N°48 | Valeurs et vertus

André Bourachot, Henri Ortholan
Les Épurations de l’armée française, 1940-1966
Paris, L’Artilleur, 2021
André Bourachot, Henri Ortholan, Les Épurations de l’armée française, 1940-1966, L’Artilleur

Entre 1940 et 1966, l’armée française a connu trois épurations successives. La première sous Vichy, la deuxième de 1943 jusqu’aux années qui ont suivi la Libération, la troisième de la fin de la guerre d’Algérie jusqu’à la veille de Mai-68. Moins connue que celle du monde civil à la Libération, l’épuration militaire présente ainsi un caractère presque continu durant plus d’un quart de siècle. L’ouvrage est centré sur le conflit de valeurs vécu par la plupart des officiers fidèles au Maréchal, soumis à des choix contradictoires auxquels ils peinent à faire face. Cette fidélité ira pourtant jusqu’à la collaboration déshonorante, pour certains jusqu’au port de l’uniforme allemand. Nombre d’entre eux, même les généraux Juin et de Lattre, tarderont à se défaire de leur serment d’engagement. Le débarquement en Afrique du Nord aurait pourtant pu être un désastre si l’armée vichyste n’avait pas rapidement cédé devant les forces anglo-américaines. Mais son abnégation n’a pas supprimé les rivalités qui sont demeurées vives, chacun des officiers se prévalant d’une forme d’honneur que les auteurs placent sur un curseur favorable aux vichystes en insistant sur leur fidélité. Le lecteur civil que je suis ne peut s’empêcher de penser que l’honneur était plutôt dans la guerre à outrance contre les nazis ! Que certains officiers aient succombé à une fascination pour la Révolution nationale est compréhensible, mais tenter sans cesse de leur trouver des circonstances atténuantes fait fi de l’image d’un de Gaulle tellement solitaire qui a réussi à renverser quasiment à lui seul l’histoire d’un pays, et de l’inexcusable, Phalange africaine, Milice, Légion des combattants, Légion de volontaires français, division Charlemagne… Cet ouvrage fait œuvre nécessaire en révélant toute l’ambiguïté des juges militaires aux titres de résistance bien modestes, voire absents. La réhabilitation de certains officiers accusés à tort est importante. Mais il n’en demeure pas moins troublant de tisser un fil rouge entre la résistance de De Gaulle en 1940 et celle de l’oas. Faire de ces officiers perdus sinon des héros, des hommes courageux et animés par l’« honneur » n’est-il pas excessif ? De même que dénoncer les seuls communistes comme ivres de vengeance ne falsifie-t-il pas l’histoire ? Un sentiment de tristesse envahit le lecteur à la fin de sa lecture de ce livre remarquablement écrit et informé. La France est-elle vraiment le pays où le conflit droite/gauche ne finira jamais, où l’armée s’auto-épure ? Un espoir cependant : depuis près de trente ans, l’armée de métier échappe aux idéologies meurtrières et est une armée unie. Gardons-en l’augure.


La Guerre du roi aux portes de... | Julien Guinand
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