N°6 | Le moral et la dynamique de l’action – I

Hervé Kirsch

Les forces morales dans la préparation opérationnelle : définition, consolidation et mesure

Approche théorique

« Le combat est le but final des armées, et l’homme est l’instrument premier du combat ; il ne peut donc être rien de sagement ordonné
dans une armée : constitution, discipline, tactique, toutes choses qui
se tiennent comme les doigts d’une main, sans la connaissance exacte
de l’instrument premier, de l’homme, et de son état moral en
cet instant définitif du combat. »

Colonel Ardant du Picq, Études sur le combat

Certes, l’engagement des forces françaises dans les opérations contemporaines ne fait pas du combat la finalité immédiate et quotidienne des unités. toutefois l’évolution des événements connaît, de loin en loin, des épisodes de paroxysmes (de plus haute intensité ?) où il faut recourir à l’emploi des armes et accepter, pour soi comme pour l’adversaire, le prix du sang (forces spéciales en afghanistan, bouaké et ses suites…). cela devrait remémorer à tous, soldat sur le terrain comme politique et stratège qui décident de son emploi, que la possibilité du combat apparaît en filigrane de toute action militaire, quand bien même celle-ci est entreprise dans une logique de « maîtrise de la violence ».

Comme l’exprime sans ambages la citation du colonel Ardant du Picq, si la capacité opérationnelle d’une unité, c’est-à-dire son aptitude à remplir l’éventail des missions qui constituent sa finalité, résulte de déterminants techniques d’ordre matériel (performance et quantité des équipements, effectifs) et de leur combinaison (organisation, tactiques, techniques, procédures [ttp]), elle procède plus encore des paramètres immatériels propres au groupe humain qui la constitue. Si les premiers sont clairement distincts les uns des autres, et donc aisément mesurables et quantifiables (performance intrinsèque de chaque équipement, soutien logistique, qualité et efficacité de la formation et de l’entraînement : toutes choses dont de multiples indicateurs sont censés rendre compte), le facteur humain est beaucoup plus difficile à disséquer et évaluer.

D’une part en effet, l’homme, « composé psychosomatique concret1 », est un dans son essence, et il est malaisé d’isoler ce qui relève du corps, du psychisme, de l’intellect. D’autre part, des interactions lient, en permanence quoique de manière évolutive, l’individu à son environnement. L’homme perçoit celui-ci par ses sens et passe les informations recueillies au filtre d’une rationalité « limitée »2, pour prendre les décisions par lesquelles il va s’efforcer de faire évoluer la situation dans un sens qui lui soit favorable. Il est donc très difficile d’isoler l’acteur du contexte de son action. Dans la même perspective, s’agissant d’une action collective comme l’est toujours l’action militaire, l’individu interagit avec le groupe. Il est donc rapidement difficile de distinguer ce qui tient au groupe de ce qui tient à l’individu.

La difficulté principale d’une approche des forces morales dans l’action militaire relève donc de ce lien entre l’individu et le groupe, entre l’acteur et son environnement. Séparer les éléments, les étudier « toutes choses égales par ailleurs », c’est nécessairement simplifier. Des livres n’y suffiraient pas et cette contribution ne saurait donner qu’un aperçu sur le sujet en introduisant ces principales dimensions.

Toutefois, quoique la tâche soit ardue, l’autorité de référence citée en exergue de cette contribution nous montre que le chef militaire ne peut faire l’économie, ni de l’étude du facteur humain, ni d’un investissement personnel pour accroître les forces morales de son unité.

Afin d’aider à cette démarche inhérente à l’exercice du commandement, nous proposons de suivre une progression qui, partant de la définition des forces morales et de leurs déterminants, nous conduit à considérer en quoi elles sont l’objet d’une préparation opérationnelle à l’instar des autres facteurs d’efficacité, pour nous interroger finalement sur la nécessité, la pertinence et les modalités de leur mesure.

Une définition des forces morales

Le moral et les forces morales

Définir le moral n’est pas chose aisée. L’usage du sens commun nous apporte une première approche. Il peut être catégorique : « j’ai le moral », « je n’ai pas le moral ». Il peut être quantitatif « j’ai le moral à zéro », ou qualitatif « le moral est bon ». Ces expressions traduisent sommairement une auto-évaluation subjective : avoir le moral c’est se sentir « bien », ou peut-être davantage « fort », moralement plus que physiquement, et capable d’affronter les événements à venir, tels que la situation du moment permet de les envisager.

Le dictionnaire le précise : le moral est un « état psychologique, en tant qu’aptitude à supporter ou à affronter plus ou moins bien les problèmes, les difficultés » (dictionnaire Robert). Les thèmes de la motivation, de la détermination, de la confiance, de la volonté, font écho à cette définition. Mais alors, suis-je motivé parce que j’ai le moral, ou ai-je le moral parce que je suis motivé ? Auquel cas, qu’est-ce qui me motive ? La raison n’en est pas unique : le moral n’est donc pas une donnée brute, mais procède de plusieurs éléments. Il est donc une résultante.

