N°5 | Mutations et invariants – III

Philippe Darantière

Les sociétés militaires privées : succès et contraintes

Le nouveau contexte international né de la crise du 11 septembre 2001 a développé le leadership exercé par les américains en matière de défense et de sécurité (même si ce leadership connaît quelques difficultés). Les États-Unis se considèrent depuis cette date comme un pays en guerre. Cette opinion dominante donne aux dirigeants américains une large marge de manœuvre pour conduire une stratégie de sécurité tous azimuts. Dans cette perspective, le « remodelage » politique de régions entières est envisagé, voire mis en œuvre, comme en Afghanistan ou en Irak. Cette stratégie de sécurité s’articule autour de trois axes : la puissance militaire, la domination économique et la maîtrise des opinions. Chacun de ces trois axes correspond à plusieurs caractéristiques majeures.

Approche volontariste de la conquête des zones d’intérêt stratégique, incluant l’emploi de la force : c’est la lutte contre les pays de « l’axe du mal ».

Imbrication des politiques publiques-privées de maîtrise de ces zones d’intérêt stratégique : le cas de l’Irak fournit un exemple concret d’enjeux politiques, énergétiques et militaires entremêlés.

Exploitation des opinions publiques à des fins d’influence, passant par l’utilisation de procédés offensifs dénués de toute considération morale : l’exhibition des « preuves » de Colin Powell devant le Conseil de sécurité de l’onu restera dans les annales de la désinformation.

En face de cette stratégie, la position de la France se caractérise par une approche plus traditionnelle des relations interétatiques, des relations économiques ou des relations avec l’opinion publique. Un cas particulier illustre ce décalage : celui de l’emploi par certains pays anglo-saxons de sociétés privées de prestation de services relevant traditionnellement des armées, les sociétés militaires privées ou smp. En 1995, la société Military Professional Resources Incorporated (mpri) avec 350 employés et un potentiel militaire de 7 000 hommes a contribué de manière efficace à la modernisation de l’armée croate qui lui a permis de renverser de manière décisive le rapport de forces avec la République serbe de Krajina. Elles représentent actuellement en Irak un ensemble de plus de vingt-cinq smp, essentiellement américaines et britanniques, répertoriées dans un document des services du département d’État américain intitulé « Security Companies Doing Business in Iraq », daté de mai 2004. Ainsi, lors de la première guerre du Golfe de 1991, le ratio était d’environ 1 acteur privé pour 100 soldats ; il est passé à 1 pour 10 en 2003. Dans la phase actuelle du déploiement en Irak, ces acteurs privés représentent la deuxième force d’occupation, soit l’équivalent de 20 % des forces américaines.

Aussi, depuis plusieurs années, les États-Unis, mais aussi la Grande-Bretagne et plusieurs autres pays, ont adopté des législations qui rendent possible le recours à des sociétés de prestation de services dans le domaine militaire. Quand il s’agit de contrats au profit de leur propre défense nationale, ces sociétés peuvent être chargées de missions de logistique, de maintenance, d’instruction ou de gardiennage. Quand elles offrent leurs services à des États tiers, dans le respect des intérêts nationaux de leur pays d’origine, elles peuvent assurer des missions d’instruction, d’encadrement, de logistique, voire de combat. Ces sociétés, comme Military Professional Resources Incorporated, Vinnel Corporation, Sandline International ou Gurkhas Security, accompagnent partout les intérêts anglo-saxons. Elles sont présentes dans les Balkans (Bosnie, Kosovo), au Moyen-Orient (Irak, Arabie Saoudite), en Asie (Afghanistan), en Afrique (Liberia, Côte d’Ivoire) ou en Amérique du Sud (Colombie), par exemple.

La France, pour sa part, a ratifié en mars 2003 le protocole additionnel de 1989 à la Convention de Genève qui réprime l’activité de mercenariat. Aux dires même des rapporteurs de la loi, il ne s’agit que d’une première étape avant l’adoption en France d’une législation sur les sociétés militaires privées. Toutefois, même si les parlementaires ont rapporté la loi qui vient d’être votée, rien n’est encore en chantier pour définir une position française sur la légalisation des smp françaises.

