N°49 | La route

Jean-François Klein
Pennequin, le sorcier de la pacification
Jean-François Klein, Pennequin, le sorcier de la pacification, Maisonneuve & Larose / Hémisphère

Voici un livre tout à fait essentiel, car il comble un vide important de notre historiographie. Le général Pennequin, homme de terrain à Madagascar et surtout en Indochine, est en effet l’un des grands oubliés de l’histoire de l’Empire colonial français. Ce bel ouvrage d’histoire militaire trouve sa source dans une habilitation à diriger des recherches soutenues en 2014. Saint-cyrien marqué comme toute sa génération par la défaite de 1870 (il est fait prisonnier après Bazeilles), Théophile Pennequin sert ensuite sans grand enthousiasme aux Antilles françaises avant de partir pour un premier séjour en Indochine, en particulier au Tonkin, entre 1879 et 1882. Capitaine, il est affecté en octobre 1883 à Nosy Be, et de là rejoint Madagascar où il lève et entraîne une unité de tirailleurs indigènes. En trois ans, il devient l’un des fondateurs des tirailleurs malgaches : « En bon officier républicain, Pennequin espère toujours créer l’embryon d’une nation sakalava appuyée sur le peuple armé et la conscription. […] Il demande la mise en place, comme Faidherbe l’avait fait au Sénégal, d’une école militaire des otages sur le modèle de celle de Saint-Louis-du-Sénégal pour former de nouveaux tirailleurs issus des grandes familles. » Enrichi par cette expérience, il retrouve le Tonkin en 1887, d’abord en pleine lutte contre les Pavillons noirs, menant avec Pavie une intense action politique auprès des bandes rebelles et des tribus dans les régions non soumises de Laï Chau, Son La et Dien Bien Phu. Administrateur et chef militaire, il poursuit de façon très active et novatrice sa politique de pacification, quadrille le territoire, relance l’économie locale et développe l’enseignement du français. En 1893, alors qu’il commande le IVe Territoire militaire, il formalise sa conception de la colonisation dans un rapport qui inspirera directement Gallieni et Lyautey, qui le qualifiera de « sorcier de la pacification ». Il insiste sur l’indispensable unité de commandement, sur la primauté de l’autorité militaire tant que la pacification n’est pas acquise, sur la diversité des peuples et des cultures, sur la nécessité de gagner la confiance des autochtones et de faire preuve de pragmatisme : « Il faut s’appuyer sur les populations. Nous ne pacifierons jamais si nous n’avons pas le pays pour nous ; mais pour avoir le pays il faut inspirer confiance, être fort et faire métier de soldat en même temps que l’on satisfait aux aspirations des différentes races. » Il retourne ensuite à Madagascar, puis retrouve à nouveau l’Indochine, Cochinchine et Cambodge d’abord, avant de commander l’ensemble des troupes de la péninsule. Dans les années qui précèdent la Grande Guerre, il tente de promouvoir le principe d’une « armée jaune », défensive, qui « se veut et doit être aussi éducatrice et aider à former une nation vietnamienne, annamite dit-on alors ». Son projet moderne choque dans les milieux coloniaux civils, politiques et économiques. Les campagnes de dénigrement ne vont plus cesser, il est ostracisé jusque dans les rangs de l’armée, limogé avant l’heure et après quarante-six années passées dans les troupes coloniales, « meurtri », il doit quitter le service et sombre dans la dépression. Un livre excellent.

PTE

100 000 morts oubliés | Jean-Pierre Richardot