N°11 | Cultures militaires, culture du militaire

Jean-René Bachelet

D’un socle commun à des convictions partagées ?

De l’extérieur, les armées sont souvent perçues comme un bloc quelque peu singulier au sein de la société. Une perception encouragée par une apparente uniformité des comportements individuels et collectifs, conjuguée au port, précisément, de l’uniforme. Que les a priori soient favorables et on considérera volontiers l’institution militaire comme le conservatoire de valeurs négligées, voire oubliées ailleurs : rigueur de comportement, discipline, désintéressement, courage, dévouement au bien public, sens du devoir, disponibilité jusqu’au sacrifice, amour de la patrie… Nombre de militaires, en particulier les plus jeunes, se reconnaissent d’ailleurs, consciemment ou inconsciemment, dans ce qui peut leur apparaître ainsi comme les fondements d’une « vocation ». Mais que ces a priori soient indifférents ou, pire, hostiles, et les mêmes apparentes singularités pourront être appréciées comme la marque d’une désuétude rigide, d’un conservatisme étroit, ou encore d’une robotisation de l’individu, quand ce n’est pas d’une dangerosité potentielle au regard des valeurs de l’humanisme et de la démocratie, dans une vision idéologique d’un monde militaire d’autant plus étrange et inquiétant qu’il serait de fait méconnu. On aura reconnu là les ingrédients qui nourrissent ce qu’il est convenu d’appeler l’« antimilitarisme »1.

Ainsi, la perception de l’institution militaire s’inscrit-elle dans une alternative tranchée. Mais qu’en est-il de la réalité ? La question est à proprement parler culturelle, au sens où l’on parle de « culture d’entreprise ». En effet, si la culture est, notamment, comme nous le dit le Larousse, un « ensemble d’usages, coutumes, manifestations intellectuelles qui distinguent un groupe », ou encore un « ensemble de convictions partagées, de manières de voir et de faire qui orientent plus ou moins consciemment le comportement d’un individu, d’un groupe », il s’agit bien de cela. Or, au-delà de l’apparente uniformité d’une « culture militaire » perçue comme immuable, avec l’évident socle de comportements singuliers et significatifs de « manières de voir »2 communes, les « convictions partagées », comme les « usages et coutumes », sont, dans les armées, comme dans toute institution humaine, à la fois diverses et évolutives.

Dès lors qu’il s’agit d’orienter les comportements dans une institution détentrice du pouvoir exorbitant d’user de la force, l’identification de cette culture, dans ses permanences comme dans sa diversité et ses évolutions effectives ou potentielles, ne relève pas d’une simple curiosité sociologique. À l’heure de la mutation historique que constituent, depuis plus d’une décennie, la professionnalisation des armées et leur emploi dans la gestion des crises, ces questions s’imposent comme relevant d’une démarche politique, au sens le plus large et le plus noble.

On ne traitera ici ni des singularités distinguant chacune des « armées » ou chacun des « services interarmées » (terre, air, mer, gendarmerie, service de santé…), ni de celles caractérisant chacune des « armes » ou chacun des « services » de l’armée de terre (infanterie, arme blindée cavalerie, aviation légère de l’armée de terre, artillerie, génie, transmissions, train, matériel, commissariat…), ni encore de celles, non moins prégnantes, des « subdivisions d’armes » (troupes de marine, Légion étrangère, parachutistes, troupes de montagne…). Si nous nous livrions à cet exercice, ce ne serait pas de diversité qu’il faudrait parler, mais de foisonnement. L’intérêt n’en serait pas qu’anecdotique, car, au-delà de la floraison des us et coutumes, des insignes et des attributs, du vocabulaire et des « traditions », peuvent être identifiés de véritables modes de pensée générés à la fois par le milieu humain, dont la forte cohésion incite au mimétisme, et par la pratique de « métiers » très structurants pour qui les exerce. Ainsi n’est-il pas indifférent que pour tel ou tel poste de responsabilité, au-delà de sa personnalité, de ses compétences propres et de son expérience, soit choisi un « terrien », un aviateur ou un marin, ou même un fantassin, un cavalier, un artilleur ou un « sapeur », ou même encore un légionnaire, un parachutiste, un « colonial » ou un « alpin ». Il y aurait là œuvre éclairante à réaliser à l’attention des décideurs politiques, à l’heure où, avec la fin de la conscription, leur connaissance du milieu militaire, déjà fragmentaire, devient pour le moins incertaine. L’ampleur de ce sujet mérite une étude en soi, et ce d’autant plus que l’évolution des « métiers » et de leur pratique devrait conduire à une approche non seulement descriptive mais aussi problématique. On remettra donc ce champ d’investigation à des réflexions futures pour se limiter aux seuls thèmes du socle culturel commun et des « convictions partagées ».

