N°6 | Le moral et la dynamique de l’action – I

Pierre Tripier

Entre art de la guerre et activités civiles, des grammaires d’action à trouver

Le but de cette contribution est de mettre en avant un terme déjà utilisé par Clausewitz, celui de grammaire2. Grammaire d’interprétation de la situation et grammaire d’action. À partir de deux cas, décortiqués par un psychosociologue et un spécialiste de la tactique, nous justifierons l’usage de ce terme de grammaire et nous nous intéresserons à son utilisation, à nos yeux souhaitable, par la sociologie. En effet, si celle-ci veut devenir une science comme les autres elle devrait ne pas se contenter de constats mais devrait s’ouvrir, encore faudrait-il définir comment, à la futurologie et au conseil aux princes.

Deux exemples à l’étude : Mann Gulch, Montana, 1949 ; Mogadiscio 1993

Le 5 août 1949, une équipe de quinze parachutistes du feu saute sur un incendie de forêt dans le Montana. Les officiers qui les avaient envoyés supputaient qu’ils viendraient au bout du feu en moins de quatre heures ; mais deux heures plus tard dix d’entre eux étaient morts.

Que s’est-il passé ce jour-là à Mann Gulch ? Le romancier Norman Maclean était sur les lieux alors que le feu brûlait encore. Il s’entretint avec les survivants, consulta les archives judiciaires et d’autres responsables des pompiers. Il en tira, quatorze ans plus tard, un récit romancé, traduit en français sous le titre de La Part du feu3. En 1993, trente ans plus tard, un psychosociologue, Karl E. Weick publia, à partir du roman de Maclean, une analyse de ce drame4. Sans entrer dans le magistral décorticage de Weick, les conclusions de son article annoncent ce que seraient les relations entre retour d’expérience et art de résoudre les problèmes en suivant des grammaires d’interprétation et d’action.

Nous comparerons ces grammaires à celles mises en œuvre par un officier supérieur, le colonel de Saqui de Sannes, à Mogadiscio, cette même année 1993. Il commandait un détachement français quand les troupes de l’onusom, sous mandat des Nations unies, cherchaient à débarrasser la capitale de Somalie des chefs de guerre qui se battaient pour son contrôle. Deux jours après qu’une embuscade ait tué vingt-quatre soldats pakistanais, le commandement demanda à l’officier français de venir en aide à un contingent marocain accroché par les forces du général somalien Aided5.

Ces deux exemples permettent une réflexion sur les grammaires d’action et d’interprétation en général et des prolongements possibles, et très riches en enseignements, de certaines sciences humaines et sociales.

Exemples

Mann Gulch

Que s’est-il donc passé dans le ravin Mann d’une forêt du Montana le 5 août 1949 ? En étudiant les faits rapportés par Norman Maclean après enquête, Weick observe différents points défectueux. Ils lui servent de retours d’expérience, aux leçons généralisables.

Interprétations de la situation

Rétrospectivement, les interprétations étaient défectueuses. D’avion, le copilote, un vieux de la vieille avec beaucoup d’expérience avait affirmé que ce serait un travail facile : l’équipe devait venir à bout de l’incendie en quatre heures. Mais il était cinq heures du soir et le mois d’août 1949 avait été un des plus chauds depuis longtemps. Peu de temps après l’atterrissage des pompiers, le vent, jusque-là calme, se lève et les obstacles au développement du feu : une route, une rivière, ne sont plus efficaces à cause de la force du vent. On voit bien comment l’interprétation par quelqu’un qui a l’habitude mais qui le fait trop tôt ou est trop loin, peut être erronée. Mais, dans la conscience des acteurs, ce cadrage de la réalité6 était fermement installé.

Le chef de peloton et le garde forestier qui avait signalé l’incendie et attendait les pompiers sur place, déjeunent pendant quarante minutes alors que le reste du peloton se répand autour du ravin sans ordre précis. Les hommes en conclurent que le feu était peu dangereux.

Alors que le feu dans le ravin semblait s’intensifier, un des seuls membres expérimentés du peloton prenait des photographies du site, renforçant l’impression du caractère maîtrisable de l’incendie.

Qu’il s’agisse de la définition de la situation (de son cadrage ou de son interprétation) par des moyens directs ou contournés, elle est inadéquate ou erronée. Les ordres donnés par les responsables n’allaient pas arranger les choses, car d’une certaine façon, ils contrevenaient, sans explication, aux valeurs et aux logiques de leurs hommes.