Le marché des smp dans le monde

En 2006, l’ensemble des sociétés militaires privées ont un chiffre d’affaire annuelle de 100 milliards de dollars par an dont 52 milliards de dollars aux États-Unis et cela augmente chaque année. Derrière ce chiffre se cache une multitude de situations, qui appellent des réponses variées de la part des acteurs privés. Le tableau ci-dessous tente une synthèse des activités de ces sociétés.

Le modèle américain : des sociétés de type para-étatiques

Les contrats inférieurs à 50 millions de dollars doivent obtenir l’accord du Pentagone. Les contrats supérieurs à 50 millions de dollars doivent obtenir l’accord du Congrès. La majorité des contrats sont passés avec le Département d’État et le Pentagone.

Military Professional Resources Incorporated (mpri)

Fondée en 1987 en Virginie, l’entreprise est dirigée par des hauts gradés de l’armée américaine à la retraite, comme par exemple le général Carl E. Vuono, « us Army Chief of Staff » de 1987 à 1992 et le général Crosby E. Saint, « commander » de l’armée américaine en Europe de 1988 à 1992. Elle dispose d’un fichier d’anciens professionnels de l’armée (un fichier estimé à 2 000 noms) et propose son expertise militaire à de nombreux clients, parmi lesquels, avant tout, des agences gouvernementales américaines, et divers régimes « amis » que les Américains souhaitent aider sans s’impliquer directement (ou officiellement). Elle est dirigée par un comité formé de 14 personnes (pour la plupart, là encore, des militaires à la retraite), nombre d’entre eux ayant travaillé pour la Defense Intelligence Agency (dia), les services secrets de l’armée américaine1.

mpri est divisé en quatre branches distinctes.

le National Group qui assure un soutien au Département Défense, aux forces armées et aux agences gouvernementales dans l’aide au recrutement, le conseil et l’expertise dans la lutte contre le terrorisme, la formation des officiers et sous-officiers ;

l’International Group qui propose des prestations pour l’étranger avec l’accord du gouvernement, en particulier des programmes d’assistance à la transition démocratique et des programmes de stabilisation militaire ;

le Support Group qui donne des formations à la communication stratégique pour les gouvernements alliés ;

l’Alexandria Group qui offre des interventions auprès des services du « Law Enforcement » : lutte contre le trafic de drogue, etc.

mpri a participé à de nombreuses missions dont certaines ont donné lieu à des controverses.

Formation de l’armée croate aux tactiques de contre-offensive et assistance lors de la reprise de la Krajina.

Entraînement de la police et des forces colombiennes de contre-insurrection, assistance aux bataillons antidrogue de l’armée, fourniture d’avions et d’équipements.

Mise en place du Centre africain pour les études stratégiques sur le modèle du Marshall Center allemand.

Mise sur pied d’une force africaine de maintien de la paix : L’Africa Contingency Operations Training Assistance. MPRI fournit des officiers de commandement au niveau du bataillon et de la brigade, améliore interopérabilité des forces et assure des programmes d’entraînement en coordination avec les forces armées américaines.

Rédaction de manuels militaires.

DynCorp : www.dyn-intel.com

Cette société est spécialisée dans la technologie à vocation militaire et de sécurité. Elle a son siège à Reston, en Virginie. C’est l’une des plus importantes sociétés militaires privées du monde. Elle emploie 26 000 personnes et a fait un chiffre d’affaire de 2,3 milliards de dollars en 2002, dont 98 % avec le gouvernement des États-Unis.

Le 7 mars 2003, elle a été rachetée pour 950 millions de dollars, par la société d’informatique Computer Sciences Corporation (csc). Puis, le 14 février 2005, Computer Sciences Corporation (csc) cède DynCorp à Veritas Capital.