Ces thèmes sont problématiques. En effet, ce « socle commun », qui peut être identifié comme constitué de « dispositions d’esprit » génératrices de comportements singuliers, quelles que soient sa vocation à la pérennité et son apparente solidité – certains diront « rigidité » –, peut-il rester immuable dans une société et un monde en mouvement ? En quoi peut-il être influencé par des pratiques du « métier » qui sont celles de la gestion des crises d’aujourd’hui ? Quant aux nuances, sinon aux clivages, qui pourraient affecter les « convictions partagées », la seule grille d’interprétation qui puisse être proposée portera sur une époque révolue : celle de l’armée de conscription de la seconde moitié du xxe siècle, succédant au désastre de 1940, jusqu’à la fin du monde bipolaire, à travers les conflits de la décolonisation et l’étrange parenthèse de la guerre froide à l’ombre de la dissuasion nucléaire.

Pour peu que l’on puisse les identifier dans l’armée de ce demi-siècle passé, en quoi les clivages dans les « convictions partagées » sont-ils affectés désormais par la professionnalisation des armées et par son cadre d’engagement ? Quelles « convictions » sont à partager de toute nécessité ? Telles sont les questions qui seront sommairement abordées ici, sans prétendre y apporter des réponses péremptoires, mais avec pour seule ambition de susciter et de nourrir la réflexion.

  • Un socle culturel commun, de nature existentielle

Existe-t-il, en matière de dispositions d’esprit, sinon de convictions, susceptibles d’orienter les comportements dans les armées, une « culture militaire » commune qui transcende la diversité évoquée précédemment ? Sans souscrire nécessairement aux clichés habituels, une réponse affirmative s’impose à proportion de la singularité du métier des armes, au-delà de ses diverses déclinaisons.

Si l’on doit résumer les « dispositions d’esprit » sans lesquelles on ne peut devenir militaire, ou en tout cas on ne le reste pas, celles que s’efforce d’inculquer le « passage au moule » de la formation initiale et qu’entretient la pratique du métier, quelles que soient les armées et les armes, on identifiera à coup sûr trois ensembles de valeurs cardinales, composantes génériques, nécessaires sinon suffisantes, de toute « culture militaire ». Tout d’abord, une disponibilité sans faille et un engagement de l’être tout entier au bénéfice de la « mission » à accomplir, sans ménager ni son temps ni ses efforts ni sa peine et ce, si nécessaire, jusqu’au sacrifice de sa vie. En reprenant l’expression du statut général des militaires, nous appellerons cette disposition « esprit de sacrifice »3.

Ensuite un sens collectif affirmé, auquel se subordonnent les inclinations et les intérêts individuels, et qui se manifeste par un « esprit de corps » à travers lequel les individus se sentent valorisés et haussés au-delà d’eux-mêmes grâce à l’alchimie affective de la « fraternité d’armes ». La diversité des allégeances est transcendée et fédérée par ce que l’on n’appelle plus communément le patriotisme, mais dont la réalité demeure : une référence qui peut être quasi-mystique au service de la France, à l’exemple des anciens, et sous les plis du drapeau qui est l’emblème par excellence de l’identité collective, honoré à la faveur d’une véritable liturgie laïque. Cette disposition pourrait être dénommée « dévouement au bien commun ». Enfin, un rapport à l’autorité qui ne laisse pas place à la contestation4, encore moins à l’irrespect, dans le cadre de structures fortement hiérarchisées où chacun connaît sa place et s’y tient, sans ambiguïté. C’est l’« esprit de discipline »5.

Pour beaucoup, notamment pour les militaires, limiter la « culture militaire » à cette trilogie paraîtra sans aucun doute réducteur au regard de leur expérience personnelle. Mais rappelons qu’il s’agit d’identifier un socle commun, et celui-là est difficilement contestable. Pour d’autres, extérieurs aux armées, on aurait là l’illustration probante d’un conservatisme inhérent à l’institution et de son incapacité à évoluer en phase avec son temps. L’objection a ceci d’intéressant qu’elle se situe au cœur de notre problématique. En effet, s’il est vrai, comme on va le montrer, que la trilogie identifiée ci-dessus découle, nécessairement et sans échappatoire, de la spécificité et de la nature même de l’action militaire, il est non moins vrai qu’elle paraît désormais s’inscrire à rebours des évolutions sociétales.

Mesurons donc bien, d’abord, à quel point il ne saurait être d’armée qui vaille sans un socle culturel ainsi identifié. La spécificité militaire ne réside ni dans l’esprit de sacrifice, ni dans le dévouement au bien commun, ni dans l’esprit de discipline. L’affirmer serait méconnaître que l’armée n’a pas l’exclusivité de ces références. Mais surtout, ce serait confondre la cause et l’effet. La particularité de cette institution tient, en effet, en la capacité qui lui est confiée par la nation de faire usage de la force avec les armes dont elle est dotée. Celle-ci est incontestable et exclusive. Ultima ratio, lorsque tous les autres moyens sont épuisés, cette capacité voue les armées à agir au cœur de la violence du monde, dans des situations extrêmes où la vie même est en jeu, celle de l’adversaire et la sienne propre. Plus finement, la véritable spécificité, partagée avec nulle autre institution, est bien celle de pouvoir, et de devoir si nécessaire, prendre la vie de l’adversaire, à proportion des violences à combattre. À ces situations hors normes répondent nécessairement des comportements hors normes. Ainsi retrouvons-nous les valeurs cardinales précédemment identifiées.