De même, on peut avoir le moral quand tout va bien, mais aussi quand tout va mal, et inversement. Le même événement peut avoir sur le moral d’une personne ou d’un groupe un effet positif, tandis qu’il sera perçu négativement par d’autres acteurs. La surprise profonde, qui résulte de l’intervention dans le cours des choses d’éléments totalement inattendus, peut saper ce moral et faire basculer cet état psychologique, au moins temporairement.

Le moral est donc un élément contingent ; l’auto-évaluation n’est pas une garantie de la réalité de cette « aptitude ». Seule la confrontation aux « problèmes, difficultés » évoqués permet de savoir si l’acteur avait réellement le moral, qu’il aura manifesté en les affrontant.

Les comportements des acteurs face aux faits sont les réels révélateurs du niveau de moral, et comme nous avons dit qu’il était la résultante de plusieurs paramètres, nous définissons le moral comme le résultat de la confrontation des forces morales à l’événement « E ». Il est la traduction d’une capacité qui s’exprime dans une situation contingente. « Je suis dans telle situation, et j’ai plus ou moins le moral. Si mon moral est à tel niveau, c’est que mes forces morales ont répondu de telle façon aux paramètres, ou sollicitations, de la situation. »

Pour une unité, le moral peut alors s’approcher selon la logique (équation) suivante :

Lors de l’exécution de la mission « M ».

Ainsi, si deux unités aux ressources techniques différentes obtiennent un résultat identique, c’est la moins dotée en ressources techniques qui dispose des plus grandes forces morales. De même, à ressources techniques égales, c’est l’unité aux meilleures forces morales qui obtient le meilleur résultat.

Les forces morales et leurs déterminants

On peut les définir comme la capacité psychologique, individuelle et collective, à prendre l’ascendant sur les événements susceptibles de survenir dans l’exécution des missions pouvant être confiées à l’individu ou à l’unité. S’agissant donc de singulier, on parlera plutôt de « la » force morale.

Cette capacité dépend de plusieurs déterminants identiques en nature chez tous les individus, en interaction les uns avec les autres. Leur adéquation d’ensemble avec les situations auxquelles l’individu (le groupe) peut être confronté détermine le niveau de cette capacité. Le pluriel des « forces morales » désigne alors l’état de ces différents déterminants au moment où on les observe.

Les déterminants des forces morales sont de quatre ordres : éthique, sociologique, psychologique, physiologique. Précisons ce à quoi se rapporte chacun d’eux.

Les déterminants éthiques font référence à l’appropriation par l’individu des normes morales des groupes auxquels il appartient successivement ou simultanément, et qui contribuent à former sa conscience morale : distinction du bien et du mal, développement de la vertu, entendue au sens d’une disposition constante à agir en évitant l’excès et le défaut.

Les déterminants sociologiques font référence aux relations sociales dans lequelles l’individu a évolué et se situe actuellement : milieu d’origine, cellule familiale, milieu professionnel dans toutes ses dimensions, tout autre groupe de référence, qui conditionnent pour partie son comportement et les représentations qu’il a de son environnement. Ils comprennent des éléments physiologiques dans la mesure où ceux-ci entraînent des comportements sociaux différenciés : sexe, âge, par exemple. Chacun d’eux est porteur d’habitudes, de mœurs, que l’individu s’approprie dans une proportion plus ou moins grande, et plus ou moins sciemment. Cet acquis contribue à l’expression de ses besoins4, implicites et explicites, à l’élaboration de sa stratégie personnelle5 et résulte en des attentes à l’égard de son environnement. Chaque situation sociale, en répondant plus ou moins à ces attentes en partie « déterminées », induit une plus ou moins grande satisfaction qui participe à l’élaboration des forces morales.

Les déterminants psychologiques évoquent le développement de la personnalité de l’individu, lié à son caractère, à ses capacités cognitives, à ses éventuels antécédents psychopathologiques. Ils s’expriment notamment par la maîtrise du stress, par la gestion des émotions, par la gestion des relations à autrui, également par la capacité à raisonner et à décider.

Les déterminants physiologiques concernent l’organisme de l’individu, son sexe, son âge, son état général, chacune de ses fonctions biologiques, sa capacité à résister aux agressions, à la fatigue. Ils relèvent de l’inné par le patrimoine génétique, de l’acquis (positif ou négatif) par tous les « accidents » que la personne connaît au cours de son existence, mais aussi naturellement par ce que lui apportent l’entraînement physique et une bonne hygiène de vie.

Il s’agit bien de déterminants dans le sens où ils conditionnent la perception et l’analyse des situations par les individus, et donc leur prise de décision, et, in fine, leur comportement. L’éventail des possibles n’est donc pas infiniment ouvert, et si l’on veut modifier durablement les comportements, il faut agir au préalable sur tout ou partie de ces déterminants, pour ce qui en eux relève de l’acquis, l’inné étant difficilement réversible. En simplifiant à l’extrême, on peut considérer que le sociologique et l’éthique relèvent essentiellement de l’acquis, tandis que le psychologique et le physiologique sont partagés entre l’inné et l’acquis.

Tous interagissent entre eux en permanence. Il y a donc autant de niveaux de forces morales qu’il y a d’individus, et ce niveau est variable dans le temps et selon le contexte.

