Dans Les Arts et les Dieux, Alain écrit : « Valeur. Au sens plein, signifie courage, c’est-à-dire ce qui est le plus admirable pour un homme. Et en effet, que sont les autres vertus sans le courage ? […] Toutes les vertus sont des valeurs. » Pour Monique Castillo1, « les valeurs militaires ne sont pas simplement des intentions, mais des actions ; elles ne sont pas simplement des idéaux, mais des vertus ». La valeur serait donc une vertu, quand toutes les vertus sont des valeurs ? On voit ici poindre une certaine forme d’inconfort, voire de confusion, au moment de se risquer à établir une distinction entre ces deux notions.
L’étymologie ne nous est pas ici d’une grande aide. Le latin valor, devenu valur en vieux français, apparaît pour sa part dans les chansons de geste au xie siècle pour désigner la bravoure et la vaillance de l’homme noble qui combat. Vertu vient pour sa part du latin virtus qui, à l’origine, désigne le courage physique dont doit faire preuve le soldat sur le champ de bataille…
- Les valeurs, crible à travers lequel
le militaire passe la mission reçue
Démontre ainsi sa valeur celui qui est courageux dans les épreuves. Dans la littérature du Moyen Âge, c’est la figure de l’aristocrate. Ce n’est qu’à partir du xiiie siècle que le mot désigne le caractère mesurable d’une chose ou d’un bien, à la base de l’échange. Les deux sens fusionnent au xixe siècle pour évoquer ce que l’on estime vrai, beau et bien, ce qui va devenir les valeurs morales. C’est bien cette acception qui retient ici notre attention.
Les valeurs renvoient à un ensemble de croyances et de normes intériorisées, qui permettent à la fois d’encadrer les comportements individuels et collectifs et de créer du lien entre les personnes qui les partagent. En ce sens, elles sont l’expression de la société dans laquelle on vit.
En France, nos valeurs sont portées par l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » L’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 les complète : « Tous les êtres humains […] sont doués de raison et de conscience, et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Liberté, égalité, fraternité : ces valeurs forment la devise de la République, inscrite au fronton des édifices publics depuis 1880.
Fondamentalement, ces valeurs, qui trouvent leur origine dans l’héritage chrétien de la France, consacrent la dignité de l’homme. Surtout, elles dépassent par leur portée universelle le seul cadre de l’histoire de France. Les rédacteurs de la déclaration de 1948, en puisant aussi largement dans celle de 1789, étaient bien conscients du fait que la Révolution française avait exprimé là quelque chose d’universel, constitutif de l’esprit français. C’est au nom de l’universalisme de cet esprit que nous nous engageons partout en faveur de la paix et contre l’injustice. La France et ses armées se trahiraient si elles cessaient de porter ces valeurs, si la guerre n’était plus pour elles que la défense d’intérêts particuliers. N’en déplaise à certains, l’engagement français au Sahel est ainsi profondément altruiste : nuls bénéfices politiques et encore moins économiques, immédiats ou simplement rapides, ne viennent le récompenser. Il n’y a là en fait que des risques à prendre, mais nous le faisons pour la stabilité des nations-partenaires et la sécurité de l’Europe.
En tant qu’expression de la société, les valeurs tiennent de la responsabilité et de l’intérêt de chaque citoyen, et non d’un groupe ou d’une communauté particulière. Tout militaire y adhère ainsi à la mesure de ses convictions, mais il le fait à titre personnel et non dans le cadre de l’accomplissement de sa vocation de service des armes de la France. Aujourd’hui encore, les militaires distinguent la valeur dans son sens originel, celui de la bravoure au combat, mais ils n’identifient pas de « valeurs militaires ». La Croix de la valeur militaire, décoration qui prend place juste après les ordres nationaux et les Croix de guerre dans l’ordre de préséance, récompense justement cette bravoure.
Une autre remarque que l’on peut formuler ici tient à la difficulté que tout un chacun éprouve au moment de réaliser ces valeurs. Il est peu évident d’établir un lien direct entre son attitude au quotidien et la poursuite d’un idéal de liberté ou d’égalité par exemple. La multitude d’actes que l’on est amené à accomplir au fil d’une journée ou d’une activité ne repose que rarement, et en tout cas pas directement sur des valeurs aussi abstraites. Finalement, les valeurs revêtent une dimension essentielle pour le militaire en ce qu’elles constituent le crible à travers lequel il passe la mission qu’il a reçue. Dans quelle mesure la mission confiée est-elle en accord avec les valeurs de la société que l’on s’est engagé à défendre ? Dans quelle mesure contribue-t-elle à les défendre, à les renforcer ou à les promouvoir ?