Elle participe à de nombreuses missions.

modernisation du système informatique du fbi après le 11 septembre : installation de 20 000 ordinateurs et mise en place du réseau « Trilogy » ;

installation du système de communication d’urgence des ambassades américaines ;

pose d’appareils de détection le long de la frontière mexicaine ;

formation de la police bosniaque et de la police haïtienne au maintien de l’ordre, sous contrat avec la cia et le département d’État ;

participation active à des opérations antidrogue au Pérou, en Équateur et en Colombie (pilotage d’avions pour la pulvérisation de défoliants sur les champs de coca).

Le modèle britannique : des liens informels avec l’État

On compte une trentaine de sociétés militaires privées en Grande-Bretagne, les unes fiables et légitimes, les autres non. Elles font appel à des personnels ayant des statuts divers : salariés de smp ou des industries de défense, volontaires servant dans les armées étrangères, mercenaires. Ceux-ci exercent des activités diverses : sécurité, déminage, conseil, formation, soutien logistique, voire activités de renseignement, de planification d’opération et même de combat. Le Foreign Office estime que ces personnels contribuent efficacement à l’externationalisation de diverses tâches, en complément ou en substitution aux forces armées étatiques. Le problème est de pouvoir discerner quelles sont les entreprises (fiables dans la durée) de celles qui ne le sont pas. Par fiables, on entend pratiquant des activités licites, en en référant au gouvernement, avec un taux d’efficience suffisant dans la durée d’une opération. Ainsi, la Grande-Bretagne refuse de légiférer du moment que ces sociétés ne participent pas directement aux combats. Ses critères sont la respectabilité de la société privée et le caractère licite des activités qu’elle mène.

Sandline International : www.sandline.com

Société militaire privée britannique, basée à Londres et fondé au début des années 1990, Sandline International a mis fin à ses activités le 16 avril 2004, arguant que les gouvernements ne faisaient pas assez appel aux smp et qu’en conséquence de quoi la société n’avait pu se démarquer de la concurrence.

La particularité de cette société était la participation directe de son personnel à des missions de combat, pour le compte de gouvernements avec lesquels la société a des liens contractuels directs. Exemples de missions :

conseil stratégique : analyse des menaces sur un théâtre d’opérations ;

formation des forces spéciales et de police ;

renseignement : apport en technologie d’analyse de l’information ;

opérations humanitaires : escorte, déminage, assistance médicale ;

communication stratégique : relations publiques, lobbying international ;

assistance au Law and Order : opérations de lutte anti-drogue, gestion de foule en cas d’émeutes.

Armor Group : ex Defense Systems Ltd

Cette société propose essentiellement des prestations de sûreté/sécurité pour des installations sensibles, pétrolières ou minières. Elle est présente dans 47 pays et compte 5 000 employés. Elle assure des missions de formation à la lutte anti-insurrectionnelle et aux techniques policières ; de protection d’opérations humanitaires ou internationales ; de reconstruction post-conflit ; d’expertise et évaluation des risques, audit des investissements nécessaires en sortie de crise.

The Saladin Group

Saladin fournit une gamme complète de services de sécurité. Ceux-ci incluent tous les domaines de la sécurité, y compris des activités militaires et paramilitaires, la défense des entreprises pour tous les problèmes de sécurité, y compris le traitement d’enlèvements et de demande de rançon, la protection des personnalités. Elle fait également de la surveillance, contre-surveillance, sécurité électronique et de communication, etc.

Les autres pays

Il y a une dizaine de sociétés militaires privées en Afrique du Sud. Le Canada s’est également doté de smp telles que Globe Risk Holdings, Global Impact. Seuls quatre autres pays africains en disposent : l’Angola (4), le Zimbabwe (1), la Sierra Leone (1) et l’Ouganda (1). Israël a développé le concept avec 6 sociétés travaillant principalement dans le domaine de la sécurité comme Golan Group ou Silver Shadow Advanced Security Systems (fondée en 1994, elle a travaillé pour British Petroleum en Colombie). La Russie voit également éclore quelques sociétés de protection-sécurité (Russian Military Brotherhood).