Comment répondre à la sollicitation de l’être tout entier, corps, âme, esprit, qui est, par nature, puisque la vie y est dramatiquement en jeu, celle de l’action militaire, sans une disposition d’esprit qui peut aller jusqu’à l’esprit de sacrifice ? Comment affronter, sans faillir ni faiblir, la violence déchaînée et l’extrême danger ; comment dominer sa peur et trouver pour cela les ressources morales, si manque le soutien des solidarités puissantes qui se nouent au sein des unités militaires, éclairées par le sens du service de la nation ? Comment, enfin, agir collectivement avec succès à l’heure du plus grand péril, souvent dans l’urgence, sans que se fassent écho un exercice de l’autorité sans partage de la part des chefs et un rigoureux esprit de discipline chez les subordonnés ? Le « socle culturel » ainsi constitué n’est donc ni un choix idéologique ni une survivance désuète. Il s’impose comme le nécessaire terreau susceptible de générer et d’orienter les comportements individuels et collectifs adaptés aux situations extrêmes qui constituent, in fine, le cadre d’emploi du militaire.

Or les valeurs qui composent ce socle, comme les dispositions d’esprit qui découlent de leur appropriation par les militaires, paraissent s’inscrire à rebours des grandes évolutions sociétales du dernier demi-siècle. S’il est en effet un premier trait qui caractérise les sociétés du monde développé aujourd’hui, c’est bien d’abord le fait, sans véritable précédent historique de cette ampleur, que l’individu est devenu la mesure de tout. Non pas qu’ait disparu tout intérêt pour le bien commun, ni toute capacité de s’y dévouer, mais l’idée que les inclinations et les intérêts particuliers devraient systématiquement et, par principe, être subordonnés aux impératifs collectifs n’est plus recevable que par exception. Dans la société militaire, le rapport est rigoureusement inversé.

Le deuxième trait qui relève d’une singularité radicale par rapport aux âges antérieurs, ou même par rapport aux sociétés plus traditionnelles à travers le monde, est, en matière d’orientation des comportements, un corollaire du précédent : à une culture du sacrifice multiséculaire à la mesure de la dureté des temps historiques s’est désormais substituée une culture hédoniste qui place la quête du plaisir au sommet de l’échelle des valeurs. Relève de ce trait le rapport au travail et aux loisirs, assorti de décomptes attentifs du temps. Le militaire, quant à lui, reste, dans l’esprit sinon dans la lettre, disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Plus encore, sauf à faillir, l’esprit de sacrifice n’est pas, pour lui, une notion théorique, et encore moins désuète.

Quant au troisième trait, il est non moins singulier : c’est la mise en cause de l’autorité. Non pas que l’on n’ait pas à exercer cette autorité et à faire preuve de discipline dans le monde tel qu’il est, mais cet exercice apparaît désormais comme subordonné au libre arbitre de celui sur lequel il s’applique. Quant à celui qui en est investi, le prestige qui lui est conféré est pour le moins limité, quand il n’est pas contesté a priori. Dans le même temps, si les règlements militaires n’énoncent plus depuis un demi-siècle que la « discipline fait la force principale des armées », le fait demeure avec, on l’a vu, une culture de l’autorité pleine et entière et une discipline en vertu cardinale.

En résultante de ces trois traits combinés, on ne peut manquer de souligner une caractéristique de la culture contemporaine à laquelle le monde militaire ne peut que rester étranger : la substitution, dans nos sociétés évoluées, du culte de la victime au culte, jusque-là immémorial, du héros. Comment l’armée, tendue vers la victoire, et pour en sublimer le prix, trouvera-t-elle une nécessaire inspiration sans le recours à des modèles auréolés de gloire, proposés à l’admiration et présentés en exemples ? Là encore, les armées s’inscrivent à rebours des évolutions sociétales – à la notable exception du sport.

Ainsi, le « socle culturel », partagé par l’ensemble des armées et qui a vocation à orienter les comportements de tous les militaires, s’inscrit-il désormais largement en marge de bien des normes qui inspirent ceux qui ont cours dans la société. Répétons-le, il ne s’agit pas d’un choix, mais d’une donnée objective. Dès lors se pose la question de la viabilité d’une telle situation. Soit que ce « socle » s’érode progressivement sous la pression sociale et culturelle ambiante, au risque de saper les fondements des capacités militaires. Soit que les armées, confinées dans un « splendide isolement », se retranchent d’une société dont, pourtant, elles tiennent leur substance et leur légitimité, au risque de s’étioler par défaut quantitatif et qualitatif de recrutement, ou de se pervertir dans leurs « vérités devenues folles »…