Il y a là pour tout militaire, et plus encore pour ceux qui exercent un commandement et ont charge d’âmes, une obligation fondamentale. Car sans cette cohérence, il ne saurait y avoir de mission acceptable, à tout le moins d’un point de vue éthique. Comme l’écrit le général Bachelet2, « le sens de l’action militaire est l’expression de valeurs de civilisation intransgressibles ». Dès lors que l’on pose ce double principe de valeurs qui tiennent de l’idéal et qui sont difficiles à décliner en action, la réflexion se porte naturellement vers la notion de vertu.
- Le militaire revendique les vertus qui fondent son efficacité
Après avoir désigné le courage au combat, la vertu, nous dit l’Académie française, est cette disposition ferme, constante de l’âme, qui porte à faire le bien et à fuir le mal. Cet état d’esprit nous renvoie à la notion de force morale. En acquérant la force du nombre, la vertu devient progressivement les vertus ; la disposition se décline sous la forme de qualités, avec les vertus cardinales de l’Antiquité (prudence, justice, force, tempérance), complétées plus tard par les vertus théologales (foi, espérance, charité). Les vertus sont autant de références qui permettent de bien se comporter : c’est le caractère public de leur pratique qui entraîne l’obligation d’être droit.
Les vertus apparaissent donc comme quelque chose de concret, de pratique, et chacun sait d’ailleurs intuitivement le moment exact où il manque à l’une d’elles. En outre, elles forment un tout impossible à fragmenter. L’homme vertueux, celui auquel on fait confiance, ne saurait être découpé : plus prudent que juste, un peu moins tempérant que fort, il est un tout. Le médiocre, lui, l’est dans tous les domaines, à moins d’un sursaut ultime, d’une révélation au feu de l’épreuve. Le bon sens le comprend : la vertu est un monolithe. On pratique l’exercice de ces vertus à titre personnel, et cet exercice ne se limite aucunement à la vie militaire. Ce qui fonde l’exceptionnalité de celle-ci tient finalement plus aux contraintes qu’elle engendre : contraintes légales, physiques et morales. Il serait erroné d’envisager ces vertus comme l’apanage des militaires. Toutefois, les exigences propres à ce métier particulier confèrent une dimension absolument essentielle à leur pratique et à leur respect.
C’est la raison pour laquelle, spontanément, le militaire se montrera plus disert sur les vertus que sur les valeurs. Dans L’Alliance du sens et de la force, texte fondateur dans l’armée de terre, on peut lire que « les valeurs fixent un objectif, les vertus font la force d’une armée » et que « l’armée de terre défend les valeurs qui fondent la communauté nationale ».
La mission des armées consiste à défendre la nation, les Français et le territoire national contre toute menace existentielle en mettant en œuvre la force, jusqu’à tuer si nécessaire. Cette mission est exorbitante pour deux raisons. D’une part, l’enjeu est proprement existentiel dans la mesure où tout échec remettrait en cause la survie de la nation. D’autre part, tuer, même lorsqu’on le fait par délégation de la société et donc au nom de tous les Français, constitue l’acte le plus extrême qui soit. Pour remplir ce rôle et exécuter les missions qui leur sont confiées, les armées doivent être efficaces. En effet, leur raison d’être est l’engagement opérationnel, au cours duquel on ne pourra triompher de l’adversaire qu’à cette condition. L’efficacité repose sur des principes, qui constituent la singularité militaire. Parmi eux, on trouve une éthique et une culture, déclinées en vertus soigneusement cultivées et qui encadrent la mise en œuvre de la force : on ne saurait tout sacrifier au nom du résultat opérationnel.
Ces vertus constituent le cadre psychologique et moral à l’intérieur duquel s’établissent les relations entre les individus au sein de l’institution militaire, dans la forme et dans le fond. Certaines d’entre elles sont, de fait, l’objet d’une revendication spécifiquement militaire, motivée par une forme d’appropriation issue d’une longue pratique. Il semble utile de rappeler que ces vertus ne sont en aucun cas l’exclusivité des militaires. On les retrouve ainsi chez tous ceux qui s’engagent au service des autres au péril de leur vie, policiers, pompiers… En outre, les militaires ne cultivent pas ces vertus pour la beauté du geste ou par désintéressement : tout est conditionné par l’impératif d’efficacité.
Les vertus « militaires » sur lesquelles une armée fonde sa force trouvent leur origine dans un élément auquel les militaires accordent depuis toujours une très grande attention : l’expérience. On pourrait même formuler ici l’hypothèse selon laquelle les vertus que les militaires valorisent sont issues d’un processus somme toute assez darwinien d’élimination successive, au fil de l’Histoire, et plus souvent même au fil des défaites. Les moins pertinentes sont délaissées : ainsi des chevaliers français pendant la guerre de Cent Ans, régulièrement décimés par les archers gallois parce que ne pas charger aurait été contraire à l’honneur, qui vont finalement se résigner à faire évoluer leur système de références.