Le cas d’Executive Outcomes est assez intéressant. Il s’agit d’une société militaire privée sud-africaine créée en 1989 par d’anciens militaires et membres des forces spéciales sud-africaines, impliqués dans le maintien de l’apartheid. La société a remporté son premier contrat en 1992, avec des sociétés pétrolières. Il consistait à dégager et sécuriser certaines zones tenues par l’Unita, en Angola. Son succès lui valut deux contrats de 80 millions de dollars avec le gouvernement angolais : celui-ci avait fait remarquer que les différentes actions de l’onu (forces d’interposition et observateurs), beaucoup plus onéreuses, étaient restées sans effet. À son apogée, Executive Outcomes était présente dans plus de trente pays essentiellement africains, avec près de 500 employés en Angola et en Sierra Leone. Ses débordements ont entraîné sa dissolution en 1998 et le vote d’une loi anti-mercenariat en Afrique du Sud.

Analyse des règles juridiques dans le monde

L’activité des smp a une dimension internationale et est, de ce fait, soumise au respect des règles nationales et internationales en vigueur dans le cadre de ces activités. Or, un certain nombre d’outils juridiques s’appliquent essentiellement à la répression du mercenariat. Il est donc important d’étudier les implications de leur utilisation aux activités des sociétés militaires privées.

Il existe deux grandes catégories d’outils : les textes nationaux ayant une portée sur tout le territoire de l’État qui les édicte, mais qui peuvent aussi concerner tous les ressortissants de cet État, même s’ils ne se trouvent pas sur le territoire national ; et les textes internationaux qui sont apparus dans la deuxième moitié du xxe siècle et qui ont une portée plus large.

La réglementation internationale

L’article 47 du premier Protocole additionnel du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949.

Ces textes ne parlent pas de sociétés militaires privées ; ne sont évoquées que les activités de mercenariat individuelle.

« Un mercenaire n’a pas droit au statut de combattant ou de prisonnier de guerre. Le terme mercenaire s’entend de toute personne :

qui est spécialement recrutée pour se battre dans un conflit armé ;

qui prend part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette partie ;

qui n’est pas ressortissant d’une partie au conflit, ni résident d’un territoire contrôlé par une partie au conflit ;

qui n’est pas membre des forces armées d’une partie au conflit ;

et qui n’a pas été envoyée par un État autre qu’une partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit État. »

Ainsi, tels que définis par le Protocole, les mercenaires se voient dénier le droit au statut de combattant et donc de prisonnier de guerre. Capturés, ils pourront ainsi être jugés comme des criminels de droit commun et encourir les peines prévues par le droit local, y compris la peine capitale. Cependant, le statut de prisonnier de guerre ne trouve à s’appliquer que dans le cadre des conflits armés internationaux.

Ainsi, si le Protocole de 1977 permet indirectement de lutter contre le mercenariat, en créant un régime juridique dissuasif, il n’a pas pour objet de servir de base à des incriminations en droit international pénal. Le mercenariat ne figure d’ailleurs pas parmi les « infractions » ou les « infractions graves » dudit Protocole énumérées par l’article 85. En tout état de cause, la question de l’assistance militaire privée ne peut pas être traitée par les seules normes internationales existantes, même si la Convention de 1989 peut poser un certain nombre de problèmes d’appréciation. Le Protocole additionnel à la Convention de Genève est le texte qui a le plus large écho, puisque 161 États en sont parties prenantes, ce qui lui confère une portée quasi universelle.

La convention internationale contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction
de mercenaires du 4 décembre 1989.

Adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies (agnu), cette Convention va beaucoup plus loin, mais seuls 24 États l’ont ratifiée et y sont donc liés.

Elle qualifie ainsi de mercenaire toute personne :

qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour prendre part à un acte concerté de violence visant à renverser un gouvernement ou, de quelque autre manière, porter atteinte à l’ordre constitutionnel d’un État, ou enfin à porter atteinte à l’intégrité territoriale d’un État ;

qui prend part à un tel acte essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel significatif et est poussée à agir par la promesse ou par le paiement d’une rémunération matérielle ;

qui n’est ni ressortissante ni résidente de l’État contre lequel un tel acte est dirigé ;

qui n’a pas été envoyée par un État en mission officielle ;

qui n’est pas membre des forces armées de l’État sur le territoire duquel l’acte a eu lieu.

