius of medicine together with doctors’ expertise. Wounds of the mind stop those who experience them in their tracks – and are all the more disabling for being invisible. In order to treat them, it is also necessary to repair the (personal and collective) moral order that has been broken (but how? That is the whole problem!). It is a matter of trust needing to be restored, involving a shared faith and each party having confidence in the others, together with people feeling a responsibility towards the world. The violent acts, murderous crimes, savagery and hatreds have certainly undermined many beliefs and many ways of participating in the world and being part of it, along with other human beings. Most especially, the violent and criminal acts have undermined the most precious and most fundamental of beliefs – the one that makes all the others possible – belief in the world (as Husserl expressed it).
What are we talking about? Are we placed on the surface of the world, like insects on the water, or are we active participants in a world established by, between and for human beings: our common (or shared) world? Going, invisibly, from a feeling of belonging to a feeling of being outside everything, as if one were no longer part of the world, involves, above all, a loss of trust. And when trust is diminished, wilts and frays, there is also a reduction in the feeling that the world is something we fashion, together with others, bringing us together and uniting human beings. What is this invisible and secret loss? It is a loss of a “universal soil”, on which we can rely, progress, construct and build: a soil of balance, of steps that can be taken, of stability, of establishing and of living. When Primo Levi described the situation of those who returned from the “deathcamps”, he stressed feelings of guilt and of being ashamed of the world. The feelings of guilt and shame can last long after leaving the camps.
How, then, for those who have experienced trauma in their lives (without necessarily going as far as the Nazi horrors), is trust to be restored, in particular the original trust that made it possible for all the other cases of trusting to emerge? How, if not by an effort of internal restoration and reconstruction of our personal potential to trust, and by self-rehabilitation and a boosting of self-esteem? All these elements serve as components of individual resources of the mind that shape us from the inside and enable us to overcome crises and confront the invisible wounds. Archbishop Tutu therefore prefers to talk about “restorative justice”. We need restoration, and we need to return to stability on the same, shared, soil, in order to agree to resume the dialogue.
This renewal of ties with oneself presupposes some soul-searching and returning to oneself. We are here on the border between psychology and the spiritual, at the edge of deep personal resources which, if not calmed, cause disturbance in all areas of a person’s being. This renewal of intimate ties requires just such a returning to, and reconciliation with, oneself. The restorative self-justice comes back, of course, to a religious act or to a religious basis within oneself. This is because, of all the possible ways, reconciliation is aimed at turning oneself to some being other than oneself; turning to that other being within oneself, who asks nothing more than to emerge into the daylight. Where does that essential act come from? We will come back to that essential act of returning to God – the comprehensive Other, the Great Other, the Other within oneself. What grammar is called for here? That of the religious personages, using the Hebrew concept teshuva as a reference point. This presupposes going back to oneself and one’s community, and doing it when the times are propitious. To what image are we referred? To the return in order to confront each other, facing each other and thus succeeding in achieving pacification – just like when one makes peace with oneself and with others.
Everything depends on conversion and return (metanoia), in order to begin again. This act of repentance involves words and their life-saving power when – if used in the right place and at the right time – they make it possible to heal hearts and cleanse the soul. Reconstituting the painful experiences, and describing them, with room being granted to victims’ accounts and with the Truth and Reconciliation commissions giving consideration to them are all part of this “therapy through words”, which is one of the cleansing elements in the work of reconciliation.
Forgiving is at the horizon of reconciliation. God does not, himself and without us, forgive by a loving stroke of strength. No, it is not ordained from On High. Above all, it is a human matter: a human power. After the experience in South Africa, Jacques Derrida, took up this matter again, noting that the idea of forgiving comes from a “singular heritage” and Old-Testament memory of the Biblical religions. Why? Above all to came back to the “sacred” nature of human beings, who “find their meaning” in Jewish, and even more in Christian interpretations of one’s fellow-human-beings. Professor Ricœur also stresses what is written about the “enigma of forgiving” (which is able to absolve a guilty person, separating him from his act) in what the Biblical religions say about meaning.
This forgiving, which relies on spiritual resources, demonstrates the limits of law, politics, justice and even psychology, when it is a matter of regaining dignity and self-esteem, and being reconciled with oneself and with others. How can we draw on our loving resources, which are beyond us? How can we activate within ourselves these resources, which are the only means of forgiving, going beyond the wrong, the scar and the invisible wounds? “Remove love from the heart, and hatred takes its place; it can no longer forgive” said St Augustine. “But if love is there, it forgives peacefully and without restriction.” Love must therefore (still) be there.
How can we understand St Augustine’s words? We should go back to the primary meaning of forgiving (pardonner in French), as explained by Chief Rabbi Bernheim, who says (invoking the Hebrew words kapar and kippur) it does not erase the wrong but “recovers” it (or covers it over). The idea can be expressed as: “I no longer take any account of the debt. I renounce my efforts to gain payment or to exert the right of a creditor or the right to institute legal proceedings in respect of it. It is therefore wholly a gift (perdonare in Latin), free of charge and thus a supplementary gift, with no rational reason other than what Derrida called ‘madness’, to break the cycle of violence, vengeance, wrongs and remorse. Only love can cover over and forgive; and if love is no longer present, the need for vengeance returns, and with it hatred.”
- Reconciliation: a two-edged weapon
The reconciliation procedure is aimed at forgiving and tends, while getting there, to go through the thousand and one forms of recognition. The procedure recognises wrongs and calls them that, in order to better “cover over” them, rather than erasing them. It can be summarised by saying: “You are better than your actions.” This power of reconciliation makes it possible to tie up the sin (sin being an evil requiring forgiveness) and find a “happy memory” again. What can one say about this power? It is a pharmacological resource, the ancient Greeks’ pharmakon being both what kills and what saves: both poison and medication. It is all a matter of the right proportion. Too much reconciliation in pure form, without genuine recognition, with too much amnesia and unjust correction, kills the reconciliation and eventually destroys the residential complex, making it fall back into a war of everyone against everyone.
Professor Ricœur therefore stresses the double nature of forgiving in the context of reconciliation. It is both an odyssey and a gift. As in the case of Odysseus, it is an odyssey, in the sense of being a slow progression, a shared crossing of difficult terrain and an ordeal which, like other ordeals, involves steps in naming and recognising. It is also a gift, however, any act of forgiveness needing to be considered a linking between a desire for reconciliation and the recognition of guilt. It always makes use, in one way or another, of the paths of conversion when the apparatus of memory regains its “positive” ability to forget, as mentioned by Nietzsche when he emphasised the “plasticity of memory”, which makes it possible to “transform and incorporate the past and what is foreign, and to heal wounds”.
Getting back to that plasticity of memory, through the ability of the apparatus of memory to digest and forget, makes it possible to break away from what Professor Ricœur referred to as “memory’s overflow”, which ends up by making us strangers to ourselves. Is it just a matter of forgetting? No, forgetting is poisonous, and the remedy is forgiving. Also, we must never forget the quality of forgiving, which Kierkegaardunderstood and expressed so wisely when he said: “The past is not purely and simply forgotten; it is forgotten in forgiving. Every time you remember forgiving, the past is forgotten, but when you forgetforgiving the past is no longer forgotten, and the forgiveness is lost.” Forgiveness is therefore a double memory, just as forgetting is a double forgetting. Forgiving is a further element in remembering when forgetting is an amnesia. Linking the past with forgiving the past, tying them together, leads to stimulation within us of infinite reserves for reconciliation, just where there are surplus resources within us. We are thus going to an unhoped-for spiritual outcome that is “more intimate than our intimacy”.