Faire agir et agir soi-même

Ce cadrage défectueux avait conduit, dans un premier temps, le responsable du peloton de pompiers, Dodge, à vouloir entourer l’incendie et l’attaquer de façon dispersée et convergente sur le ravin, donc à placer ses hommes en éventail au-dessus du ravin en feu et avancer vers celui-ci. Cependant, lorsqu’il vit que l’incendie se répandait au-dessus de son peloton, il prit peur et se dit qu’il fallait créer une voie de dégagement. Or celle-ci se fait grâce à un contre-feu : un feu circonscrit, qui, une fois éteint, permet de se dégager. Lorsqu’il se rendit compte de son erreur tactique, Dodge, le contremaître avança vers le ravin en mettant le feu à ce qui devait être la voie de dégagement. Il ordonna à ses hommes de venir le rejoindre et à se coucher sur le sol encore brûlant dans la voie de dégagement ainsi constituée. Mais comme cette voie de dégagement les rapprochait du ravin en feu, les pompiers, plutôt que d’obéir à un ordre qui leur paraissait absurde, préférèrent au contraire s’éloigner du ravin.

Le commandant en second, comprenant la réaction de ses hommes, qui, pour sauver leur vie, cherchaient à fuir en escaladant la montagne qui bordait le ravin, voyant qu’ils avaient des difficultés à escalader celle-ci leur cria de se débarrasser de leurs instruments de lutte contre l’incendie, de les jeter par terre et, ainsi allégés s’éloigner au plus vite vers les sommets des collines encore indemnes.

Situation objective

Deux facteurs de mauvaise interprétation doivent être pris en compte pour bien restituer la situation des pompiers-parachutistes ; le hasard et les coordinations préalables à l’action :

 Il y eut un hasard malheureux. : le parachute qui contenait l’appareil de radio qui devait relier le peloton de pompiers à sa base ne s’est pas ouvert et le poste se fracassa au sol. Désormais le peloton ne pouvait plus communiquer avec le monde extérieur.

 Enfin, dans l’avion qui les conduisait sur le site de l’incendie, le bruit était tel que toute communication pour préparer le peloton à l’action était inaudible. Les parachutistes qui ne se connaissaient pas atterrirent sans consignes claires et, après que leur chef ait ordonné de le suivre dans le contre-feu, ils se trouvèrent seuls, isolés, devant se débrouiller dans une situation dont ils n’avaient pas l’expérience.

Interpréter et agir

Le cadrage des acteurs et de leur subjectivité, c’est-à-dire leur définition d’eux-mêmes et du rôle qu’ils avaient à jouer, fut inadéquat. En effet, qu’est-ce qu’un pompier sans ses outils pour lutter contre le feu ? Un tel ordre, non préparé d’avance, était à proprement inaudible. Il contrevenait tous les apprentissages que les jeunes pompiers-parachutistes avaient subis. Ils n’avaient aucune expérience d’isolement face au feu, à devoir sauver leur vie plutôt qu’à combattre l’incendie (les seuls épisodes antérieurs du même type, ils les avaient vécus ensemble, en groupe). Donc cet ordre ne fut pas suivi. Les pompiers continuèrent à escalader la colline, lourdement chargés, de pelles ou de haches et surtout du « pudalski » et, vite rattrapés par les flammes, treize d’entre eux périrent rapidement.

Karl E. Weick insiste sur le fait que la panique s’installe dès que disparaît le sens (l’apport de Weick aux sciences sociales porte surtout sur la façon dont on donne sens à l’action dans les organisations, et son livre le plus renommé a pour titre : Sensemaking in Organizations7).

La perte de sens d’un rôle à tenir

À Mann Gulch, le sens se dissipa vite, faute de préparation préalable et de communication entre les différents protagonistes : d’habitude le chef de peloton va devant sa troupe pour lui monter le chemin à suivre et lui donner des indications, mais celles-ci doivent être un peu argumentées, accompagnées de quelques éclaircissements. Quand les pompiers ont vu leur chef Dodge se retourner, aller vers le haut et commencer à incendier un passage tout en criant à ses hommes de se coucher ou de le suivre, cette volte-face et cette injonction à deux alternatives laissa les pompiers dans le désarroi. D’autant plus que le second, dont le rôle est normalement de faire comprendre les ordres du chef de peloton, au lieu de redoubler l’ordre de Dodge, enjoint les pompiers à abandonner leurs outils et à fuir comme de vulgaires touristes pris dans un feu. C’était leur définition de soi qui, alors, volait en éclat, ajoutant à la confusion des ordres inexpliqués.

Or, nous dit Weick, quand quelqu’un a perdu le sens de l’action collective, qu’il se trouve réduit à n’être qu’une individualité, il régresse vers les modes les plus habituels de réponse aux problèmes, ici la fuite.

Le commandement d’un système

En combinant le cadrage cognitif préalable, les dispositions des acteurs sur le terrain, le type de leadership et le jeu des éléments nous expliquons l’événement et indiquons, comme en creux, les leçons de cette catastrophe pour qu’elle ne se reproduise plus :

 un briefing confortable et « démocratique » pour que le peloton se constitue en équipe soudée avant d’entrer en action ;

des cadrages alternatifs pour envisager toutes les façons dont peut se présenter le feu à combattre ;

des systèmes préalables de communication entre les membres dispersés du peloton ;

un accord sur les rôles à remplir par le chef et son adjoint…

Se dégage effectivement du retour d’expérience une marche à suivre, une grammaire, ébauchée ici, qui indique comment peuvent se constituer les éléments d’une bibliothèque de résolution de problèmes. Bibliothèque qui, remplie, permettrait, comme le veut le modèle du bibliothécaire-voyageur de Robert Damien, de doter les sciences sociales de leur prudentia, de façon ouverte et systématique8. Le modèle du bibliothécaire-voyageur éclaire la prudentia nécessaire à la connaissance du comment agir.