À l’appui de la première hypothèse, il ne faut pas sous-estimer le rôle des conjoints et de la famille du militaire. Le temps est en effet révolu où la « vocation » pouvait être partagée sans réserves dans ce cadre-là. La plupart des épouses et des époux ont aujourd’hui une activité professionnelle propre et la famille vit nécessairement dans l’air du temps ; ainsi la fracture culturelle peut-elle s’installer au sein même de la famille, avec les diverses conséquences que l’on peut imaginer. À ce problème, les armées ont l’impérieuse obligation de répondre, et ce selon deux axes. D’une part, sans se départir en rien des principes du « socle culturel », en recherchant systématiquement tous les moyens et procédés permettant d’atténuer ou de compenser les effets de cette situation sur la cellule familiale. C’est dans ce contexte que doit notamment être apprécié l’effort sur la « condition militaire » demandé de façon récurrente par le commandement, et dont la problématique est à bien des égards singulière par rapport aux « mesures catégorielles » de la fonction publique. Les responsables politiques doivent être conscients de cette singularité. D’autre part, au sein des cellules de base, tout doit être mis en œuvre pour associer le plus possible les familles à la vie du régiment, de la base, de l’état-major, par tous les canaux imaginables, clubs, cérémonies, manifestations festives, actions de solidarité, grâce auxquels pourra être évitée la « fracture culturelle ». C’est là une longue tradition dans les armées. Elle est plus actuelle que jamais.

La seconde hypothèse, celle d’un isolement par rapport à la société ambiante, revêt une acuité particulière dans le contexte, sans doute durable, d’absences prolongées des unités en opérations. La relative antinomie des référents culturels ne doit pas prêter à contresens. Nous appartenons, plus qu’hier, à une société qui admet les différences. En l’occurrence, celles-ci sont comprises et respectées, pour peu qu’on en explique les causes et les finalités, et qu’on ne se présente pas en modèle exclusif et alternatif, assorti de mépris pour le « pékin ». C’est dire si s’imposent, plus que jamais, et quelles qu’en soient les difficultés de mise en œuvre, des relations étroites, là aussi par tous les canaux possibles, entre les armées et le tissu national.

Mais, avec ce thème, nous abordons des sujets qui, historiquement, pour peu qu’on n’en reste pas à la surface, sont porteurs, pour les armées, de disparités, voire de dissensions, le plus souvent discrètes et sous-jacentes, que ne laisse pas toujours percevoir un apparent consensus. Après le roc des dispositions d’esprit qui constituent le socle d’une culture militaire commune à proprement parler existentielle, il nous faut aborder l’iceberg6 des convictions.

  • Des convictions partagées ?

Le militaire se reconnaît volontiers comme un homme de convictions. Et il faut sans aucun doute en cultiver pour être prêt, comme cela est énoncé dans l’article 1 du Statut général des militaires, à « aller jusqu’au sacrifice suprême ». Pour autant, l’expression de ces convictions se heurte aux prescriptions de ce même statut, et ce d’emblée. En effet, dès l’article 1 figure le mot « neutralité », complété par l’article 4 : « Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu’à l’extérieur du service et avec la réserve exigée par l’état militaire. »

De telles réserves, exprimées ab initio, découlent de la nécessité, pour une institution détentrice du pouvoir exorbitant de la force des armes, de ne pas apparaître comme liée à tel parti, à telle faction, à telle idéologie. C’est une question de légitimité. C’est pourquoi, en matière de « convictions », celle qui sera le plus volontiers exprimée par les intéressés évoquera souvent le « service de la France », expression suffisamment vague pour laisser la place… à toutes les convictions ! Il est vrai que notre longue histoire nationale, tumultueuse, voire chaotique, peut inciter à la prudence.

Ainsi, sous la monarchie de Juillet, un officier, dont le régiment venait de recevoir un nouvel emblème des mains de Louis-Philippe, pouvait-il écrire : « Dans cette journée, je prêtais serment à un sixième drapeau. Le premier avec un aigle au Champ-de-Mars, sous l’Empire ; le deuxième, en 1814, aux fleurs de lys, lors du premier retour des Bourbons ; le troisième, tricolore à l’aigle, pour les Cent-Jours ; le quatrième, blanc, au second retour des Bourbons, donné aux légions départementales en 1816 ; le cinquième, en 1821, lorsque les régiments furent rétablis et le sixième, et dernier, je l’espère, tricolore avec le coq gaulois7. » Ce capitaine, qui n’avait connu ni l’Ancien Régime ni la Révolution ni le Consulat, ne pouvait savoir à quel point ses espérances seraient déçues pour les générations suivantes : après la monarchie de Juillet, la iie République, puis le Second Empire, la iiie République avec son accouchement difficile – Commune de Paris, affaire Dreyfus, affaire des fiches, séparation des Églises et de l’État, expulsion des congrégations –, l’immense désastre de 1940 avec l’État français, la France libre, la Résistance, enfin les ive et ve Républiques, avec les tourments de la décolonisation : que d’épreuves en à peine plus d’un siècle !