Il faut noter que cette Convention omet le caractère direct de la prise de participation aux hostilités. Or cette omission dans le Protocole, en élargissant son champ d’application, permet par ricochet d’inquiéter aussi des responsables publics, fonctionnaires, militaires, hauts responsables de l’État pour avoir « recruté, utilisé, financé ou instruit des mercenaires ».

Ces textes cherchent à définir le mercenaire et non le mercenariat en tant qu’activité. Les personnes morales privées, comme les sociétés commerciales et les sociétés militaires privées, ne sont pas concernées. Ces définitions du mercenaire semblent donc en contradiction avec l’évolution des pratiques : le mercenariat moderne passe d’une analyse quantitative à une analyse qualitative, le client recherche un savoir-faire plutôt qu’une main-d’œuvre combattante.

La Convention sur l’élimination des mercenaires en Afrique et l’Organisation de l’unité africaine (oua) du 3 juillet 1977.

Il s’agit d’une Convention multilatérale restreinte, qui se limite à des États d’une zone géographique déterminée, sans aucune vocation à l’universalité. Depuis son entrée en vigueur en 1985, 22 États l’ont ratifiée et 4 l’ont signée. La convention de l’oua s’applique entre ces 22 États.

Cette Convention est surtout conçue pour interdire l’emploi de mercenaires dans le cadre de la répression des mouvements de libération nationale (usage de la violence armée dans le but de s’opposer « à un processus d’autodétermination, à la stabilité ou à l’intégrité territoriale d’un autre État »). Ainsi, elle n’empêche pas les gouvernements africains de recourir à des mercenaires dans d’autres cadres que celui-ci, notamment pour leur défense.

Les réglementations nationales

Les États-Unis

La législation américaine n’interdit pas le fait de vendre du conseil, voire de se joindre à des combats, donc d’exercer une véritable activité de mercenaire. Elle en réprime en revanche le recrutement sur son territoire par le us Neutrality Act (1937), qui interdit aussi le fait pour un Américain possédant la double nationalité de s’engager auprès de l’autre État dont il est ressortissant pour combattre un État en paix avec les États-Unis.

Paradoxalement, la loi fondamentale américaine dispose d’un texte, la section 8 de l’article 1er de la Constitution américaine, qui énonce : « le Congrès aura le pouvoir de déclarer la guerre, d’accorder des lettres de marque et de représailles, et d’établir des règlements concernant les prises sur terre et sur mer ». Pendant la guerre d’indépendance, cette clause (The Marque and Reprisal Clause) permettait au Congrès d’émettre de telles lettres en échange desquelles des corsaires (privateers) pouvaient armer des flottes privées afin d’attaquer les lignes commerciales maritimes britanniques. Certains juristes américains excipent de cette disposition jamais abolie pour légitimer les activités des smp.

Un texte récent favorise et contrôle l’activité des sociétés militaires privées. Il s’agit de l’International Traffic in Arms Regulations (itar), de mars 1998, qui réglemente l’exportation de connaissances, de biens et de services en matière de défense.

Tout fabricant ou exportateur de biens ou de services dans le domaine de la défense doit être enregistré par le Départment of State’s Office of Defense Trade Control (odtc), qui donne des autorisations aux contrats de fournitures de prestations de défense, après consultation du ministère de la Défense et de la représentation américaine dans le pays client potentiel. L’aval se matérialise par une licence autorisant ou non l’exportation d’une main-d’œuvre sécuritaire ou l’octroi d’une assistance militaire par un opérateur privé pour le compte des États-Unis. S’apparentant à la procédure américaine de contrôle de vente d’armes, Foreign Military Sales (fms), elle en possède les éléments constitutifs : négociation d’accord d’État à État, autorisations progressives durant tout le déroulement de la procédure, jusqu’à la conclusion du contrat. De plus, un contrôle du Congrès est obligatoire lorsque le contrat de fourniture dépasse les 50 millions de dollars.

