N°28 | L'ennemi

Alexandre Lafon
La Camaraderie au Front
Paris, Armand Colin, 2014
Alexandre Lafon, La Camaraderie au Front, Armand Colin

Alexandre Lafon revient sur un grand thème, prégnant et nourricier pendant et après les combats. Il progresse à pas bien comptés et en ayant fait sa route par le dépouillement exhaustif de cent sept témoignages, de fantassins surtout, lettrés ou non, la lecture des meilleurs récits y compris littéraires, l’examen des photographies de dix-huit fonds privés, la lecture des journaux et l’exploration des fonds de nombreuses Archives départementales. Il décrit une « camaraderie mythifiée » sur-le-champ, notamment par la presse, puis « magnifiée » par le discours ancien combattant d’après 1918 : « Unis comme au front » fut une évidence immédiate, indispensable et bien acceptée. Puis il explore concrètement les mots et les gestes de la camaraderie à l’épreuve du feu, qui fut « élective » d’abord puis nécessairement « obligée » par le sac et le ressac des recompositions d’unités et de la succession des théâtres, des affectations et des formes d’engagement des hommes. Il signale comme affectueusement une sociabilité de front qui dépasse les clivages sociaux et culturels entre combattants, et les aide à habiller et même parfois à dépasser les purs comportements de haine et de violence. Toutefois, il sait dire aussi, pour finir, les limites de cette communauté combattante. Car ce sont les individus qui, un à un et dans les pires conditions de solitude et de désarroi, ont appris à limiter leur exposition à la violence et à se soustraire à la pression du groupe combattant. Conclusions ? Les soldats « n’abandonnent en rien leurs habits de civils et de citoyens » ; l’identité combattante ne se substitue pas aux appartenances et aux identités originelles, et d’abord à leurs variantes régionales ; si brassage des hommes il y eut, il n’était pas totalement une rencontre ; l’égalité et la fraternité renouvelées au feu sont restées des rêves nécessaires mais bientôt dissipés. Restent cette expérience partagée et cette camaraderie instinctive qui ont marqué à jamais les Poilus de 14-18 et que leurs descendants doivent connaître et reconnaître.

PTE

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