Bosnie-herzégovine, 1994, bataillon d’infanterie numéro cinq, il est environ 18 heures sur le checkpoint de mike unité, en zone bosniaque à quelques centaines de mètres du front ou combattent serbes et musulmans. La mission du groupe de combat auquel j’appartiens est très simple : dénombrer les combattants bosniaques allant et repartant de la ligne de confrontation.
Cette mission qui s’annonçait de routine va prendre une tournure assez particulière quand deux 4×4 de la police militaire bosniaque stoppent à notre niveau. En un instant une dizaine de policiers sortent, nous cernent en nous envoyant toutes sortes d’injures, prétendant que les soldats de l’onu renseignent les Serbes sur leurs positions et que, à cause de nous, des centaines de jeunes soldats meurent chaque jour. Mon chef de groupe, un Réunionnais d’une trentaine d’années, décide de prendre la parole et se fait rabrouer. Étant de couleur il n’a pas le droit à la parole. La situation se dégradant de seconde en seconde et voyant le groupe en mauvaise position, je décide en un instant de prendre mon fusil à lunette, de rentrer dans la tente qui nous servait de dortoir, et d’en ressortir par le côté opposé, et rapidement de trouver une position favorable pour appuyer le groupe. Moi, tireur d’élite, Casque bleu, soldat de la paix, être obligé de me cacher, et de pointer mon arme sur ceux que je suis censé défendre et protéger. La position trouvée, les questions fusent : que faire si l’un des policiers braque son arme sur l’un de mes amis ? Je tire ? Mais si je fais feu, les autres vont automatiquement riposter et j’assisterai à un massacre ? Réfléchir vite et bien, quand on a la vie de huit personnes, huit amis avec qui je partage depuis plus de deux ans, moments de joie et coups durs. Certains sont mariés, ont des enfants : je ne peux pas me permettre la moindre erreur. Je ne sais plus quoi faire, il fait froid mais je ne sens plus rien, et pourtant il va bien falloir que j’agisse car en bas la situation devient de plus en plus critique. ok, je décide alors de faire tout le contraire de ce que l’on m’a appris au stage de tireur d’élite. Au lieu de te cacher, montre-toi, me dis-je. Je me lève, me mets bien à vue des policiers et pousse un cri en levant mon fusil, et d’un coup disparais dans un petit bois se situant juste derrière moi, à la recherche d’une autre position, que je trouve assez facilement. En un instant la situation se retourne en notre faveur, sans un seul coup de feu. Les policiers voyant la situation tournée en leur défaveur, ont grommelé quelques dernières injures, sont retournés dans leur 4×4 et partis, nous ne les avons plus jamais revus du mandat.
Cette situation particulière les soldats français y sont confrontés à maintes reprises dans les différentes opérations dites de maintien de la paix. La République de Côte d’Ivoire en est un parfait exemple notamment pendant les événements de novembre 2004, ou certaines chaînes de télévision ont fait passer les troupes françaises pour des assassins aux yeux du public, chose que je ne voulais pas croire, jusqu’au jour ou prenant mon train, un civil me l’a « craché » au visage. Je n’ai rien dit, pourquoi je ne sais pas, mais je sais ce que j’ai vu, ce que j’ai fait, et surtout ce que les troupes françaises, que ce soit en République de Côte d’Ivoire ou ailleurs ont fait, et feront encore dans les années à venir.