Aujourd’hui, après plusieurs millénaires d’affrontements, on distingue assez aisément les principales vertus militaires, qui constituent une sorte de fond commun à la plupart des armées dans le monde : discipline, rigueur, courage, confiance mutuelle (dépendance), fraternité d’armes, sens du collectif, endurance… Durant la Première Guerre mondiale, les poilus endurèrent les terribles épreuves du front et trouvèrent la force morale nécessaire pour continuer à monter au combat. Les épisodes, réels mais somme toute assez minoritaires, de mutinerie de 1917 ne doivent pas occulter les magnifiques vertus dont ils firent preuve. En 2013, lors de l’intervention au Mali, les unités françaises accompagnées par des unités tchadiennes s’engagèrent dans l’Adrar des Ifoghas pour neutraliser les groupes armés terroristes qui s’y étaient retranchés. Cette phase de Serval se déroula dans des conditions dantesques : chaleur extrême – les températures dépassent régulièrement les cinquante degrés –, progression sur un terrain très hostile – le relief montagneux réduisait les possibilités de progression et favorisait l’ennemi, le soutien logistique était rendu difficile par les distances. En outre, dès le début des combats, l’ennemi se montra déterminé à lutter jusqu’à la mort. Tout cela n’eut pourtant aucune conséquence sur le moral et la capacité opérationnelle des unités françaises. Certains combats furent livrés à quelques mètres de distance, parfois au corps à corps, les soldats étant contraints d’ôter leur gilet pare-balles pour pouvoir se glisser dans les anfractuosités abritant l’ennemi. Les opérations successives se déroulèrent sur une dizaine de jours, sans interruption. Les groupements tactiques prirent finalement le contrôle de la totalité de la zone. Au-delà des compétences et des capacités techniques indispensables, ce succès trouve son origine dans l’excellence des vertus militaires, précisément cultivée en vue de ces situations. C’est parce qu’elle était animée des plus belles d’entre elles que la brigade Serval triompha de l’adversité et de l’ennemi.
- Les vertus militaires, entre fantasme et inspiration
Le monde militaire exerce une certaine forme de fascination sur le reste de la société, et en particulier sur ses élites politiques. Confrontées à la difficulté de mettre en œuvre l’action publique, celles-ci se tournent volontiers vers ce qu’elles considèrent comme le modèle de l’action. Il est intéressant que cette tendance croisse à mesure que ledit personnel politique appartient à une génération qui n’aura connu de l’armée au mieux que la Journée défense et citoyenneté (jdc). La gestion de l’épidémie de Covid-19 est venue confirmer cette appétence collective pour l’efficacité militaire, qui selon certains aurait dû conduire les armées à assumer le pilotage de la campagne de vaccination. Comme si les compétences requises n’existaient pas au sein des ministères ou si les expertises indispensables ne pouvaient être obtenues auprès des professionnels de santé et de la logistique.
Cette fascination trouve probablement son origine dans cette pratique militaire qui est de penser l’action à travers le respect des valeurs de la société et de réaliser l’action dans le respect de vertus qui conditionnent l’efficacité opérationnelle. La dureté, réelle ou fantasmée, des formations et des entraînements militaires joue également un rôle. Mais là encore, on ne doit pas négliger l’approche pragmatique de l’institution : la dureté, réelle même si tout est relatif, n’est jamais gratuite ; elle vise à favoriser l’apprentissage de ces vertus militaires. Elle est ainsi avant tout liée à la répétition ad nauseam des gestes élémentaires et des procédures opérationnelles – le fameux drill anglo-saxon –, et à la maîtrise de la force.
Au xie siècle, le chevalier s’entraînait dès l’enfance pour savoir chevaucher en tenant la lourde lance, encaisser le choc puis frapper de l’épée. Au début du xvie siècle, l’arquebuse se répandit dans les armées européennes ; pour assurer un feu roulant efficace il fallut imposer un drill épuisant aux tireurs, briser leur corps pour les adapter geste après geste à la mise à feu et à la recharge.
