N°29 | Résister

Gerd Krumeich
Le Feu aux poudres
Qui a déclenché la guerre en 1914 ?
Paris, Belin, 2014
Gerd Krumeich, Le Feu aux poudres, Belin

En signant cet ouvrage consacré aux responsabilités dans le déclenchement de la Grande Guerre, l’historien allemand bien connu (il a longtemps été l’un des rares à travailler sur la Première Guerre mondiale) s’oppose frontalement à Christopher Clark, dont le succès des Somnambules en Allemagne est significatif, et semble retrouver en quelque sorte les échos de thèmes sur la responsabilité de l’impérialisme, du militarisme et du nationalisme qui furent à l’honneur dans le dernier tiers du xxe siècle, tout en les adoucissant et en les amendant.

Avec le brio que permet une intime fréquentation des sources et une longue carrière de travail, Gerd Krumeich brosse le tableau politique et diplomatique de l’Europe à la veille des entrées en guerre et revient sur la fébrilité des principaux acteurs qui poussent parfois à quelques heures d’intervalle à la paix et à la guerre. Il insiste d’ailleurs très justement en introduction sur l’indispensable respect d’une stricte chronologie. Il s’intéresse tout particulièrement à la politique internationale de l’Allemagne et à ses ressorts (dont la quasi-psychose de l’encerclement, qui semble augmenter au premier semestre 1914). Son récit de la crise de juillet insiste sur le rôle de l’Empire wilhelmien dans le déroulement des événements et se poursuit par une critique originale de la théorie de la « localisation », « calcul aussi sophistiqué qu’irresponsable » puisque, selon lui, il poussera paradoxalement la Russie à intervenir.

Croisant les sources et multipliant les références, Krumeich fait appel à l’ambassadeur allemand à Londres, Lichnowsky, mais aussi à son homologue italien Carlotti en poste à Saint-Pétersbourg, aux dirigeants serbes et hongrois... Il détaille ensuite une chronologie fine des journées qui suivent la réponse serbe à l’ultimatum autrichien et tente de déterminer quelle est la part personnelle que peut avoir joué Guillaume II dans la succession des événements. Il s’intéresse alors au processus des mobilisations parmi les futurs belligérants (en particulier la question de la mobilisation partielle puis complète russe et celle des réactions allemandes à ces nouvelles), en soulignant très justement que « rien n’était donc moins sûr qu’une interaction directe entre la mobilisation et la guerre », tout en n’attribuant pas à notre sens une place suffisante aux procédures et contraintes techniques de mobilisation : « Toutes les puissances qui allaient être impliquées dans ce conflit avaient tenu le même raisonnement. Céder ou négocier s’avéra donc inenvisageable. Le seul dénouement possible fut de livrer un combat impitoyable », que nul n’envisageait comme tel. Finalement, l’Allemagne serait non pas seule responsable, mais un responsable essentiel. Ce qui est fort probable. Mais peut-on être responsable par manque de discernement et de précision dans le discours ? Est-on coupable par peur ou par manque de finesse ?

Un livre solide, fortement référencé, qui fait honneur à son auteur. Du fait de l’ancienneté et de l’importance de l’historiographie sur cette question depuis un siècle, on peut estimer que les débats seront sans doute encore nombreux. Leur permanence montre aussi que la Grande Guerre est d’abord une question infiniment complexe et qu’elle suscite toujours un extraordinaire intérêt.

PTE

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