Mogadiscio, 17 juin 1993

La bibliothèque est aussi évoquée par le lieutenant-colonel Goya dans un article lucide et dense9. Il y examine l’action du colonel de Saqui de Sannes, à Mogadiscio entre le 9 et le 18 juin 1993. Sa conclusion ouvre quelques pistes sur la constitution d’une grammaire de l’interprétation :

« La différence entre les individus se fait sur la capacité à manier une […] mémoire, à […] long terme, une sorte de disque dur dans lequel est stockée l’expérience acquise. Un champion d’échecs possède en stock plusieurs milliers de parties, jouées ou apprises par cœur. Il puisera dans cette bibliothèque afin de repérer des analogies avec des situations connues, et de dégager très vite les options possibles. Le chef au combat raisonne de la même façon, rassemblant des éléments enfouis dans sa mémoire tactique pour les adapter à un contexte par ailleurs beaucoup plus flou et incertain que sur un échiquier. Les modes d’action qui surgissent ainsi, tout armés, dans le cerveau du chef, […] sont donc souvent des analogies avec des situations vécues.

[…] Si cette banque de données n’existe pas, et/ou, si le chef n’a pas la capacité d’y accéder rapidement, à cause d’une inhibition due au stress, la pression cognitive augmente très vite et aboutit à l’impuissance. […] Il est donc indispensable que le chef, […] ait “accumulé des parties” pour acquérir les réflexes tactiques. Le jeune Bonaparte, à Brienne apprenait par cœur les batailles des deux siècles passés10 ».

Ce commentaire méthodologique de M. Goya vient en conclusion d’un article relatant l’action du détachement français de l’unisom le 17 juin 1993. Le 5 juin, un contingent pakistanais de la même force de l’onu avait subi de la part de la milice du général Aided, une perte de vingt-quatre hommes. La décision fut prise par le commandement interarmes de mettre cette milice hors d’état de nuire. Le 16 juin, le contingent français sous les ordres du colonel de Saqui de Sannes reçut l’ordre de venir le lendemain en appui des contingents marocains et pakistanais qui cherchaient à investir le quartier tenu par cette milice. Le désormais général de Saqui de Sannes fait un récit circonstancié des opérations de ce jour-là, qui s’acheva sans aucune perte française, récit commenté brièvement par le lieutenant-colonel Goya.

Nous allons présenter ces commentaires sous la même forme que celle utilisée pour le cas du ravin Mann.

Situation objective

Cette fois-ci le hasard fut bienveillant : le colonel de Saqui de Sannes l’indique lui-même : devant permettre aux marocains de se dégager, il choisit une position au dessus et nord de leur position. Mais, pour y accéder, il faut passer par l’axe des renforts du général Aided : « Avec un peu de chance, quelques rafales de mitrailleuse et beaucoup de vitesse, on s’en est sorti sans mal. » (p. 78).

Interprétation de la situation

L’ennemi était repéré, sa force, ainsi que ses ruses (faire agir la foule, puis se retirer et à ce moment là, attaquer) étaient prévues. De plus, « Je connaissais bien le terrain, et nos alliés. » (p. 77).

Coordination

Le chef du détachement français prend avis de son adjoint avant de commencer sa manœuvre, ensuite il reste en contact radio avec les différents groupes sous ses ordres à qui il a donné des consignes précises et circonstanciées. Quand un des groupes est sérieusement accroché, il évalue la nécessité de lui venir en aide. Il décide de ne pas le faire, jugeant que ce groupe « pourra tenir », et ce fut le cas.

Commandement

Le colonel de Saqui de Sannes reste très attentif à l’état d’esprit de ses hommes, quand il sent la fébrilité monter, il tente de les calmer, quand un accrochage se termine par la mise hors de combat d’un de ses hommes, il rassure les autres, et à raison : ils ont été plus choqués que blessés. Même si par moments il perd la notion du temps et a, une fois, l’impression de ne plus pouvoir commander : « Je me suis imposé de rester toujours très calme à la radio pour aider à contrôler les stress de tout le monde, y compris le mien » (p. 79).

Critères d’action

Le colonel avait quatre critères d’action en tête au moment où il faisait faire mouvement à sa troupe :

 limiter les pertes amies ;

 limiter les pertes de la population civile ;

 maintenir la cohésion psychologique de son groupement ;

 maintenir sa liberté d’action.