La dureté n’est pas le fantasme d’un adolescent porté vers la virilité, mais une exigence opérationnelle. Aujourd’hui, tel jeune élève-officier à Coëtquidan, tel jeune élève-sous-officier à Saint-Maixent ou tel jeune engagé dans n’importe quel Centre de formation initiale des militaires du rang éprouveront la difficulté des longues marches de nuit, avec arme et sac de combat, celle des stages commando ou des parcours d’obstacles. En touchant leurs limites, physiques ou psychologiques, ils saisiront intimement l’importance de la rigueur, qui conduit à entretenir son arme avant de prendre soin de soi, l’importance de la discipline, qui permet d’exécuter exactement l’ordre reçu au risque sinon de remettre en cause la manœuvre de l’unité, l’importance de la confiance, quand on s’en remet à ses camarades pour être appuyé face à l’ennemi. Les vertus militaires ne sauraient être un modèle passe-partout pour des institutions en quête de réformes, car leur finalité les distingue au plus haut point : l’endurance, la patience, la force d’âme sont toutes orientées vers l’hypothèse tragique de donner la mort, voire de la recevoir.
Les armées françaises combattent pour des valeurs, elles combattent par des vertus. L’une des manifestations les plus éclatantes de ce principe est la capacité à maîtriser la violence. Fortes de vertus profondément enracinées et cultivées au quotidien, à l’entraînement et en opération, elles font preuve en permanence de cette maîtrise. En 1993 à Mogadiscio, le colonel de Saqui de Sannes commandait un détachement de l’opération Oryx. Engagé au secours de Casques bleus marocains, il choisit durant les combats qui vont durer plusieurs heures de ne pas tirer à l’arme lourde sur les combattants ennemis qui s’abritaient derrière des civils. Privilégiant le recours à des tirs de précision, il maîtrisa la violence et évita ainsi les dommages collatéraux et l’escalade, que devaient connaître quelques mois plus tard les forces américaines dans des conditions à peu près analogues.
À rebours de cette fascination pour les armées considérées à travers le prisme de l’action, on retrouve également chez le politique un soupçon récurrent, alimenté par une supposée tentation de s’ériger en conservatoire de valeurs ou de vertus désuètes. Il n’est pas faux de dire que les vertus que les armées cultivent – et souvent revendiquent – sont régulièrement bousculées par les évolutions rapides d’une société civile plus prompte à contester. Une brève réflexion autour de la fidélité peut apporter quelques éléments de réponse face à ce soupçon.
Le respect de cette vertu est fondamental pour l’exercice du métier des armes : fidélité à la parole donnée, à ses camarades, à ses chefs et à ses subordonnés. Une exigence qui ne s’arrête pas aux portes du quartier ou à celles de la base. Sur certains théâtres d’opérations, la situation tactique permet aux soldats de bénéficier d’occasions de se détendre et de se ressourcer, parfois dans le cadre de sorties. Des tentations peuvent alors se présenter, qui mettent à l’épreuve l’engagement personnel de certains, contracté, formellement ou non, envers une personne généralement restée en métropole. Le besoin de séduction, d’intimité ou tout simplement d’échange peut alors s’engouffrer dans les brèches de la résolution ; certains franchissent le pas, en dépit de la parole donnée. Or, l’exigence de fidélité est totale et ne se négocie pas : comment penser que celui qui rompt son engagement personnel va respecter celui qui le lie à ses frères d’armes et à son unité ? Il ne s’agit donc pas de porter un jugement sur la conduite de l’un ou de l’autre, mais d’exiger une cohérence totale de la part de ceux à qui nous remettons notre vie et le succès de la mission. En ce sens, la promotion des vertus tient nettement plus du souci d’efficacité opérationnelle que de la conformité à un modèle moral.
Pour autant, il est essentiel pour les armées de rester connectées à la société et à ses évolutions. C’est le cas dans les faits, puisque leurs forces vives sont formées par une jeunesse qui, lorsqu’elle rejoint les rangs, apporte avec elle sa fraîcheur et son dynamisme. Il s’agit donc de veiller soigneusement sur ce lien armée/nation, fondamental, sans rien céder sur le « socle », au risque de perdre en efficacité opérationnelle. Sans rien céder, car cela serait ouvrir la porte à la banalisation des armées et du métier militaire, à travers notamment la remise en cause du statut militaire.
