N°39 | Dire

Philippe Franceschetti
Antoine Mauduit
Une vie en résistance 1902-1945
Philippe Franceschetti, Antoine Mauduit, Presses  universitaires de Grenoble

Une belle biographie originale à deux titres. Le sujet d’abord sort de l’ordinaire. Antoine Mauduit quitte l’armée coloniale où il s’était engagé à dix-huit ans avec le grade de lieutenant de réserve pour entrer dans le commerce comme son père, puis change d’orientation et s’engage sous une fausse identité dans la Légion étrangère en 1935. Il est renvoyé l’année suivante, son identité étant découverte. En 1939, il devance la mobilisation, alors qu’il a près de quarante ans, et cherche à être affecté dans une unité combattante. Il est fait prisonnier le 12 juin 1940 après avoir été encerclé par les Allemands et blessé à la main. Il passe sa captivité à l’oflag V A, y prononce des conférences sur le redressement de la patrie après la défaite, l’ordre à restaurer en France ou le sacrifice des prisonniers de guerre. Il est libéré en juillet 1941 pour aller se battre avec l’armée d’armistice en Syrie, mais la défaite est actée avant qu’il ne parvienne sur place. Il reste donc en France, démobilisé en janvier 1942. Mais Mauduit veut rester dans l’armée, aussi prête-t-il serment à Pétain pour continuer à servir dans l’armée d’armistice. Selon Philippe Franceschetti, il est difficile de savoir ce qu’il pense de la politique du Maréchal ; c’est le vainqueur de Verdun et l’homme qui s’occupe des prisonniers qu’il suit, loin de toute collaboration. En effet, Antoine Mauduit veut s’appuyer sur les prisonniers pour constituer une élite destinée à reprendre le combat. Affecté en tant que lieutenant de réserve dans l’armée d’armistice, il s’occupe du rapatriement des coloniaux nord-africains et, parallèlement, loue en mai 1942 le château de Montmaur, dans les Hautes-Alpes, et le transforme en structure d’accueil pour les prisonniers rapatriés. Il noue des relations avec le Commissariat aux rapatriés à Vichy, y rencontre des responsables dont François Mitterrand, qu’il convainc de passer à l’action clandestine. Mais son engagement militaire lui impose de réduire ses déplacements, si bien qu’il quitte l’armée pour se consacrer entièrement à son projet qu’il baptise La Chaîne en juin 1942. Ce groupe doit être autosuffisant et des terres sont exploitées pour la production alimentaire. Mais il permet aussi à des prisonniers de s’évader. Contacté par les familles, il envoie le matériel nécessaire aux captifs dans les colis. En janvier 1943, le responsable des centres d’entraide, Maurice Pinot, est remplacé par André Masson, collaborationniste ; la résistance des prisonniers déçus de Vichy s’organise alors. Antoine Mauduit se rapproche de Michel Cailliau, neveu du général de Gaulle, qui crée le Mouvement de résistance des prisonniers de guerre et déportés, mais il travaille aussi avec les Forces françaises libres. Montmaur devient un abri pour les personnes recherchées, comme, la famille Klarsfeld. C’est l’armistice italien de septembre 1943 qui transforme le groupe de Montmaur en maquis constitué notamment par les réfractaires au sto. Le 28 janvier 1944, Antoine Mauduit est arrêté, déporté à Royallieu dans le Frontstalag 122, puis à Buchenwald, à Dora et à Bergen-Belsen, où il décède le 9 mai 1945.

Ce parcours d’engagement, très riche, est reconstitué avec beaucoup de détails et de minutie, en s’appuyant sur des archives et des études très récentes. Il aurait suffi à faire un livre détaillant un parcours original de prisonnier devenu résistant. Mais Philippe Franceschetti a également parfaitement réussi à mettre en valeur et à expliquer le versant mystique d’Antoine Mauduit, qui ne peut être séparé de son engagement de Résistant. Mauduit conduit toute son action, avant et pendant la guerre, en parallèle à sa recherche d’absolu. Une quête religieuse, appuyée sur sa foi catholique. Mais il est également profondément influencé par la découverte, en 1932, du livre du docteur Paul Carton, La Vie sage, qui fonde une thérapie centrée sur l’alimentation ainsi que le développement physique et spirituel du corps pour atteindre la sagesse. Cette spiritualité doit aboutir au sacrifice de sa personne pour servir les autres et pour atteindre Dieu. Les deux sont complémentaires et permettent de comprendre la vie et l’action d’Antoine Mauduit. Durant les années 1930, il effectue plusieurs séjours dans des abbayes. En captivité, il crée avec l’abbé Perrin un groupe baptisé l’Ordre de Saint-Michel autour duquel il souhaitait créer La Chaîne, mais tous ses membres ne sont pas libérés en même temps et son projet s’est donc bâti autrement. L’abbé Perrin lui fait connaître le sanctuaire de Notre-Dame de La Salette, en Isère, qui va jouer un rôle fondamental pour lui – le château de Montmaur est proche du sanctuaire. Le maquis mis en place par Antoine Mauduit est un combat contre la guerre qui symbolise l’Apocalypse, le spirituel surpassant le politique pour lui. Arrêté et déporté, il écrit des prières et « sublime son sort dans une purification pour la patrie ». Cette grande figure de la Résistance, que Philippe Franceschetti fait revivre dans toute sa complexité, est honorée à Montmaur où son corps a été transféré en 1949 et où une plaque a été inaugurée par François Mitterrand, qui fut l’un des animateurs de La Chaîne, en 1986.


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