De ces quatre critères, le second était le plus difficile à tenir. En effet, des tireurs isolés de la milice Aided se protégeaient en se mettant au milieu de femmes ou d’enfants. Par exemple en tirant d’une fenêtre et, aussitôt après, dans cette même fenêtre, surgissait une tête de femme ou d’enfant.

Quant au troisième critère, il suppose à la fois que les hommes conservent leur sang-froid et qu’une opération nécessairement risquée ne vienne pas, par des pertes trop nombreuses, effondrer le moral des hommes. Le quatrième critère supposant que l’on ne fouille pas les maisons l’une après l’autre, puisque cette opération engluerait les troupes et qu’elle ne peut être faite si l’ennemi n’est pas désarmé.

La grammaire d’action

L’analyse de ce cas conduit le lieutenant-colonel Goya à énoncer un autre précepte de commandement :

« Il apparaît essentiel que le décideur soit présent au milieu des combattants. Le chef à l’arrière est souvent plus stressé que celui qui se trouve au cœur des combats. La pression cognitive est forte, car il manque d’informations, et son besoin d’action se concrétise souvent par des demandes incessantes de comptes rendus. […] Rien ne remplace l’appréhension directe de la situation […].

La comparaison avec l’opération américaine […] est à cet égard intéressante. Le commandant de l’opération, le général Garrison, commande à distance, par l’intermédiaire d’hélicoptères munis de caméras vidéos. Lorsque les événements commencent à mal tourner il se produit un certain flottement entre les troupes qui pensent que le haut comprend ce qui se passe et le général, qui ne « sent » pas tout de suite la tournure des choses. Ce décalage est suffisant pour que les miliciens viennent de toute la ville pour affronter les Américains qui ne sont protégés par aucun blindage. Les Américains déploreront 18 morts et plus de 60 blessés, là où les Français n’auront eu que quatre blessés11. »

Il est maintenant temps de présenter notre concept. Concept qui devrait nous aider à comprendre de façon synthétique les erreurs du premier exemple et la réussite du second.

Grammaires

Qu’appelons-nous des grammaires ?

Le terme grammaire a quelque chose de métaphorique surtout quand on parle d’action mais il faut bien prendre en compte les avancées considérables introduites par le petit livre d’Austin Quand dire c’est faire qui a bien démontré que la parole, dans le dialogue, pouvait être étudiée comme une action. Or c’est bien la grammaire qui permet d’articuler les paroles de telle façon que la phrase émise par un locuteur soit compréhensible par lui-même et par les autres. C’est bien la grammaire qui organise la diffusion d’une parole, sa compréhension. Elle est bien au cœur de l’intercompréhension12. Or la grammaire, nous dit le petit Robert est « L’ensemble des règles à suivre pour parler et écrire correctement une langue, ainsi que l’étude systématique des éléments constitutifs de cette langue : sons formes et procédés. » La grammaire se divise alors en étude des formes et des fonctions par la morphologie et la syntaxe, mais comprend aussi toutes les manières et variations sur le faire13. Il n’est pas, alors, absurde d’utiliser ce concept métaphoriquement et le Robert nous dit qu’il l’est pour la composition de la musique ou la peinture, pour lesquels l’usage est admis.

Pourquoi utiliser le terme grammaire ?

D’abord, l’usage de ce terme a été légitimé par Clausewitz, qui l’utilise dans son fameux chapitre 6 du huitième livre de De la guerre dans lequel il énonce que la guerre est un instrument de la politique. Par ailleurs, sauf à être pédant, mais dans le cas présent le but est d’être clair, on remontera à la distinction aristotélicienne entre sciences (episteme), arts (techne) et prudentia : les premières répondent à la question pourquoi, la seconde et la troisième à la question comment. Ce qui distingue les deux réponses à « comment ? » c’est que les unes sont certaines (pour couper, il faut un instrument contondant, pour avoir chaud, il faut une source d’énergie) et Aristote les appelle techne ou arts. Mais d’autres dépendent de beaucoup de contingences et de contextes différents. Les prudentiae sont difficiles à enseigner, puisqu’elles reposent sur l’expérience sensible et l’emmagasinement, individuel ou collectif de cette expérience. Mais « Comment ? » ouvre la science à la fois à la certitude et à la contingence. Car prudentia invite à deux types d’action bien distincts : agir en s’assurant que la plupart des risques sont absents ou neutralisés, c’est dans ce sens que nous entendons les différentes « prudences » dont nous entourons nos actes : définition de procédures, normes de conduite, principes de précaution, assurances de tout type. L’autre façon de faire est « l’action incertaine », le fait d’affronter des risques.

Le postulat que nous posons est que la conduite de ces actions incertaines est alimentée indirectement par les savoirs établis, rationnels, scientifiques et enseignables, mais est alimentée directement par l’accumulation d’expériences individuelles, sensibles et singulières. « Pour devenir transmissibles et enseignables ces expériences doivent donner naissances à des grammaires qui mettent en ordre ce stock d’expériences ».

Quelles grammaires ?