- L’honneur, vertu en action et valeur militaire par excellence
Il existe toutefois une exception, qui confirmerait la règle proposée de valeurs pour lesquelles on combattrait et de vertus par lesquelles on combattrait. L’honneur pourrait en effet être considéré à la fois comme une valeur et comme une vertu. Les drapeaux et étendards des unités des armées françaises portent tous l’inscription « Honneur et Patrie ». Si Monique Castillo écrit que l’honneur est une vertu en action3, force est de constater qu’il est également une valeur qui guide l’action militaire. À Camerone, les légionnaires du capitaine Danjou prêtèrent tous serment de poursuivre un combat perdu d’avance face à des forces très supérieures en nombre. Il s’agissait pour eux d’être fidèles à leur engagement, quitte à sacrifier leur vie pour le succès de la mission : en mobilisant les forces mexicaines, ils accroissaient les chances du convoi logistique français de ne pas être attaqué. Manquer à cette parole eût été manquer à l’honneur. À Bir Hakeim, la 1re brigade française libre résista à l’Afrika Korps pendant plus de deux semaines, offrant à la 8e armée britannique le temps de se renforcer et de remporter la première bataille d’El-Alamein. Défaite tactique, indiscutable, victoire stratégique, retentissante, qui porta d’ailleurs bien au-delà du théâtre nord-africain. « Sachez et dites à vos troupes que toute la France vous regarde et que vous êtes son orgueil », écrivit le général de Gaulle à Kœnig.
S’il fallait une autre illustration de l’appartenance de l’honneur aux valeurs et aux vertus militaires, on pourrait évoquer le Code d’honneur du soldat français. Quand le titre de ce code en vigueur dans l’armée de terre fait explicitement de l’honneur la valeur guide des vertus du soldat, son article 2 précise qu’en toutes circonstances, le soldat se conduit « avec honneur, courage et dignité ».
- Inspirer la société
Comme l’écrit le général Bachelet4, « l’armée française est porteuse d’une culture qui est l’expression militaire d’un humanisme multiséculaire ». Les armées peuvent, et doivent, jouer un rôle d’inspiration dans notre société moderne, trop souvent portée sur la compassion victimaire et qui accorde une importance démesurée aux traumatismes de tous ordres que la vie peut infliger à chacun de nos concitoyens.
Or les militaires ne sont pas des victimes : ils sont des héros qui acceptent consciemment d’engager leur vie pour défendre la France, ses intérêts et les valeurs qu’elle incarne, partout où c’est nécessaire. Rien ne peut inspirer davantage que la recherche et le sentiment de cette responsabilité partagée dans l’engagement de nos armées, qui est une responsabilité de tous nos concitoyens.
Enfin, les militaires sont ceux qui se sont engagés et qui cultivent des vertus, parce qu’elles sont la garantie de leur efficacité opérationnelle ; ils sont ceux qui maîtrisent en permanence l’exercice de leur violence, au nom des valeurs de la France. Nul doute qu’il y a là matière à nourrir quelque réflexion au sein de la société.
1 M. Castillo, « Existe-t-il des valeurs propres aux militaires ? », Inflexions n° 30, 2015, pp. 151-158.
2 J.-R. Bachelet, « L’action militaire : sens et contresens », Inflexions n° 1, 2005, pp. 47-65.
3 M. Castillo, op. cit..
4 J.-R. Bachelet, « D’un socle commun à des convictions partagées », Inflexions n° 11, 2009, pp. 13-27.
In Les Arts et les dieux (“The Arts and the Gods”), Alain writes: “Value. In the full sense, it means courage, that is, what is most admirable in a man. And indeed, what are the other virtues without courage? [. . .] All virtues are values.” For Monique Castillo1, “military values are not simply intentions, but actions; they are not simply ideals, but virtues.” So, according to Castillo, value is a virtue, if all virtues are values? We can see here some uncertainty, even confusion, when it comes to making a distinction between these two notions.
Etymology is of little help here. The Latin valor, which became valur in Old French, appears in the chansons de geste in the 11th century to designate the bravery and valour of the noble man in combat. Vertu comes from the Latin virtus, which originally referred to the physical courage that a soldier must show on the battlefield. . .
- Values, the prism through which
the soldier views the mission received
Thus, someone who is courageous in the face of hardship proves his value. In medieval literature, this is the model of the aristocrat. It is only from the 13th century onwards that the word designates the measurable quality of a thing or good, the basis of an exchange. In the 19th century, the two meanings merged to evoke what was considered true, beautiful and good, which was to become moral values. It is this meaning that we are concerned with here.
Values relate to a set of beliefs and internalised norms, which make it possible both to create a framework for individual and collective behaviour and to create links between the people who share them. In this sense, they are the expression of the society in which we live.
In France, our values are enshrined in Article 1 of the 1789 Declaration of the Rights of Man and of the Citizen: “Men are born and remain free and equal in rights.” Article 1 of the Universal Declaration of Human Rights of 1948 adds: “All human beings [. . .] are endowed with reason and conscience and should act towards one another in a spirit of brotherhood.” Liberty, equality, fraternity: these values form the motto of the Republic, inscribed on the pediment of public buildings since 1880.