Voilà qui n’a pu que rudement solliciter les « convictions » des militaires – d’autant plus qu’en ce qui les concerne, c’est souvent la vie qui est en jeu au-delà des idées –, et inciter à garder ces convictions enfouies au plus profond de la conscience, pour ne livrer que le seul dénominateur commun possible : « La France… » Voilà aussi qui éclaire les prescriptions réitérées du statut général des militaires. Mais voilà encore qui peut expliquer à la fois l’extrême retenue des militaires, au risque d’être interprétée comme une marque d’indigence intellectuelle, mais aussi certaines réactions singulières dès lors que sont évoqués des sujets qui touchent, précisément, aux convictions.

Sur ce registre, l’auteur de ces lignes, dans l’exercice de ses responsabilités, a eu à connaître à de multiples reprises certaines de ces réactions de prime abord insolites, qui témoignent à la fois de l’extrême sensibilité de la problématique des « convictions » et de la partie immergée de l’iceberg, fût-elle le plus souvent inconsciente, individuellement et collectivement. Ces réactions ont fait notamment suite à l’édification d’un corpus de référence éthique par l’armée de terre, à partir de 1999, sous le contrôle et l’autorité directe des chefs d’état-major successifs.

La décision d’une telle entreprise, sans véritable précédent, s’inscrivait dans le contexte des bouleversements considérables qui ont affecté les armées à partir des années 1990. D’une part, après la parenthèse de la guerre froide et sa doctrine de dissuasion nucléaire qui avait rendu l’engagement des forces armées virtuel durant trois décennies, celles-ci renouaient avec l’action effective, et ce dans des conditions d’une extrême complexité. Au-delà de doctrines opérationnelles à repenser, le besoin de reformuler des principes susceptibles d’orienter les comportements s’imposait de toute évidence et il fallait, pour cela, aller au cœur du sens de l’action. Une telle démarche s’imposait d’autant plus qu’à l’armée de conscription se substituait une armée entièrement et exclusivement professionnelle. Jusque-là, on peut penser que le soldat-citoyen trouvait naturellement le sens de son action dans les valeurs, précisément, de la citoyenneté. Mais le soldat professionnel ? Pouvait-on le laisser choisir dans le libre-service des valeurs ? Poser la question, c’était y répondre : il fallait faire quelque chose.

Ainsi fut entreprise l’édification du corpus qui fait référence aujourd’hui dans l’armée de terre pour orienter à la fois la formation, notamment éthique, et les comportements dans l’action. L’ensemble s’est concrétisé, entre 1999 et 2003, par un système à trois étages : un texte socle générique à l’usage des chefs et des formateurs diffusé en 1999 (L’Exercice du métier des armes dans l’armée de terre, fondements et principes) ; des textes plus normatifs, en particulier le Code du soldat de 1999 et L’Exercice du commandement dans l’armée de terre en 20038 ; et, enfin, un dispositif ainsi que des documents pédagogiques pour les écoles et la formation dans les régiments. La plus emblématique des dispositions prises est sans aucun doute la mise sur pied d’un « pôle éthique » à Saint-Cyr-Coëtquidan, premier pôle d’excellence du mastère mis en place au bénéfice des Saint-Cyriens en 2004.

À l’évidence, nous avons là l’ambition d’inspirer un « ensemble de convictions partagées […] qui orientent […] le comportement » pour reprendre l’une des définitions du Larousse pour le mot « culture » rappelée précédemment. Autrement dit, l’ambition de formaliser des références culturelles, en l’occurrence éthiques.

Or, sur ce terrain, peut-être beaucoup n’ont-ils pas perçu que l’on chevauchait les limites tracées par le statut. En effet, comment les fondements d’une telle réflexion ne seraient-ils pas, peu ou prou, philosophiques, dès lors, par exemple, qu’ils rappellent les injonctions éthiques de l’humanisme ? Or, rappelons-nous l’article 4 du statut (les « opinions ou croyances philosophiques, religieuses ou politiques […] ne peuvent être exprimées qu’en dehors du service et avec la réserve… »), qui n’était pas encore écrit sous cette forme, mais dont l’énoncé précédent, datant de 1972, exprimait une prescription équivalente avec la « neutralité en matière philosophique, politique ou religieuse ». Plus encore, ces fondements ne seraient-ils pas aussi pour une part politiques, au sens le plus large et le plus noble, quand ils rappellent, par exemple encore, les valeurs de la République ?

Et pourtant, il s’agit bien là des fondements éthiques du « vouloir vivre ensemble » de la nation tout entière dont l’armée est une émanation. Ils sont donc à rappeler de toute nécessité dans un monde aux repères évanescents, dès lors qu’il s’agit d’orienter les comportements de militaires voués aux situations extrêmes où ces mêmes repères sont le plus souvent mis à mal. Mais en nous engageant sur ce terrain, nous abordions nécessairement le jardin secret des « convictions ». Ces convictions-là pouvaient-elles, impunément, être suggérées, voire explicitement énoncées ? Trois exemples vécus montrent que la réponse n’allait (et ne va) pas de soi.