Ce dernier point est d’ailleurs celui qui détermine pour le chef la nécessité d’une préparation spécifique.

En effet, nous avons affirmé que le moral est le résultat de la confrontation des forces morales aux circonstances et que ces forces sont le résultat d’une combinaison de déterminants, variée jusqu’à l’infini.

L’enjeu pour le chef militaire est donc de disposer de forces morales à la hauteur des circonstances et de l’importance des événements auxquels son unité peut être confrontée. Il s’agit donc simultanément d’amener les forces morales de chaque individu au niveau requis par les situations potentielles, et de fédérer ses capacités individuelles en une capacité collective qui ne soit pas leur simple addition ou juxtaposition.

Avant d’aller plus loin, précisons un point de vocabulaire. Comme il ne s’agit ici que d’aborder le sujet dans ses grandes lignes, les termes de chef et d’individu revêtent une acception très générique. Le chef désigne aussi bien celui qui commande chaque échelon hiérarchique, du brigadier, chef d’une petite équipe, au général chef d’état-major, que l’institution « armée de terre » dans son ensemble. L’individu dont il s’agit d’accroître les forces morales est aussi bien le citoyen français qui s’engage dans l’institution, que le soldat de tout grade arrivant dans une nouvelle unité – où il peut d’ailleurs exercer lui-même une responsabilité de chef.

La préparation des forces morales, enjeu opérationnel

Pour le chef militaire l’enjeu est donc d’amener son unité à un niveau de forces morales compatible avec l’exécution de la mission dans des circonstances paroxystiques allant jusqu’à recevoir et donner la mort.

Une responsabilité permanente du chef6

Sa responsabilité s’exerce sur deux termes de portée et de nature différentes.

Dans le long terme et en amont de l’engagement, il s’agit de « préparation opérationnelle ». Le but est de construire un socle de forces morales le plus solide possible, pour être en mesure de faire face à l’éventail de toutes les situations auxquelles l’unité serait susceptible d’être confrontée. Le combat symétrique de haute intensité7 parait le plus exigeant8, en raison de la létalité des moyens employés, de la confrontation à la violence extrême et du niveau probable des pertes qui en résultent. C’est donc en théorie vers le niveau de forces morales nécessaire pour obtenir, toutes choses égales par ailleurs, l’ascendant sur l’adversaire dans ce contexte, que le chef s’efforce de tendre.

Les périodes de mise en condition opérationnelle, spécifiques à une mission, visent à adapter les forces morales de l’unité aux conditions spécifiques qu’elles vont rencontrer (climat, isolement des groupes primaires, hostilité possible de la population, menace d’engins explosifs improvisés [eei],…).

Dans le court terme et en cours d’action, il s’agit de mobiliser toutes les ressources morales, de les faire passer (en quelque sorte car elles sont en réalité actives en permanence, mais à une plus ou moins grande intensité) de la puissance à l’acte, puis d’en user selon les besoins requis par la situation. En effet, à l’instar des moyens matériels, ces ressources morales diminuent au fil de leur consommation : le potentiel physiologique, le potentiel psychologique sont entamés et ne se reconstituent qu’avec une remise en condition dont le chef est également responsable (relève, repos, accès au courrier, détente, information,…). Le chef doit donc également les gérer, c’est-à-dire anticiper leur épuisement, repérer les signes d’usure, prévoir les phases de « recharge ».

Les contraintes de la « matière première »

L’observation montre que l’écart se creuse entre les exigences de l’action militaire et les différents déterminants des forces morales tels qu’ils se présentent dans les sociétés occidentales contemporaines. Pour faire court, quitte à approcher la caricature, l’évolution constante vers un modèle individualiste, hédoniste consumériste ancré sur le « droit de » et le « droit à » et baigné par l’omniprésence des technologies d’information et de communication – tic – (virtuel déresponsabilisant, immédiateté de la satisfaction, « zapping »), est d’emblée peu compatible avec l’impératif collectif et la logique concrète, charnelle, d’engagement, de persévérance et de renoncement que présente l’action de combat.

Le double travail du chef et de l’institution, consiste donc à enrichir les forces morales en comblant la différence entre les déterminants réels présentés par chaque soldat sous ses ordres, et le niveau que requiert la mission, tout en passant de l’individuel au collectif. Compte tenu de l’évolution de la société d’une part, des nécessités d’une « armée d’emploi » d’autre part, ceci implique un travail plus important aujourd’hui qu’il y a quinze ou vingt ans (cf. figures 1 et 2 en annexe). Au préalable, ceci impose également une compréhension et une prise en compte de l’état de la ressource, des jeunes gens que l’on recrute, et de l’état de ses déterminants, de même qu’une prise de distance par rapport à des représentations personnelles antérieures (image de l’engagé à l’époque de la conscription). La formation des forces morales doit être progressive, et particulièrement adaptée en ses débuts à l’état initial de la « pâte humaine » que le chef va travailler.

Des objectifs et des moyens
au cœur de l’exercice du commandement

Agir sur les déterminants…

La consolidation des forces morales requiert donc d’agir sur les déterminants définis ci-dessus pour les amener au niveau le plus proche du standard requis, dont l’énumération suivante donne un bref aperçu.