Fundamentally, these values, which have their origins in France’s Christian heritage, enshrine human dignity. Above all, their universal scope goes beyond the sole framework of French history. The drafters of the 1948 declaration, by drawing so heavily on the 1789 declaration, were well aware that the French Revolution had expressed something universal, embodying the French spirit. It is in the name of the universal nature of this spirit that we commit ourselves everywhere on the side of peace and against injustice. France and its armed forces would be betraying themselves if they ceased to embody these values, if war for them were merely the defence of particular interests. Despite what some may say, the French commitment in the Sahel is profoundly altruistic: there are no political or even less economic benefits, immediate or simply short-term, to be reaped. There are in fact only risks to be taken, but we are doing it for the stability of our partner nations and the security of Europe.
As an expression of society, values are the responsibility and interest of every citizen, not those of a particular group or community. Every soldier adheres to them to the extent of his convictions, but he does so on a personal basis and not in the context of fulfilling his vocation of armed service for France. Even today, soldiers still distinguish value in its original sense of valour, of bravery in combat, but they do not identify “military values”. The Cross for Military Valour—a decoration that is ranked immediately after the national orders and the Croix de Guerre in the order of precedence—rewards such bravery.
Another point that can be made here concerns the difficulty that everyone experiences in realising these values. It is not easy to establish a direct link between one’s everyday attitude and the pursuit of an ideal of freedom or equality, for example. The multitude of actions that one performs in the course of a day or an activity are rarely—and certainly not directly—based on such abstract values. Finally, values are essential for the soldier in that they are the prism through which he views the mission he has been given. To what extent is the mission entrusted to him in line with the values of the society he has undertaken to defend? To what extent does it contribute to defending, strengthening or promoting them?
This is a fundamental obligation for all military personnel, and even more so for those in command, carrying responsibility for others. For without this coherence, there can be no acceptable mission, at least from an ethical point of view. As General Bachelet writes2, “the meaning of military action is the expression of inalienable values of civilisation.” Having established this dual principle of values that are ideal and difficult to translate into action, our thoughts naturally turn to the notion of virtue.
- The soldier lays claim
to the virtues that underlie his effectiveness
After designating courage in combat, virtue, according to the Académie française, is that firm, constant disposition of the soul, which leads us to do good and avoid evil. This state of mind brings us back to the notion of moral strength. By acquiring strength in number, virtue gradually becomes virtues; the disposition is made up of qualities, with the cardinal virtues of Antiquity—prudence, justice, strength, temperance—complemented later by the theological virtues—faith, hope, charity. The virtues are references that enable proper behaviour: it is the public nature of their practice that leads to the obligation to be upright.
Virtues thus appear as something concrete, something practical, and everyone knows intuitively the exact moment when he fails to live up to one of them. Moreover, they form a whole that cannot be broken down. The virtuous man, the one we trust, cannot be considered in parts: more prudent than just, a little less temperate than strong, he is a whole. The mediocre man is mediocre in all areas, unless he experiences a final wake-up call, a revelation in the face of adversity. Common sense understands this: virtue is a monolith. The exercise of these virtues is practised on a personal basis, and this exercise is by no means limited to military life. The exceptional nature of military life is ultimately based more on the legal, physical and moral constraints it generates. It would be wrong to consider these virtues as the prerogative of the military. However, the demands inherent to this particular profession give an absolutely essential dimension to their practice and respect.
This is why military personnel will spontaneously talk more about virtues than about values. In L’Alliance du sens et de la force (“The Alliance of Meaning and Strength”), a seminal text for the French Army, we read that “values set an objective, virtues constitute the strength of an army” and that “the army defends the values that underlie the national community”.
The mission of the armed forces is to defend the nation, the French people and national territory against any existential threat by using force, even to the point of killing if necessary. This mission is extreme for two reasons. On the one hand, what is at stake is strictly existential insofar as any failure would call into question the survival of the nation. On the other hand, killing, even when it is carried out by delegation from society and therefore in the name of all French people, is the most extreme act of all. To fulfil this role and carry out the missions entrusted to them, the armed forces must be effective. Their raison d’être is operational engagement, during which the adversary can only be defeated on this condition. Effectiveness is based on principles, which constitute the military singularity. Among them are an ethic and a culture, broken down into carefully nurtured virtues, which set the framework for the use of force: one cannot sacrifice everything in the name of operational results.
These virtues constitute the psychological and moral framework for relations between individuals within the military institution, in form and in substance. Some of them are claimed to be specifically military, due to a form of appropriation resulting from long practice. It should be recalled that these virtues are by no means exclusive to the military. They are found in all those who commit themselves to the service of others at the risk of their lives, policemen, firefighters, etc. Moreover, military personnel do not cultivate these virtues for the sake of it or out of detachment: everything is conditioned by the overriding need for efficiency.