Le premier de ces exemples se situe en l’an 2000. Un colonel, à la veille de son départ à la retraite, adresse à un officier général de haut rang une lettre personnelle. Il entend lui faire savoir son amère satisfaction de quitter le service à l’heure où, selon lui, les valeurs essentielles qui l’ont inspiré tout au long de sa carrière sont bafouées par le haut commandement lui-même, en l’occurrence cet officier général. Celui-ci, s’exprimant devant un parterre d’officiers, parmi lesquels l’auteur de la lettre, avait en effet cité la devise de la République comme une synthèse la plus concise possible des valeurs humanistes qui devaient nous inspirer. C’était là, pour ce colonel, une prise de position qui rompait avec la nécessaire neutralité politique des armées.

Le deuxième exemple date de la fin de l’année 1999. Il s’agissait alors d’élaborer une directive initiale à l’attention d’un certain nombre d’organismes. Un projet, comme c’est une pratique courante, était soumis à la critique constructive des adjoints de l’auteur de cette directive avant sa signature et sa diffusion. Parmi les principes énoncés figurait le mot « laïcité ». Là aussi, il fut observé de la part d’un officier, par ailleurs exemplaire et animé d’une haute conscience morale, que le mot devait être évité car il enfreignait une nécessaire « neutralité en matière philosophique et religieuse » ; pour l’auteur de l’observation, qui n’était pas sans recevoir par ailleurs quelques approbations, la « laïcité » était donc une idéologie partisane, voire une contre-religion.

Le troisième exemple, moins anecdotique, se situe en 2002, alors que l’entreprise de diffusion, de promotion et d’orchestration des textes du corpus éthique ici évoqué battait son plein avec, notamment, une traduction pédagogique dans les écoles de formation de l’armée de terre. Un pamphlet anonyme d’une vingtaine de pages a alors largement circulé sous le titre La Dénaturation de l’armée de terre. Une argumentation d’apparence rigoureuse y était développée, visant à démontrer qu’avec, notamment, le texte socle du système alors mis en place, on avait affaire à une véritable entreprise subversive d’inspiration idéologique susceptible de mettre en péril les fondements du métier militaire. Cette thèse, soutenue à coup de citations tronquées, d’interprétations hasardeuses et de filiations politiques fantasmées, ne résistait pas à l’analyse. Le commandement a dû néanmoins s’investir pour en démontrer la perversité et couper court à sa diffusion sous le manteau9.

Ces incidents ne doivent pas être hypertrophiés ; ils sont néanmoins significatifs des incompréhensions et des obstacles que l’on peut rencontrer lorsqu’on aborde, dans les armées, le sujet de la culture comme « ensemble de convictions ». Soit que le militaire campe sur un rigorisme pur et dur en matière de « neutralité en matière philosophique et politique ». Soit encore que, sans d’ailleurs que cela porte atteinte au « loyalisme », pour reprendre l’expression du statut, les convictions intimes se démarquent de celles qu’expriment les valeurs énoncées. Soit, enfin, qu’une certaine inculture concourt à un défaut de jugement. En l’occurrence, ces trois facteurs sont manifestement à l’œuvre dans les exemples choisis.

Mais il faut aller plus loin, car se révèle ainsi la « part immergée », consciente ou inconsciente, évoquée précédemment. Une culture est toujours un héritage et ses racines, notamment s’agissant des armées, plongent loin dans l’histoire de France. Or notre héritage, on l’a brièvement rappelé, est lourd de vicissitudes historiques. La plus ancienne, qui a pu laisser des traces jusqu’à nos jours, est sans aucun doute celle de la Révolution française. Le temps n’est bien sûr plus où l’on pouvait discerner une ligne de fracture entre les « blancs » et les « bleus », notamment depuis la Première Guerre mondiale où les immenses sacrifices consentis en commun ont incontestablement permis, pour l’essentiel, la réconciliation nationale. Et l’armée a joué pour cela, par nature, un rôle primordial. Le militaire, toutefois, dont les traditions s’inscrivent souvent dans le temps long, cultive une vision de la France qui s’accommode mal d’une approche manichéenne où on serait passé de l’ombre à la lumière à la fin du xviiie siècle. Il privilégie les éléments de continuité, y compris en termes de valeurs humanistes, par rapport aux ferments de division. Notons par ailleurs que les crises du début du xxe siècle, dont les principales ont été rappelées plus haut, ont pu contribuer à redonner vigueur aux braises sous la cendre.