Au plan éthique : sens du devoir, sens de l’honneur, respect de l’ennemi, oubli de soi pour l’accomplissement de la mission, donc subordination des intérêts personnels à ceux du groupe, (du groupe primaire à l’institution, tous au service de la patrie), obéissance, volonté pour atteindre le but.

Sociologique : sentiment d’appartenance, solidarité, cohésion, primat du collectif, adhésion au groupe, à ses mœurs et ses valeurs.

Psychologique : maîtrise du stress, des instincts (dont celui de conservation, qui tend à fuir le danger), des émotions, confiance en soi, en ses camarades, en son chef, en ses moyens techniques, courage.

Physiologique : performances physiques adaptées aux exigences du combat, endurance, complémentarité des facultés individuelles dans l’action collective.

… dans tous les aspects de la vie militaire

Les moyens pour enrichir les forces morales, et passer de l’individu au groupe, sont nombreux et multidimensionnels. Leur mise en œuvre (fréquence, approfondissement…) est tributaire de nombreux éléments contingents, mais leur principe demeure. Aussi l’armée de terre les enseigne-t-elle à ses cadres, pour ainsi dire « de tout temps », et quel que soit leur niveau hiérarchique, notamment au titre de la formation à l’exercice de l’autorité. Là aussi il est artificiel de tenter de spécialiser les moyens en fonction des déterminants, en raison toujours des interactions que nous avons évoquées ; voici néanmoins quelques dominantes.

L’éducation, théorique et surtout pratique par l’exigence dans l’exécution des ordres, par l’exemplarité des chefs, par les sanctions des actions bonnes et mauvaises (id est. punitions et récompenses), par l’exploitation pédagogique des évènements vécus par le groupe, contribuent à renforcer les déterminants éthiques.

L’attention portée à l’hygiène de vie (sommeil, alimentation, etc.), l’entraînement physique et sportif régulier et progressif, orienté vers l’action de combat, la prévention des addictions, sont des moyens de renforcer les déterminants physiologiques.

Tout ce qui améliore les conditions de vie et les conditions de travail, l’équilibre entre la vie professionnelle et privée, l’organisation générale de l’institution, et particulière de l’unité, contribue à accroître la satisfaction d’être militaire de l’individu, et renforce ainsi les déterminants sociologiques de ses forces morales.

C’est dans le champ des déterminants psychologiques que l’éventail des actions et moyens est le plus vaste, et que les possibilités sont les plus riches.

La stabilité des structures organiques, du lien de commandement, la pratique de l’ordre serré et les prises d’armes, le port d’attributs distinctifs d’appartenance ou de compétences spécifiques bref, tout ce qui met en valeur l’idée d’appartenance au groupe renforce l’adhésion à celui-ci.

Concernant l’entraînement, sa progressivité et la qualité de la pédagogie, son caractère réaliste, le constat des limites et des progrès individuels et collectifs, la reproduction la plus fidèle possible des conditions d’engagement, la répétition jusqu’à l’acquisition automatique des gestes élémentaires (drill), l’expérience de l’action collective difficile dans les centres commando et d’aguerrissement, l’appropriation individuelle et collective des équipements, renforcent à la fois la cohésion du groupe et la confiance en soi. « Je sais que je suis capable de faire cela, que je peux compter sur mes camarades et que je leur suis utile. »

L’écoute attentive de la part du chef, son exigence juste, sa proximité dans la vie en campagne, la clarté et la pertinence de ses ordres, sa compétence spécifique, son attention à défendre les justes intérêts de ses hommes (vie courante, carrière, difficultés personnelles), son honnêteté permettent d’accroître la motivation et la confiance envers le chef, et, au-delà, envers l’institution.

Enfin, l’image de l’armée dans la société, la capacité de la société à se mobiliser pour son armée (attention portée par le peuple souverain et sa représentation aux enjeux budgétaires, aux conditions d’emploi, propension à embrasser le métier des armes) contribuent à asseoir la légitimité du métier par le sentiment que le soldat éprouve, d’être reconnu comme étant au service de la nation.

Tous ces éléments contribuent, chacun à leur mesure et en fonction des circonstances, à consolider la confiance, en soi, le groupe, le chef, et les moyens dont on dispose pour remplir les missions à venir. Ils ciblent indifféremment chaque membre de l’unité et sont donc des facteurs de renforcement des forces morales aussi bien individuelles que collectives. Cet effet illustre bien le caractère artificiel d’une séparation de ces deux points de vue, pour des nécessités pédagogiques. L’expérience vécue collectivement renseigne chaque membre du groupe sur le fait que l’action collective permet de faire des choses irréalisables par l’individu isolé, que le groupe pallie les faiblesses de chaque membre et en multiplie les forces. C’est ce constat, vécu et perçu de manière personnelle, mais commun aux différents membres, qui forge la force morale collective.

Il en résulte des comportements individuels et collectifs, dans la vie courante, dans les activités d’entraînement comme en mission opérationnelle qui traduisent, au moins partiellement, le niveau de forces morales atteint par l’unité. Le caractère souvent incomplet de cette manifestation extérieure d’un paramètre immatériel, et nécessairement subjectif de l’observateur qui le perçoit, pose alors la question de la mesure des forces morales.