Le Royaume-Uni

Le Foreign Enlistment Act de 1870 repose sur une base similaire au texte américain : il fait interdiction de mener une action militaire contre un État en paix avec le Royaume-Uni sans l’autorisation du gouvernement britannique. Un débat est en cours pour savoir si de nouveaux textes doivent être votés au sujet des smp, adaptant à ces sociétés le code de conduite adopté par l’Union européenne pour l’exportation d’armements :

respect des obligations et décisions internationales ;

respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

prise en compte de la situation interne du pays en cause, du comportement de son gouvernement à l’égard de la communauté internationale, des risques de détournement de l’assistance accordée ;

préservation de la sécurité et de la stabilité régionales, de la sécurité du Royaume-Uni et de ses alliés.

L’Afrique du Sud

L’Afrique du Sud a décidé d’adopter un texte répressif le 14 Mai 1998. Le Regulation of Foreign Military Assistance Act interdit les activités de mercenaires (participation directe en qualité de combattant à un conflit armé en vue de gains privés, ainsi que l’entraînement, le recrutement ou l’utilisation de mercenaires, ou même le financement de ces activités).

C’est aussi sur le modèle des exportations d’armements qu’est basée la fourniture de services militaires à l’étranger : un accord préalable du comité spécial, le National Convention Arms Control Committee (ncacc) est nécessaire.

L’application des différentes réglementations

Les textes nationaux ne s’appliquent donc que sur le territoire des États ou par rapport à des ressortissants.

Ils ont tous une base similaire : respect des activités, mais contrôle des excès. En fait, tous permettent une action militaire privée à l’étranger, mais qui peut avoir une intensité d’investissement différente (du conseil au combat), et qui se restreint au fur et à mesure que cette activité entre en contradiction avec la politique de l’État dont sont ressortissantes les personnes considérées. Il est aussi important de noter que tous les États condamnent le mercenariat, et que lorsqu’ils encadrent la régulation de l’assistance militaire, ils le font sur la logique du transfert d’armement.

Les textes internationaux ne s’appliquent qu’à des États qui les ont ratifiés et signés. Même lorsqu’un traité ne peut entrer en vigueur qu’avec un certain nombre de ratifications, comme par exemple la Convention de l’oua nécessitant 22 signatures pour entrer en vigueur, celle-ci ne se fait que pour les États qui l’ont signée et ratifiée.

De plus, seuls les États peuvent voir leur responsabilité mise en cause pour le non-respect d’une Convention internationale dont ils sont membres. Les individus ou les sociétés ne sont pas pris en compte par le droit international public.

Le seul texte pénal international pouvant incriminer des individus ou des organisateurs qui ne soient pas des responsables étatiques est le traité de Rome portant création d’une Cour pénale internationale. Mais celle-ci ne peut connaître que des crimes d’agression (non définis, donc le principe est non utilisable), de génocide ou de crime contre l’humanité.

La Convention de 1989 est applicable aux activités des sociétés militaires privées. Celles-ci doivent donc prendre un certain nombre de précautions pour intervenir dans les États qui en font partie. En effet, dans ces États, toute activité militaire ou de sécurité peut aboutir à l’incrimination de mercenaire, que cette activité se déroule en période de conflit ou de paix, qu’elle soit légitimée par un État ou non.

La législation française

La France ne dispose pas d’un arsenal juridique homogène pour cerner l’activité des smp. Il convient de distinguer d’une part la répression par le code pénal de faits relevant de diverses incriminations, et d’autre part la réglementation qui s’applique aux activités de sécurité, gardiennage et protection des personnes, relevant de régimes spéciaux.

Répression des activités de mercenaires

La répression des activités de mercenaire a fait l’objet d’une loi récente inscrite au Livre iv du code pénal : des crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique, votée en mars 2003.