Pour autant, cela ne serait que du domaine de l’anecdote si n’était survenue l’immense fracture de 1940, le plus épouvantable désastre que la France ait connu depuis la guerre de Cent Ans. Sans que les Français en soient bien conscients, la blessure est toujours là et continue de nourrir bien des clivages, notamment politiques. Pour les armées, le traumatisme a été particulièrement profond ; non seulement il y eut l’humiliation d’une impensable défaite, mais la vertu cardinale dans laquelle elles trouvent généralement refuge dans les tempêtes ou les temps incertains, leur unité, s’est aussi trouvée meurtrie et fracturée comme elle ne l’avait jamais été. Avec d’un côté, une armée d’armistice, certes sans aucun doute tendue vers la revanche, convaincue que la politique de collaboration n’était qu’une habileté temporaire, mais liée par serment au vieux maréchal qui l’avait jadis conduite à la victoire, dans une allégeance qui, pour certains, n’allait pas sans quelque adhésion de cœur à la Révolution nationale. Le moment venu, elle croira trouver sa planche de salut avec Giraud. Elle se refera une légitimité dans la campagne d’Italie avec Juin. Elle saura, pour une part, bien faible initialement – que l’on songe à l’épisode de Lattre10 –, rejoindre la Résistance après sa dissolution en 1942. Entre-temps, il y aura eu Mers el-Kebir, pire encore, Dakar et le Levant, où l’on se battra Français contre Français. Car il y avait l’autre côté, avec l’armée de la France libre, dont l’histoire s’écrira sur le mode de l’épopée avec Leclerc, et l’armée des ombres, celle de la Résistance, les uns et les autres se réclamant de la voix prophétique du général de Gaulle.

Quelle qu’ait été la vertu thérapeutique de la victoire, avec notamment l’unité retrouvée dans la 1re Armée sous l’autorité de De Lattre, le traumatisme avait été si profond que ses traces étaient pour une part restées indélébiles, même si elles demeuraient masquées aux yeux de la plupart. La campagne d’Indochine, avec Diên Biên Phû en funeste épilogue, et celle d’Algérie, avec son issue désastreuse, allaient ajouter de nouvelles blessures. Elles ne modifieront pourtant pas véritablement les clivages hérités de la Seconde Guerre mondiale, que l’on peut discerner dans l’armée de la dissuasion, celle des années 1960-1990, comme autant de lignes de partage, discrètes mais réelles, dans l’idée que l’armée, essentiellement l’armée de terre, se fait d’elle-même, de son rôle et des valeurs qui l’inspirent. Ainsi pouvait-on, jusqu’aux très profondes transformations de la fin des années 1990, distinguer dans l’armée de terre trois grandes familles d’esprit, bien différenciées.

La première était directement issue de l’armée d’armistice, notamment de celle qui était stationnée en Afrique du Nord. C’était l’« armée Weygand »11. Ses membres se percevaient comme le conservatoire des valeurs nationales et militaires, à l’abri des turpitudes du monde civil, de ses affairistes, de ses intellectuels et de ses journalistes, et des sphères politiques. On y cultivait son mode de vie propre, loin des effets de mode et des influences délétères. Cette disposition d’esprit a longtemps trouvé une terre d’élection dans les Forces françaises en Allemagne (ffa) ainsi que dans les garnisons populeuses d’Alsace et de Lorraine autour de Metz et de Strasbourg.

La deuxième famille d’esprit s’inscrivait manifestement en filiation de la France libre, en toute inconscience du fait. Porteur d’une idée de la France largement ouverte sur le monde, on y cultivait l’indépendance d’esprit, l’esprit d’aventure et le non-conformisme. Durant la période où elle a existé, la Force d’action rapide (far) a été inspirée de cet esprit, avec les troupes de marine et les parachutistes au cœur.

La troisième famille d’esprit, plus restreinte mais aussi plus disséminée, héritait de la Résistance une conception du métier des armes indissociable à la fois de la conscription et du tissu national. Profondément immergées parmi les populations environnantes, les unités alpines entretenaient jalousement cette culture ; la division alpine n’avait-elle pas été, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la seule grande unité reconstituée à partir des maquis et dont nombre de cadres étaient issus des bataillons alpins de l’armée d’armistice ?

À travers ces familles d’esprit, on pouvait ainsi trouver des « cultures » fort différentes, avec des convictions profondes, rarement exprimées, mais couvrant un assez large spectre. Ces temps sont aujourd’hui révolus. La conscription a vécu, les ffa ont disparu et l’est de la France est en passe de devenir un désert militaire alors que le Var est désormais, et de loin, le département le plus militarisé de France. De nouvelles « cultures », sinon une nouvelle « culture », sont en gestation dans une armée en mutation et vouée aux interventions tous azimuts au sein des coalitions les plus diverses. Pour autant, les lignes de force héritées de l’histoire dessinent toujours des orientations possibles qui ne sont pas anodines en matière de « convictions partagées »…ou non.

« Tenez vous sur les sommets, a dit le général de Gaulle, ils ne sont pas encombrés. » Les armées, par leur vocation à ne s’inféoder à aucun parti, aucune faction, aucune idéologie, ne sont pas condamnées de ce fait à une insipide neutralité. Les convictions fortes qui sont nécessairement celles du militaire à proportion de l’intensité de son engagement le vouent au contraire à se tenir « sur les sommets ». Pour cela, l’institution militaire est l’une des rares, sinon la seule, à se réclamer de l’histoire de France dans la totalité de sa fresque.