The “military” virtues which are the foundation for an army’s strength find their origin in an element to which the military have always paid great attention: experience. One could even formulate the hypothesis that the virtues valued by the military are the result of a rather Darwinian process of successive elimination, over the course of history, and more often than not even over the course of defeats. The less relevant virtues are abandoned: thus French knights during the Hundred Years’ War, regularly decimated by Welsh archers because they had to charge for the sake of honour, finally resigned themselves to changing their system of references.
Today, after several millennia of confrontations, it is relatively easy to distinguish the main military virtues, which constitute a sort of shared pool for most of the world’s armed forces: discipline, rigour, courage, mutual trust (dependence), fraternity of arms, team spirit, endurance, etc. During the First World War, French soldiers endured the terrible ordeals of the front line and found the moral strength necessary to continue to fight. The real but rare episodes of mutiny in 1917 should not obscure the magnificent virtues they displayed. In 2013, during the intervention in Mali, French units accompanied by Chadian units moved into the Adrar des Ifoghas to neutralise the armed terrorist groups that had taken refuge there. This phase of Operation Serval took place in hellish conditions: extreme heat (temperatures regularly exceeded 50 °C), moving into very hostile terrain—the mountainous terrain made progress difficult and favoured the enemy, logistical support was complicated by the distances involved. Moreover, from the outset of the fighting, the enemy showed he was determined to fight to the death. However, this had no effect on the morale and operational capability of French units. Some of the fighting took place at a distance of just a few metres, sometimes in hand-to-hand combat, with soldiers forced to take off their body armour in order to slip into the crevices that sheltered the enemy. Successive operations took place over 10 days without interruption. The battle groups finally took control of the entire area. Beyond indispensable skills and technical capabilities, this success was due to the excellence of the military virtues that had been nurtured precisely for these situations. It is because it was motivated by the finest of these that the Serval brigade triumphed over adversity and the enemy.
- Military virtues, between fantasy and inspiration
The military world exerts a certain form of fascination on the rest of society, and in particular on its political elites. Faced with the difficulty of implementing public action, they readily turn to what they consider to be the model for action. It is interesting that this tendency grows as politicians belong to a generation whose familiarity with the armed forces is limited to the Defence and Citizenship Day (DDC), at best. The management of the Covid-19 epidemic confirmed this collective appetite for military efficiency, which some people believe should have led the armed forces to take charge of the vaccination campaign. It was as if the required skills did not exist within the ministries or as if the indispensable expertise could not be obtained from health and logistics professionals.
This fascination probably originates in the military practice of thinking about action while respecting the values of society and carrying out action while respecting the virtues that condition operational effectiveness. The real or imagined harshness of military training also plays a role. But here again, the pragmatic approach of the institution should not be overlooked: the harshness, real even if relative, is never gratuitous; it aims to encourage learning of these military virtues. It is thus linked above all to the repetition ad nauseam of elementary gestures and operational procedures—the famous Anglo-Saxon drill—and to the controlled use of force.
In the 11th century, knights trained from childhood to know how to ride while holding a heavy lance, to absorb the shock and then strike with the sword. At the beginning of the 16th century, the arquebus spread through European armies; to ensure effective rolling fire, it was necessary to impose an exhausting drill on the shooters, to push their bodies to breaking point in order to adapt them to the repetitive gestures of firing and reloading.
Harshness is not the fantasy of an adolescent who wants to show his virility, but an operational requirement. Today, a young officer cadet at Coëtquidan, a young non-commissioned officer cadet at the Saint-Maixent or a young person enrolled in any rank-and-file training centre will experience the difficulty of long night marches, with weapon and combat kit, or of commando training or obstacle courses. By reaching their physical or psychological limits, they will fully understand the importance of rigour, which means maintaining one’s weapon before taking care of oneself; the importance of discipline, which ensures that the order received is executed precisely to avoid the risk of jeopardising the unit’s manoeuvre; the importance of trust, when one relies on one’s comrades for support in the face of the enemy. Military virtues cannot be a catch-all model for institutions in search of reform, because their purpose is very different: endurance, patience, fortitude are all oriented towards the tragic hypothesis of killing, or even being killed.
The French armed forces fight for values, they fight for virtues. One of the most striking manifestations of this principle is the ability to control violence. With deeply rooted virtues nurtured on a daily basis, in training and in operations, French forces constantly demonstrate this control. In 1993 in Mogadishu, Colonel de Saqui de Sannes was leading a detachment of Operation Oryx. Engaged in support of Moroccan peacekeepers, he chose not to fire heavy weapons at enemy combatants who were taking cover behind civilians during the fighting, which lasted several hours. Preferring to use precision fire, he controlled the violence and thus avoided the collateral damage and escalation that American forces were to experience a few months later in more or less similar conditions.