Notre collègue Frédéric de Coninck14 a très judicieusement étudié l’art de la prudentia. Pour l’aborder il rappelle une distinction déjà présente dans les travaux de plusieurs pragmatistes américains, au rang desquels on trouve Charles Pierce et George Herbert Mead. Ce dernier nous dit, dans son livre le plus renommé, L’Esprit, le Soi, la Société, que la société se comprend grâce à l’étude du cerveau humain. En effet, ce cerveau comprend deux hémisphères antérieurs, le premier qui accumule, stocke et range des informations, le second qui les utilise pour les créer et les transformer par une action créative. Parmi les informations, stockées dans le cerveau, il y a les règles de comportement, les lois, bref, les réponses au « comment ». Mais ces réponses, dit Frédéric de Coninck, sont de deux sortes : les unes peuvent être écrites, consignées, apparaître dans des règles de droit ou des manuels, enseignées. Alors que les secondes sont avant tout de transmission orale.

Sans nier l’importance de cette distinction, nous avons l’impression de venir à quelque chose d’encore plus fondamental en retournant à G.H. Mead et à ce qu’il appelle l’acte social. Pour Mead, dans l’acte social fondamental qu’est l’interaction, les protagonistes de celle-ci se constituent, par expérience, deux types de grammaire qu’ils articulent ensuite :

 Une grammaire d’interprétation de ce que l’on voit, interprétation de la situation dans laquelle on croit être, étant donné ce que l’on observe et étant donné ce que l’on a appris sur le contexte dans lequel il faut agir. C’est ce que nous appelons aussi l’opération de cadrage d’une situation.

 Une grammaire d’action qui réponde à l’interprétation que l’on s’est faite de la situation. Étant donné celle-ci, il convient d’agir de telle ou telle façon.

 Frédéric de Coninck montre que le travail d’exécution le plus simple contient ces trois opérations : cadrer une situation, planifier même inconsciemment une action et agir. La différence entre l’écrit et l’oral est la longueur du temps de planification et, aussi, sa préparation. En somme la longueur de sa boucle de rétroaction. Quand cette boucle est longue, la planification prend une importance et un temps considérables. Quand, par contre, la boucle de rétroaction est immédiate, comme dans un combat de boxe ou une attaque au fleuret, les grammaires d’interprétation et d’action doivent être pour ainsi dire réflexes, tellement incorporées qu’elles semblent jouer sans que la conscience ne les contrôle ou les programme.

Dans les exemples que nous avons offerts au lecteur. Le premier se caractérise par une faible expérience : en 1949 le corps des pompiers-parachutistes du Montana avait seulement quatre ans d’existence. La création du corps, en 1945, avait été une façon d’utiliser des pilotes démobilisés de la Seconde Guerre mondiale. Même si le responsable était considéré comme le plus expérimenté de son État, son analyse de la situation montre peu de repères antérieurs. Combien faut-il voir d’incendies, combien de retours d’expériences, combien de problèmes résolus pour avoir en tête, d’un coup d’œil, la bonne analyse de la situation, surtout si l’on appartient à un métier sans mémoire parce que trop jeune ? L’anecdote qui veut qu’il s’arrête quarante minutes pour déjeuner en laissant ses troupes se déployer, est significative, d’un manque de lucidité sur la situation.

Toute autre est la situation à Mogadiscio. Nous avons affaire, là, à des chefs ayant une culture des expériences passées et qui, tactiquement, ont plusieurs schémas alternatifs en tête, avec une grammaire de résolution de problèmes riche. D’autre part, la grammaire d’interprétation est alimentée par l’expérience des jours précédents, et mise en œuvre par la présence effective du chef dans la situation. Elle est analysée en relation directe.

Usage de ces exemples

Il est maintenant temps de tester la pertinence de notre conceptualisation et de nos exemples pour la compréhension de certains éléments de la vie civile. Pour cela nous reprendrons la distinction entre réduire les risques et les affronter.

Grammaires de l’action médiate :
réduction des risques grâce au rôle de l’ingénieur juriste

Il existe, dans les entreprises et les administrations, des spécialistes dont la fonction est d’analyser et cartographier des processus, de les reconfigurer en fonction de deux impératifs : a) le plan stratégique de la direction générale et b) leur robustesse et économie. Ces activités ont pour objet la prudence, la réduction des risques. Les spécialistes qui en ont la charge mettent en œuvre des méthodes fixes de résolution de problèmes, adaptées aux plans stratégiques. Ils créent des déontiques, ce qui fait d’eux des « ingénieurs juristes ». Ingénieurs par le caractère rationnel, économique et robuste des processus qu’ils font fonctionner15. Mais il est aussi juriste, car qu’est-ce que le droit sinon « l’art de distinguer ce qui doit être fait et ce qui ne peut pas l’être […]. Comme norme, elle donne l’angle absolu qui fournit à un édifice, qu’il soit physique ou social, la cohésion qui assure sa stabilité16. »

Cette norme, pour devenir effective, suppose la fixation d’une même unité de pesage donc la mise en place de mesures, barèmes de proportionnalité, etc.