Elle punit le fait de prendre ou tenter de prendre une part directe à des hostilités ou actes de violence visant les institutions ou l’intégrité territoriale d’un État, en vue d’obtenir un avantage personnel ou une rémunération supérieure à celle versée aux combattants des forces armées en présence, de la part d’une personne spécialement recrutée pour combattre. La loi s’applique si cette personne n’est ni ressortissante d’un État partie au conflit, ni membre des forces armées de cet État, ni n’a été envoyée en mission par un État autre en tant que membre des forces armées. Le fait de diriger une structure ayant pour objet le recrutement, l’emploi, la rémunération, l’équipement ou l’instruction militaire de tels personnels est également puni. Lorsque les faits mentionnés sont commis à l’étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable.

En outre, la question est traitée de façon indirecte par trois types de dispositions du code pénal et du code civil.

Tout d’abord, les articles 412-7 et 413-1 du code pénal sanctionnent le fait de « débaucher » des membres des forces armées françaises. La question de l’engagement individuel n’est pas abordée. Il faut également citer, dans le cadre des dispositions pénales, l’article 113-6 du code pénal sur lequel repose la théorie de la personnalité passive par laquelle la loi pénale française s’applique à des crimes commis par des ressortissants français à l’étranger.

Ensuite, des dispositions du code civil peuvent également intéresser ce problème. L’application des articles 23-8 et 25 du code civil peuvent aboutir à la perte de la nationalité française pour les mercenaires.

Enfin, l’article 35 de la loi n°72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, interdit aux militaires en activité d’exercer « à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit ». Il soumet également à un contrôle, durant une période de cinq ans, les militaires ayant cessé leur activité.

Les régimes spéciaux

La loi du 12 juillet 1983, modifiée par la loi 2003-239 2003-03-18 jorf du 19 mars 2003, relative aux activités privées de sécurité, englobe, dès lors qu’elles ne sont pas exercées par un service public administratif, les activités qui consistent :

à fournir des services ayant pour objet la surveillance humaine ou la surveillance par des systèmes électroniques de sécurité, ou le gardiennage de biens meubles ou immeubles ainsi que la sécurité des personnes se trouvant dans ces immeubles ;

à transporter et à surveiller, jusqu’à leur livraison effective, des fonds, des bijoux ou des métaux précieux ainsi qu’à assurer le traitement des fonds transportés ;

à protéger l’intégrité physique des personnes.

Elle a été complétée par un titre II concernant les « activités des agences de recherche privée » qui précise les conditions dans lesquelles ces activités peuvent s’exercer.

La loi de 1983 modifiée en 2003 est adaptée à des actions concrètes de sécurité, avec fourniture de moyens techniques et humains pour réaliser des prestations sur le terrain, employant un personnel salarié.

Il n’est pas fait ici référence aux cas où un contrat est passé entre une société française et un État étranger, puisque la loi ne concerne pas le fonctionnement, mais la qualification de ces entreprises et leur autorisation préalable d’existence. De même n’est pas abordé le cas où les prestations de sécurité sont faites à l’étranger au profit d’entreprises françaises. Ce dernier point représente une part importante du marché de la sécurité.

Le contrôle des exportations d’armement

Le principe de base est celui du refus de vente, ce qui oblige à demander une autorisation de l’État pour pouvoir vendre ses matériels à un autre État que la France, puisque le second principe de base est que seul les États peuvent acheter ces matériels, à l’exclusion de toute autre personne.

Ce principe s’applique au matériel de guerre, c’est-à-dire aux matériels appartenant à 3 des 8 catégories définies par le décret-loi du 18 avril 1938.

1ère catégorie : « armes à feu et leurs munitions conçues pour ou destinées à la guerre terrestre, navale ou aérienne » ;

2e catégorie : « matériels destinés à porter ou à utiliser au combat les armes à feu » ;

3e catégorie : « matériels de protection contre les gaz de combat ».

La procédure de contrôle est menée par la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (cieemg), qui donne un « avis motivé », la décision finale ne relevant que de l’appréciation du Premier ministre.