La mesure des forces morales : intérêt et limite

Un intérêt indubitable :
connaître le facteur humain de la capacité opérationnelle

La seule observation des comportements individuels et collectifs, même si elle fournit des indications utiles, n’est pas suffisante pour disposer sur l’état des forces morales d’une information aussi précise et objective que celle fournie par différents indicateurs sur les paramètres techniques de la capacité opérationnelle.

Cela tient à l’objet de l’observation même : les forces morales sont immatérielles. Cela tient aussi aux limites des observateurs, au premier rang desquels se situe le chef de l’unité concernée. En effet si la perception de celui-ci est primordiale (il est censé être le meilleur connaisseur de l’ensemble des hommes placés sous ses ordres), elle n’est pas optimale. Cela procède d’abord de son caractère subjectif (critères personnels retenus, rationalité limitée déjà évoquée) mais aussi des raisons conjoncturelles qui peuvent limiter9 la proximité du chef avec ses hommes (brièveté des temps de commandement, atomisation des unités, part accrue des tâches administratives, focalisation sur la mission, dispositif très dispersé sur le terrain comme dans l’opération Licorne). Le chef français, certes, « sonde les reins et les cœurs », encore faut-il qu’il soit à proximité de ceux-ci ; or il n’a pas (pas encore ?) le don d’ubiquité.

Aussi il peut paraître intéressant de disposer d’un outil de mesure des forces morales. Celui-ci aurait pour but, à l’instar des instruments techniques, de réduire la zone d’incertitude dans l’évaluation de la capacité opérationnelle, et de fournir des éléments concrets sur l’état des forces, et sur les marges de progrès éventuels, contribuant ainsi à la liberté d’action du chef.

Toutefois, et comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, autant il est relativement aisé d’isoler les composants techniques de la capacité opérationnelle qui sont différenciés dès l’origine, autant il est difficile de disséquer le facteur humain, qui est un et dont il s’agit alors de séparer des éléments totalement intriqués. Il est un au sens où dans un même individu tous les déterminants interagissent, mais aussi au sens où l’individu ne saurait varier lui-même sans faire varier le groupe auquel il appartient, et inversement.

Il y a donc une difficulté de méthode. Pour les éléments matériels, la mesure se fait de l’extérieur, elle est objective en soi : tant de coups au but, à telle distance, en tant de temps.

Pour les forces morales, on doit nécessairement passer par une phase initiale d’auto-évaluation de l’individu, fondée sur des questionnaires portant directement ou indirectement sur les déterminants de la force morale, et devant être exploités par des outils statistiques, puis interprétés selon une méthode spécifique.

En corollaire de cet énoncé, il faut souligner que l’évaluation extérieure des paramètres techniques s’accommode, voire s’enrichit d’une désignation nominative des groupes et individus évalués, tandis que l’auto-évaluation initiale des paramètres touchant les forces morales ne saurait, tant elle touche à l’intime, fonctionner autrement que sous anonymat, sous peine de fausser d’emblée les données et leur analyse ultérieure.

Limites et ambiguïtés d’une mesure

Que faire des résultats ?

Par ailleurs, au même titre voire davantage que dans les performances techniques, évaluer le facteur humain, les forces morales, c’est aussi, bien souvent, porter un regard critique sur le chef qui en a la responsabilité. C’est vrai dans toutes les armées, c’est particulièrement vrai dans la culture militaire française qui tend à voir dans l’état des forces morales le reflet des capacités du chef, de son aptitude au commandement, et à minimiser, sinon ignorer, les facteurs qui ne dépendent pas de lui.

L’interprétation de résultats médiocres peut donc avoir des effets néfastes. Le chef concerné peut être méjugé par la hiérarchie, comme par ses pairs, voire ses subordonnés, comme ayant failli dans cette composante essentielle de l’exercice du commandement. L’intéressé peut en concevoir une mauvaise image de lui-même, une perte de confiance en soi pouvant indirectement porter préjudice à l’unité et à sa cohésion.

Quand effectuer la mesure ?

Le moment de la mesure sera donc particulièrement important. Il semble logique d’effectuer au moins deux mesures : la première servant de constat initial, la seconde de « prise de performance » à l’issue d’une série d’actions visant à renforcer les forces morales. C’est le moment de cette mesure qui est particulièrement sensible, dans l’hypothèse de résultats insatisfaisants (stagnation, régression par rapport au constat initial). Il paraît risqué d’effectuer cette mesure une fois l’unité projetée, sur le théâtre, car l’impact sur le moral du chef, voire sur la cohésion du groupe, sont susceptibles de conduire celui-ci à l’échec. De plus, la liberté d’action du chef est alors réduite pour prendre des mesures correctives. Pour les mêmes raisons, une mesure peu de temps avant la projection n’est pas anodine, alors qu’elle présente un réel intérêt pour faire l’état des lieux. Le chef est alors partagé entre le souci de réduire l’incertitude, et celui d’avoir à faire face à un constat négatif sur l’état du moral.

Vers des modalités raisonnables ?