Cet instrument de prudence, ce produit de l’ingénieur-juriste, qui permet d’anticiper et régulariser l’action d’autrui en l’insérant dans des directives à suivre, des routines à respecter ou des innovations à introduire, avec son système de palpeurs métriques et ses boucles de contrôle, ne suppose aucun changement soudain, aucune situation d’urgence. C’est une fille de l’organisation scientifique du travail, mais dans une économie dominée par des services ou des séries de production courtes qu’il faut adapter aux exigences du client. La passion, l’émotion, l’urgence, le stress en ont été éloignés.

Grammaires de l’action immédiate : comment affronter les risques ?

La passion, l’émotion, l’urgence et le stress vont se retrouver dans « l’action de caractère aléatoire », en particulier l’art d’affronter les risques. Ici, il faut des règles et une planification mais où l’action pertinente suppose, tout au long de la pyramide de commandement industriel :

 d’avoir compris sur quelle scène va se dérouler l’action, ce qui suppose un cadrage adéquat, une définition correcte de la situation dans laquelle se trouvent les différents protagonistes de l’action.

de savoir appliquer des règles d’action, mais aussi les exceptions à celles-ci, exceptions dictées par la présence des logiques des différents protagonistes sur la scène où l’on intervient.

Grammaire d’interprétation : comment cadrer l’action projetée ?

Nous faisons ici appel à un sociologue oublié, Kenneth Burke, pour nous aider à définir comment bien interpréter dans l’action : Burke cherche à formuler de façon plus explicite l’acte social de Mead en donnant un cadre formel à l’analyse du comportement d’autrui dans la vie quotidienne :

 « Tout énoncé exhaustif, à propos des motifs d’autrui, va chercher à répondre de quelque manière à une de ces cinq questions : que s’est-il passé (L’acte), où et quand celà s’est-il produit (la scène), qui l’a fait (l’agent), comment s’y est-il pris (l’agency), et pourquoi (le propos) […].

 En utilisant « scène » dans le sens d’un arrangement ou d’un décor et « acte » dans le sens d’action, on pourrait affirmer que « la scène contient l’acte » et, si on donne à « agent » le sens d’acteur ou actant, on peut aussi affirmer que « la scène contient l’agent ». » (K. Burke 1945/1969 p. xvii & xxii).

Le problème qu’essaie d’aborder Burke est celui de l’organisation de l’expérience à travers la perception de soi et d’autrui. La forme qu’il suggère permet une mise en ordre de la réalité perçue. Sinon les multiples niveaux de signification qui s’engagent dans l’activité des hommes brouilleraient l’entendement.

En somme, cadrer correctement son action est à plusieurs niveaux : celui de la scène, où suis-je ?, Où sont mes forces ? Combien sont-elles ? Où est l’ennemi ?, Quelles sont ses forces ? Le niveau des acteurs : quelle est la situation ? Où sont les autres acteurs ? Où sont les responsables ? Celui de l’agency : comment agir ? Quelles sont les consignes qu’ont m’avait données à appliquer dans ce cas ? Que font les autres ?….

Mais à cette grammaire de l’interprétation il faut articuler la grammaire d’action. Sans trop insister, car ces auteurs sont parmi les plus étudiés, c’est en retournant aux grands classiques de l’art de la guerre que nous allons trouver la pensée de cette articulation.

Mélangeant savoir formalisé et expérience, Clausewitz met en scène une autre forme de connaissance que la connaissance académique, distante, formalisée et à vocation universaliste. Cherchant à établir un traité qui résume les enseignements humains sur la guerre, il énonce les caractéristiques de l’action dans ce milieu où pèsent l’urgence et la nécessité : « Dans la guerre, tout est très simple ; mais la chose la plus simple est difficile. Les difficultés s’accumulent et entraînent une friction que personne ne se représente correctement s’il n’a pas vu la guerre. […] en guerre, tout baisse de niveau par suite d’innombrables contingences secondaires qui ne peuvent jamais être examinées d’assez près sur le papier. […] Tout s’y compose d’individus, dont chacun conserve sa propre friction sous tous ses aspects. Ce frottement excessif […] se trouve donc partout en contact avec le hasard : il engendre alors des phénomènes imprévisibles. […] L’action en guerre est un mouvement qui s’effectue dans un milieu aggravé par les difficultés. […] Voilà pourquoi le véritable théoricien apparaît comme un professeur de natation qui fait faire sur terre ferme les mouvements qu’il faut exécuter dans l’eau17. »

Clausewitz s’inspire explicitement d’auteurs qui le précèdent, parmi ceux-ci Machiavel. En témoigne la lettre qu’il envoie à Fichte pour le féliciter de son essai sur l’auteur du Prince, lettre importante puisque Clausewitz y distingue le théoricien de la guerre, qu’il tient en piètre estime, et Machiavel analyste de l’art de gouverner qu’il considère comme son maître à penser18.