In contrast to this fascination with the armed forces seen through the prism of action, one also sees in politicians a recurrent suspicion, fuelled by a supposed temptation to set oneself up as a repository of outdated values or virtues. It is true to say that the virtues that the armed forces nurture—and often lay claim to—are regularly challenged by the rapid evolution of a civil society that is quicker to challenge. A brief reflection on loyalty can go some way to answering this suspicion.
Respect for this virtue is fundamental to the military profession: loyalty to one’s word, to comrades, to leaders and to subordinates. A requirement that does not stop at the boundaries of the neighbourhood or the entrance to the base. In some theatres of operation, the tactical situation allows soldiers to enjoy opportunities to relax and recharge their batteries, sometimes off-base. Temptations may then arise, testing the personal commitment of certain individuals, formally or informally pledged to a person generally left behind in metropolitan France. The need for seduction, intimacy or simply exchange can then flood into the cracks in the resolution; some take the plunge, despite pledges given. But the demand for loyalty is total and cannot be negotiated: how can one think that someone who breaks his personal commitment will respect the one that binds him to his brothers in arms and to his unit? It is not a question of judging the conduct of individuals, but of demanding total coherence from those in whose hands we place our lives and the success of the mission. In this sense, the promotion of virtues has much more to do with operational efficiency than with conformity to a moral model.
Nevertheless, it is essential for the armed forces to remain connected to society and its developments. This is the case in practice, since the military’s vital forces are formed by young people who, when they join the ranks, bring with them their freshness and dynamism. It is therefore necessary to carefully monitor this fundamental link between the armed forces and the nation, with no concessions on the “bedrock”, at the risk of losing operational efficiency. With no concessions, because that would open the door to the trivialisation of the armed forces and the military profession, notably calling the military status into question.
- Honour, virtue in action and military value par excellence
There is, however, an exception, which would confirm the proposed rule of values to fight for and virtues to fight with. Honour could be considered as both a value and a virtue. The flags and standards of the units of the French armed forces all bear the inscription “Honneur et Patrie” (“honour and the motherland”). If Monique Castillo writes that honour is a virtue in action3, it is clear that it is also a value that guides military action. At Camerone, Captain Danjou’s legionnaires all took an oath to continue a battle they were certain to lose against forces that were far superior in numbers. It was a matter of being faithful to their commitment, even if it meant sacrificing their lives for the success of the mission: by mobilising the Mexican forces, they increased the chances of the French logistics convoy avoiding attack. To break this pledge would have been a breach of honour. At Bir Hakeim, the 1st Free French Brigade resisted the Afrika Korps for more than two weeks, giving the British 8th Army time to call up reinforcements and win the first battle of El Alamein. It was an indisputable tactical defeat and a resounding strategic victory that sent ripples far beyond the North African theatre. “Be assured and tell your troops that all of France is watching you and that you are its pride”, wrote General de Gaulle to Koenig.
If we needed another illustration of the fact that honour belongs to military values and virtues, we could mention the Code of Honour of the French soldier. While the title of this code in force in the French Army explicitly makes honour the guiding value of the soldier’s virtues, its Article 2 specifies that in all circumstances the soldier should act “with honour, courage and dignity”.
- Inspiring society
As General Bachelet writes4, “the French Army embodies a culture that is the military expression of a centuries-old humanism.” The armed forces can—and must—play an inspiring role in modern society, which is too often inclined towards compassion for the victim and which attaches undue importance to the traumas of all kinds that life can inflict on each of our fellow citizens.
Soldiers are not victims: they are heroes who knowingly accept to commit their lives to defend France, its interests and the values it embodies, wherever necessary. There can be no greater source of inspiration than the search for and the experience of this shared responsibility in the commitment of our armed forces, which is a responsibility of all our fellow citizens.
Finally, military personnel are those who have committed themselves and who cultivate virtues, because those virtues are the guarantee of their operational effectiveness; military personnel are the ones who constantly control the exercise of violence, in the name of the values of France. This undoubtedly offers food for thought within society.
1 M. Castillo, « Existe-t-il des valeurs propres aux militaires ? », Inflexions no. 30, 2015/3, pp. 151-158.
2 J.-R. Bachelet, « L’action militaire : sens et contresens », Inflexions no. 1, 2005, pp. 47–65.
3 M. Castillo, op. cit..
4 J.-R. Bachelet, « D’un socle commun à des convictions partagées », Inflexions no. 11, 2009, pp. 13–27.