Des indicateurs informels

Les instruments d’appréciation déjà disponibles sont nombreux, et permettent une évaluation indirecte, générale et empirique du niveau et de l’évolution des forces morales.

Le dialogue de commandement permanent entre les différents niveaux de la hiérarchie est au premier rang de ceux-ci, pourvu qu’il soit fondé sur une franchise réciproque qui est elle-même significative de la confiance mutuelle entre chef et subordonné.

Outre cet élément fondamental, quelques « indicateurs » plus ou moins formels relèvent de l’un ou l’autre des déterminants. Ainsi, les éventuelles atteintes au droit des conflits armés en opération, le non-respect volontaire et non-justifié des règles d’engagement et de comportement, les actes d’indiscipline, les voies de fait ou brimades au sein de l’unité rendent compte de l’appropriation des éléments éthiques10. Les résultats aux évaluations physiques annuelles (covapi), aux différentes épreuves et compétitions sportives, le suivi médical, l’évolution des aptitudes, les performances dans les centres d’aguerrissement traduisent le niveau des déterminants physiologiques.

Des outils plus spécifiques

Par ailleurs l’armée de terre dispose d’outils plus spécifiques destinés à l’évaluation du « moral ».

Le rapport annuel sur le moral, dont la pratique remonte à la fin de la Première Guerre mondiale, permet à l’autorité en situation de commandement de s’exprimer sur le moral de son unité, son évolution et les facteurs de celle-ci. La synthèse successive par les échelons hiérarchiques procure une vue d’ensemble du « moral » de l’institution. Les écrits des autorités sont bien sûr subjectifs, mais ils sont recoupés avec des données statistiques recueillies auprès du personnel subordonné, et l’étude des archives montre que les chefs de tous niveaux font preuve d’une grande franchise. Ce n’est donc pas un exercice de style.

Par ailleurs, d’autres outils spécifiques, en interrogeant de manière systématique et régulière les membres des différentes catégories de personnel sur quinze dimensions de leur vie professionnelle et privée, rendent compte du niveau de leur satisfaction individuelle d’être militaire, et de son évolution dans le temps.

Ces outils sont mis en œuvre et exploités par un bureau spécialisé, le centre de relations humaines, armé par des officiers qui cumulent expérience des corps de troupe et formation en sciences humaines. Ils fournissent une masse considérable d’informations sur le niveau du « moral » en temps de paix, dans la vie courante comme en opération extérieure ou en mission sur le territoire national. En revanche, s’ils embrassent les conditions nécessaires pour bien vivre son métier, et bien vivre de son métier, ils n’indiquent que peu de chose sur les capacités d’une unité à affronter le paroxysme de violence de l’action de combat.

Un outil de mesure des « forces morales » ?

Des tentatives ont pourtant été faites pour approcher cette connaissance, et des instruments pertinents ont été utilisés par le passé. Intégrant les dimensions de « satisfaction personnelle », qui s’ils n’occupent pas la première place des préoccupations en opération, n’en disparaissent pas pour autant, ces outils recueillent prioritairement des informations sur le degré de confiance de la personne interrogée : confiance en soi, dans le groupe, le chef, le matériel, la légitimité de la mission confiée. En interrogeant systématiquement, sur des sujets relevant de l’éthique, de la sociologie, de la psychologie et de la physiologie, tout le personnel de l’unité, on obtient des données précises sur les forces morales de celle-ci.

En terme d’exploitation des résultats, la sagesse a voulu que jusqu’ici, les quelques tentatives de mesures des forces morales dans l’armée de terre française aient tenu compte des limites que nous avons dénombrées précédemment. Elles donnaient lieu, soit à une remontée d’informations anonymes et directes au bureau en charge du moral (questionnaire sur la « capacité psychosociologique des unités » ou capsu), soit à une utilisation directe de l’outil et des résultats par le chef et à son initiative (outil fmo « forces morales »), lui seul étant à même, en raison de sa connaissance unique des circonstances, de les interpréter utilement.

Le manque de notoriété de fmo d’une part, l’intérêt non renouvelé du commandement pour la capsu d’autre part, le caractère parfois ambigu de l’exploitation de ses résultats, ont contribué à ce que ces instruments ne soient plus guère utilisés au-delà du milieu des années 1990. Ils existent cependant et, moyennant une mise à jour des questions tenant compte de la professionnalisation achevée, le recours à un support technique moderne et convivial, et plus encore une finalité claire du recueil et de l’exploitation des données, ils pourraient contribuer demain à apporter des réponses fiables aux questions que le chef peut se poser sur l’état des forces morales en vue du combat.

Conclusion

Les forces morales font partie des ressources dont dispose le chef pour accomplir sa mission. À l’instar des forces matérielles, elles font donc l’objet d’une préparation qui vise à les amener à un niveau de développement adapté au but à réaliser, et au contexte dans lequel l’unité va être engagée.

La finalité des armées étant l’affrontement guerrier, du moins la possibilité de celui-ci, il semble pertinent de chercher à obtenir un niveau de forces morales en adéquation avec cette perspective particulièrement exigeante qui relève de la spécificité des armées, à la disposition de l’État, unique détenteur de la violence légitime.