Pour ces deux auteurs, affronter des risques suppose que l’on tire des leçons des expériences passées, ces expériences pouvant être personnelles, immédiates, sensibles, donc assez largement difficiles à transmettre sauf sous forme de récit, de narration de cas. C’est l’accumulation de ces cas, de ces expériences vécues ou retracées qui peuvent constituer ce que nous appelons une grammaire d’action, c’est-à-dire des règles de conduite, des voies à suivre pour affronter les risques.

Puisque les expériences sensibles sont difficilement cumulées, et ne peuvent l’être qu’en gommant ce qu’elles doivent aux circonstances. Elles donnent, cependant, lieu à des connaissances ordonnées et, ainsi, aident à organiser l’action. Nous appelons le résultat de cumulations des grammaires, puisqu’elles comportent une « syntaxe », c’est-à-dire des méthodes de mise en ordre des actions, des « paradigmes » qui permettent de les adapter aux cadrages idoines, une « morphologie » soit des déclinaisons de ses méthodes dans des cas particuliers, permettant de poser et résoudre des catégories de problèmes, enfin elles supposent aussi des « exceptions » qui sont dictées par le caractère supposé opportun ou bénéfique de l’application du plan ou de la règle19.

Leçons de ce qui précède

Une réalité feuilletée

L’action contre le feu ou contre un ennemi a cette particularité que, même complexe, elle n’a qu’un but, empêcher que le feu ne s’étende, désarmer l’ennemi. La vie civile est plus complexe, multiforme et multi-niveaux. Mais, ce qui se passe dans des situations d’exception (feu, bataille) répète, sous des contraintes plus fortes, les décisions à prendre et les modes de commandement dans les organisations du monde économique ou administratif. Ce qui change avec les situations d’extrême violence, c’est la proportion de prudence qui est plus grande, mais l’art, c’est-à-dire l’affrontement du risque n’en demeure pas moins présent, ne serait-ce que sous forme potentielle.

Or, dans les travaux que nous avons menés20, nous avons pu observer que les interprétations de la scène, de l’acte et de l’agence, variaient à l’intérieur d’une même organisation, et nous avons été très intéressés de voir que des philosophes, comme Husserl, Merleau-Ponty ou Sartre avaient exploré ce territoire bien avant nous et pouvaient nous éclairer.

En effet, Husserl distingue quatre niveaux de réalité : « la praxis corporelle et le niveau solipsiste21 des corps et des mouvements ; praxis intersubjective et empathie réciproque de multiples acteurs ; praxis sociale et monde communautaire ; praxis humaine et monde universel22. »

De leur côté, les micro-historiens italiens nous rendent attentifs à varier de niveau d’échelle, ainsi que la méthode d’approche, selon la nature des données23. Pour eux, les niveaux n’ont pas la même importance dans chaque cas étudié. Pour pouvoir utiliser les barreaux d’échelle à bon escient il convient donc de saisir la singularité de l’organisation étudiée. Pour cela il faut introduire une conceptualisation prudente traitant des singularités de chaque situation mais aussi de leurs caractères communs.

Importance du retour d’expérience et des méthodes de résolution de problèmes

Le second point que les travaux en sociologie appliquée nous ont permis de comprendre, est la supériorité du retour d’expérience sur le questionnaire, la déclaration ou l’entretien pour comprendre ce qui se passe sur la scène. On appelle ainsi les récits et réclamations émis par des usagers et qui permettent aux organisations de connaître leurs défauts, en tous les cas ceux ressentis par leur clientèle. Ces retours d’expérience permettent de saisir quels sont les défauts majeurs que l’on peut développer dans l’action. Ces défauts sont divers, ils peuvent être :

 Des défauts d’utilisation des grammaires d’interprétation de la situation dans laquelle on doit agir.

 Des défauts de doctrines ou de critères : même si l’action est bien cadrée, étant donné l’opportunité ou la circonstance, les critères choisis risquent de rendre le résultat espéré inaccessible.

 Puis arrivent les défauts de coordination : les organisations vivent sur de nombreux malentendus. Si ces malentendus subsistent au cours de l’action, la catastrophe peut surgir. Une coordination rapide peut réparer les bévues dues aux malentendus.

 Enfin des défauts de commandement : on sait que dans une situation de danger ou d’urgence, le calme et la pédagogie font baisser le niveau de pression cognitive et qu’une trop forte pression paralyse le cerveau. Par ailleurs, comme nous l’enseigne Robert Damien, le chef est celui qui aide sa troupe non seulement à rester unie mais aussi à se dépasser, à voir le sens de la marche et avancer dans cette voie en ordre et en concertation. En somme, comme nous le disent les Anglo-Saxons, le bon chef est celui qui empower ses troupes, et qui les considère en même temps comme une réunion d’individus et comme un système.