Les demandes sont déposées à la direction des relations internationales de la Délégation générale de l’armement (dga), puis transmises au sgdn2. La participation au « pré-cieemg » se fait en collaboration des différents ministères intéressés mais aussi de services comme la dga, la das3, les quatre états-majors, le Contrôle général des armées et tous les services de renseignement : dgse4, dpsd5, dst6, dnred7.

Les trois ministères disposent chacun d’une voix lors de la réunion de la cieemg et le contrôle des dossiers ne se fait que sur ceux n’ayant pas obtenu l’unanimité (avis favorable sans réserve). Sur chaque dossier, cette commission rend un avis et c’est le Secrétaire général de la Défense nationale qui prend la décision définitive (par délégation du Premier ministre). Il n’est pas tenu par l’avis de la cieemg.

Il existe à l’issue de la procédure trois formes de décision : l’agrément préalable, le refus ou l’ajournement.

Les agréments préalables sont de deux sortes : l’autorisation de négociation (autorisation d’élaborer un projet de contrat avec un client étranger, valable trois ans) ; l’autorisation de vente (pendant cette période, le contrat peut-être signé et est valable un an, renouvelable deux fois).

Mais il existe aussi une autorisation d’exportation temporaire, permettant les démonstrations et les expositions de matériels de guerre à l’étranger et des clauses de restriction peuvent aussi assortir toutes ces décisions (interdiction de réexporter ou d’effectuer des transferts de licence vers d’autre pays, interdiction d’adapter certains sous-systèmes à certains matériels).

Les refus : ils sont motivés et la plupart du temps liés à des embargos.

L’ajournement : se fait quand la cieemg estime avoir besoin d’informations complémentaires.

La cieemg applique un certain nombre de critères permettant de donner des orientations politiques à la demande d’exportation. Ces critères se définissent comme suit :

le respect des engagements internationaux (un embargo n’empêchant pas la poursuite de la maintenance des armes déjà vendues) ;

l’étude du risque militaire, comprenant : la sécurité des forces françaises et des pays alliés à la France ; la situation de la région, en tant que risque de conflit ou facteur de déséquilibre pour la paix dans la région ; la situation intérieure du pays considéré, comme les droits de l’homme (seront interdites les exportations d’armes pouvant servir à la répression interne) ;

la politique étrangère de la France ;

les risques de détournement ;

la capacité économique du pays acheteur, dont vont découler les garanties de la Compagnie française pour l’aide au commerce extérieur (coface) ;

l’étude du plan d’exportation du ministère de la Défense, c’est-à-dire l’équilibre que l’État recherche entre le soutien à son industrie nationale et son soutien à certains pays.

Pour conclure

En conclusion, on constate que malgré la loi concernant le mercenariat, malgré la loi concernant les activités privées de sécurité et malgré le contrôle des exportations d’armement, le problème des sociétés militaires privées n’est pas réellement abordé : quel statut, quelle légitimité, pour quoi faire, quelles prestations ?

Le trouble est posé, mais aucune solution n’apparaît : les sociétés militaires privées sont-elles justifiées, légitimes, légales ? 

Synthèse Philippe DarantiÈre

Depuis de nombreuses années, les pays anglo-saxons développent des sociétés dites militaires privées (une contradiction !) qui développent un chiffre d’affaires très important dans des activités jusqu’ici réservées aux forces armées ou de sécurité. Dans le même temps, la réglementation internationale combat le mercenariat comme étant une des causes de conflits ou au moins de leur prolongement. Chaque pays a également adopté sa propre législation avec une base similaire : respect des activités, mais contrôle des excès. L’article étudie la façon dont la France a tenté de résoudre ce problème avec une loi réprimant les activités de mercenariat, avec des régimes spéciaux pour les activités de sécurité et avec un contrôle des exportations d’armement. Malgré tout, le constat est que le problème des sociétés militaires privées n’est pas réellement abordé : quel statut, quelle légitimité, pour quoi faire, quelles prestations ? Le trouble est posé, mais aucune solution n’apparaît : les sociétés militaires privées sont-elles justifiées, légitimes, légales ?

Traduit en allemand et en anglais.

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