De manière plus complexe qu’aucun autre constituant de la capacité opérationnelle, le facteur humain est déterminé par des éléments multiples en constante interaction, tant au niveau individuel que groupal. Si cette multiplicité fait sa richesse, elle fonde aussi sa vulnérabilité et la difficulté de la tâche du chef. À côté des difficultés que l’enjeu des forces morales génère quant aux exigences de recrutement et de préparation opérationnelle, que nous avons développées plus haut, deux aspects essentiels nous semblent devoir retenir l’attention au moment de conclure. Ils concernent l’exercice du commandement et l’emploi des forces.

D’une part, l’évolution actuelle des ressources matérielles dont dispose l’armée de terre tend à restreindre de plus en plus la liberté d’action du chef au sein des formations. Celle-ci semble désormais se cantonner au seul champ des forces morales. Mais cette parcimonie des moyens affecte aussi le « moral », et les instruments dont dispose le chef se limitent finalement au seul champ des relations directes avec ses subordonnés – encore faut-il qu’il les côtoie de manière suffisamment assidue. En effet, dans la perspective de l’exigence grave que nous avons répétée à l’envi, comment développer les confiances envers soi-même, le groupe, le chef, et le matériel, sans stabilité ? En raison des difficultés récurrentes de disponibilité du matériel et des effectifs, de variété, de rythme et parfois de cohérence des activités, les hommes n’ont que peu l’occasion de s’instruire avec les mêmes camarades, sous l’autorité d’un même chef, et sur un même matériel. Sans stabilité, la confiance ne peut naître ni se développer ; la motivation en pâtit et les forces morales sont sérieusement menacées. Le rôle du chef s’en trouve limité d’autant, et les périodes où il peut pleinement s’en acquitter sont celles des mises en condition avant les projections, qui procurent la stabilité en vue de la mission prochaine. Est-ce suffisant pour entretenir le fighting spirit d’une armée professionnelle ?

Cet enchaînement entre facteurs matériels et humains souligne encore cette réalité, que les forces morales d’une institution régalienne aussi spécifique que l’armée sont fortement tributaires des moyens que la nation met à sa disposition pour accomplir la mission qu’elle lui confie.

D’autre part, la multi-dépendance du facteur humain procure à tout acteur hostile de nombreux leviers pour agir sur lui, de manière directe ou indirecte. La multiplicité des médias (tv, radio, Internet) et la difficulté à la fois éthique et technique de restreindre leur accès en opération permettent d’agir sur les confiances, en l’autorité politique et militaire, dans le soutien de la population, au sujet de la légitimité de la mission. La maîtrise et l’exploitation (amplification, déformation, rétention) de l’information permettent d’instiller le doute chez le décideur politique comme chez le soldat sur le terrain. Un usage intelligent et coordonné de ces moyens immatériels permet de modifier les perceptions des soldats et des unités, et de favoriser des comportements individuels et collectifs en contradiction avec l’effet final recherché – en adéquation avec celui de l’adversaire. Si l’armée de terre n’a pas connu au cours des opérations récentes d’agression majeure11 dans ce domaine, une telle éventualité n’est pas à exclure dans l’avenir. Elle fonde d’ores et déjà la pertinence d’une réflexion, et la nécessité d’un vrai corpus doctrinal en termes de guerre de l’information et d’action psychologique.

Annexe

Figure 1

Commentaires

L’année 1987 est choisie parce qu’elle illustre « vingt ans avant », une époque où la situation géopolitique, l’organisation et l’emploi de l’armée de terre étaient fortement différents de ce qu’ils sont aujourd’hui.

L’évolution de la société française vers un individualisme croissant explique que celle-ci, en 1987, fournissait des individus dont les déterminants des forces morales étaient en moins grand décalage avec le niveau requis pour l’action de combat, qu’ils le sont en 2007.

Par ailleurs, l’armée de terre n’était pas essentiellement une armée d’emploi, et seules les unités professionnelles partaient en opération.

Elles bénéficiaient d’une sélection plus performante pour deux raisons. D’une part, les engagés volontaires (ev) dits « ultérieurs », ayant préalablement accompli leur service militaire, présentaient des dispositions passées au filtre de cette expérience et d’une première « mise aux normes » des déterminants. D’autre part, le rapport entre le nombre des candidats dits « initiaux », n’ayant pas accompli leurs obligations militaires, et le nombre de places offertes, permettait d’écarter ceux qui présentaient les déterminants les moins adaptés.

Globalement donc, le degré de sollicitation des forces morales et le seuil à franchir n’étaient pas aussi élevés qu’ils le sont actuellement.

En conséquence, la préparation des forces morales en 2007 requiert un effort supérieur à celui déployé en 1987.

Figure 2

Légendes

Courbe fmo : sollicitation des forces morales (fmo) au combat.

Courbe fmo1 : niveau optimal de préparation des fmo, adapté à leur sollicitation au combat (fmo).

Courbe fmo2 : niveau de fmo atteint après préparation, non-optimal au regard des exigences du combat, qui nécessiterait un complément avant l’engagement (phase de mco ?).