 Il en est de même pour la surprise. Pour répondre rapidement à la surprise, ne pas rester abasourdi, il faut avoir en tête une bibliothèque de coups à jouer, comme le champion d’échecs a un millier de parties en tête. La bibliothèque est aussi nécessaire pour les prudentiae, que pour l’art ou la science, pour la prudence car, au moins dans ma discipline, ses éléments sont dispersés. Il faudrait les recueillir et les classer en taxinomies diverses pour les présenter au public des étudiants, mais cela a rarement été fait. En fait les bibliothèques les plus utiles seraient celles qui porteraient sur les théories situées, et qui aideraient à comprendre le rôle respectif de prudentia et de techne dans la résolution de problèmes.

Par exemple, deux auteurs classiques en sociologie, Pareto et Simmel ont beaucoup utilisé les métaphores croisées des portes et des ponts : plus on s’ouvre aux autres et plus on se ferme sur soi. Que signifient leurs théorisations aujourd’hui où la globalisation des échanges et les facilités de déplacement sont conjuguées avec un nombre de portes et de contrôle de ponts considérables24 ? Est-ce que cela met en cause les théories issues des métaphores de la porte et du pont ? Ne faut-il pas contextualiser ces thèses du xixe siècle en les rendant compatibles avec ce siècle-ci ? Les murs des usines, les dispositions des ateliers et des bureaux, ne font-elles pas partie des méthodes de diminution des risques par le cadrage spatial de l’action ?

Conclusion

À partir de deux exemples dont l’un est analysé par un psychosociologue des organisations et l’autre par un spécialiste de la tactique, nous avons pu démontrer la possibilité, pour des grammaires d’interprétation et d’action, d’exister. Si, nous voulions que la sociologie inclue, dans son apprentissage, les richesses nées de son application, il faudrait que, comme les autres sciences, elle permette non seulement de diagnostiquer des problèmes, mais de trouver le meilleur chemin de les résoudre. Le modèle pourrait être Discours sur la première décade de Tite-Live de Machiavel si on osait le considérer comme un livre de sociologie : l’œuvre du Machiavel bibliothécaire-voyageur qui conduira à la fabrication du guide d’action qu’est Le Prince.

Car, pour que la sociologie produise des grammaires d’action et d’interprétation, il faut deux choses :

 Des modèles pour interpréter une situation en urgence et agir en conséquence. Or ces modèles ne peuvent pas provenir des savoirs certains : la science ou la technique. Ils s’appuient sur eux, mais doivent développer leur propre logique. Ces modèles sont présents dans les traités de l’art de la guerre et l’art de gouverner. Ces modèles sont bâtis à partir des leçons de l’histoire. Ils supposent de se plier à deux mouvements différents : croire en une certaine stabilité de la raison et de la passion humaine et éviter les pièges de l’anachronisme.

 Jouer de la structure et de l’événement comme deux moments distincts, et en tension, du déroulement du temps.

Machiavel est sans doute le premier à avoir pensé une politique rationnelle fondée sur les leçons de l’histoire. Il ne tranche pas entre la perspective d’une chronologie structurée et irréversible, dans laquelle les princes doivent agir d’une certaine façon s’ils veulent le rester et celle d’une contingence dans laquelle l’action pertinente est adéquate au milieu où elle se déroule.

Ainsi, pour lui, il y a des universaux : une nation peut gagner une guerre si ses dirigeants sont légitimes, si le sort des soldats n’est pas mauvais, si la guerre est au service d’une politique, si l’affrontement dans le combat tient compte des forces en présence et de la nature du terrain… Conditions qui occupent tous les niveaux d’échelle entre le combattant et la politique de ses dirigeants. Conditions ne permettant pas d’envisager des interprétations déterministes fondées sur un seul « principe général ». La guerre, comme l’histoire, apparaît ainsi comme le fruit de déterminations partielles et de hasards nombreux au cœur desquels le sens des interactions reste ce qu’un analyste doit décoder.

Les modèles militaires, s’alimentent de ces réflexions historiques et en tirent des déontiques, des grammaires d’action. Si, travaillant sur Clausewitz, on relit, comme nous y invite Aron25, les chapitres de Guerre et Paix qui mettent en scène Koutouzov, on est convaincu : c’est en se méfiant de toute déduction hâtive que l’on peut construire la grammaire d’action, mais il faut quand même déduire et synthétiser sur les quelques régularités incontestables enseignées par l’expérience accumulée.

Si le sociologue, comme le policier arrivant sur la scène du crime, cherchait à réduire les pistes les moins probables au regard de ses découvertes, il lui faudrait consulter une banque de données de problèmes résolus. Ces informations devraient être partiellement décontextualisées. L’expérience accumulée permettrait de repérer les problèmes récurrents ainsi que les bonnes pratiques qui ont aidé à les résoudre. Et ceci devrait être enseigné pour la formation des sociologues, comme les retours d’expérience et la résolution de problèmes permet de former des officiers et des managers.

État militaire et sens politiq... | P. Garrigou-Grandchamp