Elle plonge ses racines dans l’idéal du chevalier, voué à « défendre la veuve et l’orphelin » ; nombre de ses traditions se sont forgées dans l’équilibre de l’âge classique ; l’élan de Valmy l’emporte dans le souffle de la liberté ; avec l’épopée napoléonienne, elle connaît à son zénith le soleil de la gloire ; l’aventure coloniale, celle de Gallieni et de Lyautey, pour le meilleur et pour le pire, la voue à l’universel ; dans la boue des tranchées, c’est à l’unisson de tout un peuple qu’elle renoue avec la victoire au prix des plus terribles sacrifices ; au plus profond de la détresse, elle trouve la ressource, grâce à de Gaulle qui « se ressaisit des tronçons du glaive » et à tous ceux qui ont alors porté l’honneur de la France, pour être aux côtés des vainqueurs de la plus monstrueuse entreprise barbare des temps modernes ; dans l’enlisement délétère des conflits de la décolonisation, elle trouve, dans la défaite même à Diên Biên Phû, à magnifier les vertus militaires dans ce qu’elles ont de plus sublime ; à Verbanja, enfin, quelques marsouins, derrière leur lieutenant et leur capitaine, font l’éclatante démonstration de la volonté de la France de ne pas subir l’inacceptable.

De fait, l’armée française est porteuse d’une culture qui est l’expression militaire d’un humanisme multiséculaire. Il en découle une culture stratégique, dans une certaine conception de l’action militaire et de l’usage de la force, qui n’a pas été traitée ici, mais qui se situe au cœur de véritables enjeux de civilisation. Puisse-t-elle, dans l’Europe à construire, être, par sa culture, l’un des ferments d’une nouvelle Renaissance. 

1 Le terme est à vrai dire peu satisfaisant, car, si le « militarisme » était une doctrine qui prônerait, au choix, le pouvoir donné aux militaires, ou bien la militarisation de la société, qui pourrait ne pas s’y opposer ?

2 Que l’on pourrait tout aussi bien appeler « dispositions d’esprit » : c’est l’expression qui sera utilisée ici.

3 Le Statut général des militaires, qui a été reformulé à la faveur d’une nouvelle loi en 2004, prescrit dès son article 1 : « L’état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité. »

4 À noter toutefois que, depuis 1966, le Règlement de discipline générale place le donneur d’ordres comme le receveur devant leurs responsabilités lorsque les ordres sont contraires à des dispositions dûment identifiées, d’ordre constitutionnel ou relevant du droit des conflits armés. Ces règles ont été réitérées de façon constante jusqu’à la dernière refonte du Statut général des militaires.

5 Cf. art. 1 du Statut, op. cit.

6 Comme on le sait, la partie émergée d’un iceberg ne représente qu’un cinquième de sa hauteur totale…

7 J.-B. Barrès, Souvenirs d’un officier de la Grande Armée, cité par Vincent Monteil, Les Officiers, Paris, Le Seuil, 1964.

8 Il n’est pas indifférent d’observer que ces réalisations ont été effectuées sous l’autorité de trois chefs d’état-major successifs, signataires des textes principaux, dans une remarquable continuité.

9 Encore faut-il observer qu’un grand parti de gouvernement, peu suspect d’extrémisme, a pu, dans un document interne consacré à la Défense qui énumérait quelques dizaines de mesures à prendre (la campagne électorale de 2002 battait alors son plein), faire figurer parmi ces mesures : « Retrait du Livre vert de l’armée de terre » (telle était la dénomination familière du document socle, L’Exercice du métier des armes dans l’armée de tere, fondements et principes) ! S’il est certain que les responsables de ce parti ignoraient ce dont il s’agissait, car on ne voit pas très bien ce qui aurait pu justifier un tel retrait au regard des convictions qui les animent, cela témoigne d’une certaine capacité manœuvrière des inspirateurs du pamphlet.

10 Le général de Lattre, qui commandait la division de Montpellier lors de l’invasion de la zone sud en novembre 1942, a cru alors devoir et pouvoir organiser la résistance. Il s’est retrouvé quasiment seul. Arrêté par la police de Vichy, il a été condamné à la prison. Incarcéré à Riom, il s’évadera grâce à sa femme et à son fils, et gagnera Alger. Il sera fait compagnon de la Libération (contrairement à Juin…).

11 Rappelons que Weygand, commandant en chef en juin 1940, exigea que le gouvernement demande l’armistice, considérant qu’il serait contraire à l’honneur de l’armée que celle-ci capitule. Étonnante conception qui subordonne la politique de l’État et de la France en un moment où la survie de la nation est en jeu, à l’honneur de l’armée…

F. Lecointre | Pour une culture armée