Courbe S : adaptation à l’action militaire des déterminants des fmo des individus de la société. Avec le temps, ceux-ci s’éloignent des exigences de l’action militaire (courbe fmo).

Courbe S1 : adaptation à l’action militaire des déterminants des forces morales des individus recrutés, avec un système de sélection ne tenant pas compte de ces déterminants.

Courbe S2 : adaptation à l’action militaire des déterminants des forces morales des individus recrutés, avec un système de sélection tenant partiellement compte de ces déterminants.

Courbe S3 : adaptation idéale à l’action militaire des déterminants des forces morales des individus recrutés, avec un système de sélection ne retenant que les individus dont les déterminants sont compatibles avec l’action militaire.

0 : marge d’adaptation à l’action militaire (fmo) des déterminants des forces morales de la population (S).

1 : marge d’adaptation au niveau optimal de préparation (fmo1), des déterminants des forces morales du personnel recruté (S2).

2 : marge d’adaptation au niveau non-optimal de préparation (fmo2), des déterminants des forces morales du personnel recruté (S2).

2’ : marge d’adaptation au niveau optimal de préparation (fmo1), des déterminants des forces morales obtenus en fmo2.

Commentaires

La société évolue de telle façon que les déterminants des forces morales au sein de la population (S) sont de moins en moins adaptés aux exigences de l’action de combat dont on considère ici qu’elles n’évoluent pas (fmo). N’évoluant pas, mais les prédispositions de la population se dégradant, cela demande de la part de l’institution un effort accru en terme de préparation opérationnelle (∆) (cf. figure 1).

Celui-ci peut être modulé en agissant sur deux facteurs indépendants.

Le degré d’exigence en termes de résultat attendu. Doit-on disposer en permanence des forces morales immédiatement adaptées au combat (fmo1), ou peut-on tolérer une inadéquation partielle (fmo2) susceptible d’être palliée lors des phases de mise en condition opérationnelle avant l’engagement (∆2’) ? Quels délais, quels moyens sont disponibles pour procéder à cette adaptation ?

Le niveau de sélection du personnel militaire, en termes de prédisposition des déterminants des forces morales à l’action de combat. Le choix se fait sur un continuum reliant deux positions extrêmes.

D’un côté celle (S1) qui consiste à ne pas en tenir compte : le risque est alors d’aboutir à une banalisation totale du métier, dès le recrutement, et par conséquent à une incapacité structurelle de l’institution à préparer les forces morales nécessaires au combat (la possibilité devient fortuite : c’est par hasard que le personnel présente des déterminants compatibles avec la préparation). Cette solution n’a pas d’effet néfaste sur le recrutement, au plan quantitatif.

De l’autre côté (S3), celle qui consiste à ne sélectionner que le personnel présentant un état optimal des déterminants. On aboutit alors à une forme de rupture de l’institution avec le reste de la société. La conséquence en est le tarissement du recrutement, ou une forme d’endo-recrutement par reproduction sociale au sein des familles fondées par les militaires ainsi recrutés.

Le choix de l’institution (S2) entre ces deux extrêmes dépend donc de deux facteurs. L’un est d’ordre géopolitique : les menaces auxquelles le pays peut-être confronté laisseront-elles le temps d’adaptation nécessaire à franchir la marge ∆2’?

L’autre concerne les ressources humaines : le nombre de candidats pour entrer dans l’institution permet-il d’être exigeant (S2 proche de S3) ou est-on contraint de prendre « tout le monde » (S2 proche de S1) pour occuper tous les postes ?

Historiquement, le modèle de recrutement des engagés à l’époque de la conscription se rapproche de S3, notamment par la présélection des volontaires et leur acculturation par le service militaire. Le modèle actuel tend plutôt à se rapprocher de S1, en raison d’un nombre de candidats insuffisant pour permettre la sélection souhaitable, et de leur absence d’acculturation préalable. Ils ne sont plus astreints au service national, et dans leur entourage le nombre de ceux qui l’ont effectué se réduit, tandis que leur témoignage n’a qu’un rapport lointain avec la réalité militaire d’aujourd’hui.

Synthèse Hervé Kirsch

La capacité opérationnelle d’une unité est autant tributaire de la force morale des hommes qui la constituent, que du niveau de performance des facteurs techniques. Cette réalité fonde pour le chef la nécessité de préparer celle-là au même titre que ceux-ci.

La tâche est difficile car la force morale dépend de déterminants éthiques, psychologiques, sociologiques et physiologiques qu’on ne peut strictement séparer en raison de l’unité fondamentale de la personne humaine. Il s’agit donc d’amener ces déterminants à un degré de développement compatible avec les exigences extraordinaires de l’affrontement guerrier, qui est en filigrane de toute action militaire. Cette préparation se réalise au travers d’une large palette d’actions destinées à fortifier simultanément l’individu et le groupe au travers de l’expérience positive de l’action collective. Ces actions accomplies, se pose alors la question de la mesure du « moral » atteint, avec ses limites techniques et déontologiques : des instruments pertinents existent mais leur usage est délicat.

Traduit en allemand et en anglais.

Moral, morale | J.-R. Bachelet
P. Schill | Les dimensions collectives du ...