N°31 | Violence totale

Marc Crépon et Frédéric Worms
La Philosophie face à la violence
Marc Crépon et Frédéric Worms, La Philosophie face à la violence, Équateurs Parallèles

Ce petit ouvrage lumineux est la publication de cours en ligne de l’École normale supérieure, que l’actualité récente rend particulièrement pertinente. Organisé de façon chronologique autour de deux grands moments, les années 1940 et les années 1960, il offre au lecteur la possibilité de suivre au fil des pages un parcours passionnant où se tissent, tout en nuances, les rapports complexes entre philosophie et violence. Les deux dimensions s’éclairent mutuellement autant par la qualité de fond des débats évoqués que par la forme même du livre, conçu en effet, pour chaque étape, comme un croisement de perspectives : des œuvres philosophiques aux questions politiques pour Frédéric Worms ; de l’épreuve du politique, donc de la violence réelle aux questions philosophiques concernant Marc Crépon. Cette articulation délicate des discours portés par les deux philosophes à partir de perspectives différentes mais complémentaires donne de la profondeur à la réflexion et stimule fortement le questionnement. Rien de moins actuel au bilan que de ressusciter des débats qui, autour de penseurs séminaux, interrogent notre rapport à la violence : son caractère légitime ou pas selon la nature des acteurs ; l’absolu refus de toute forme de violence contre son acceptation relative ; la violence des préjugés qui n’a pas que des effets symboliques contre la perception des différences qui fait relativiser de la valeur de toute structure ; la question du pardon face à la violence totale, pourtant à priori jugée impardonnable. Ces questions sont posées à la lumière des débats opposant Sartre et Camus, Camus et Merleau-Ponty, Simone Weil, Canguilhem et Cavailles ; Levi-Strauss, Sartre et Merleau-Ponty, Foucault et Deleuze, Jankélévitch, Derrida et Levinas. Outre le plaisir à (re) découvrir les œuvres de ces philosophes de premier rang au travers d’une explication aussi précise que claire de leur pensée, le lecteur réalisera combien ces questions, au-delà des deux coups de projecteur, constituent une trame historique cohérente de la Première Guerre mondiale (dont le pacifisme premier de Simone Weil tire ses racines) aux attaques islamistes un siècle plus tard. Au bilan, un livre d’une grande clarté qui ouvre des pistes de réflexion et incite à s’interroger encore davantage sur les problèmes d’aujourd’hui à partir des textes d’hier.


Sylvain Tesson | Bérézina