N°20 | L’armée dans l’espace public

Pierre Servent
Le Complexe de l’autruche
Pour en finir avec les défaites françaises
Paris, Perrin, 2011
Pierre Servent, Le Complexe de l’autruche, Perrin

Une couverture sobre, un titre en rouge et noir (les couleurs de l’anarchie, ou bien en noir et rouge, les couleurs de l’arme du génie ?) sur fond blanc, voici un sous-titre explicite qui pose la problématique : les armées françaises ne seraient-elles vouées à la défaite que par leur seule et unique faute ? D’emblée, Pierre Servent semble répondre oui. Mais rassurons le lecteur, sa conclusion, après une enquête démonstrative, riche en exemples, sera plus nuancée en s’ouvrant sur des descriptions porteuses d’espoir.

Même si l’auteur ne cherche à faire œuvre ni d’historien ni de sociologue, il utilise la méthode de l’enquête journalistique, s’appuie sur des entretiens et sur des travaux universitaires récents, dont on peut regretter qu’ils ne soient pas tous rassemblés dans une belle bibliographie finale.

Mais cela n’est-il pas normal après tout ? À bien y réfléchir, nous avons bel et bien entre les mains une réflexion sur l’histoire de l’armée française depuis presque deux siècles, et plus généralement sur l’histoire de France, sur les modes de décision, le mode de sélection des élites qui dirigent le pays, sur la capacité de rebond de la nation. Alors acceptons-le comme un livre d’opinion qui cherche à susciter l’introspection des militaires, mais aussi à vulgariser les problèmes qui se posent aux armées et donc à ceux qui nous gouvernent.

Visiblement, Pierre Servent, ancien journaliste, ancien conseiller communication d’un ministre de la Défense, colonel de réserve très actif et expert défense auprès de France 2, chargé de cours à l’École de guerre, ne peut accepter l’idée du déclin de son pays et encore moins celui de son armée. Il lui faut tirer les enseignements du passé, en tirer une force et non pas un fatalisme défaitiste. De façon assez originale, il n’hésite pas à étudier l’ensemble de la classe dirigeante, qu’elle soit civile ou militaire. Les questions posées en fin d’introduction sont claires : « La France perd-elle encore en ce début de xxie siècle des combats économiques, politiques, pour les mêmes raisons qui lui ont fait perdre tant de guerres dans les siècles précédents ? » « De quoi ces défaites militaires ou civiles sont-elles le nom ? »

En décortiquant l’histoire, du Second Empire, qui s’achève par la capitulation de Sedan et la reddition de Metz, jusqu’à nos jours, en passant par la Première Guerre mondiale et la Seconde, Pierre Servent souligne une idée forte : « Du confort intellectuel, du refus du changement et de l’arrogance mentale naissent les déroutes. » Il convient d’insister sur l’analyse des conséquences de la guerre de 1870. Celle-ci ne constitue pas un chapitre à part entière mais introduit de façon opportune chacun des premiers chapitres. La démarche est trop rare pour qu’on ne la souligne pas, même si les spécialistes de la période n’y trouveront que vulgarisation. Ce livre est un véritable décorticage critique de l’histoire militaire de la France. Avec ce travail, certains grands noms sont franchement égratignés, l’affliction étreint le lecteur devant la description de certaines attitudes, que l’on pourrait qualifier de nobles en d’autres circonstances, mais dont les conséquences en temps de guerre sont dramatiques.

Connaissant bien l’institution militaire et les cercles du pouvoir de l’intérieur, l’auteur ne se contente pas de l’histoire et observe aussi les temps présents dans les domaines certes militaires mais aussi économiques. Il évoque le Sadowa industriel que représente la perte du contrat de construction des réacteurs nucléaires d’Abu Dhabi face à la Corée du Sud après le refus marocain d’acheter des Rafales ; deux ans auparavant. Il aborde le sujet de la formation et de la sélection des élites, de l’organisation de la duplication de « clones » par la République. Il parle aussi de l’excellente formation initiale et continue des militaires. En réalité, de façon subtile, Pierre Servent souligne combien les armées sont, par leurs travers passés et présents, le reflet de la nation tout entière.

Néanmoins, il conclut avec une note optimiste puisqu’il intitule son dernier chapitre : « La France se soigne. » Pierre Servent donne ici des exemples de belles réussites dans le monde de l’entreprise, l’importance accrue dans les grandes écoles commerciales ou d’ingénieurs de ce que l’École polytechnique, profitant de son encadrement et de son héritage militaire, appelle « la formation humaine ». Non sans élégance, il place en exergue de sa conclusion une phrase enthousiaste de Fabrice Lucchini : « La France est un pays génial. »

Acceptons-en l’augure et conseillons au lecteur d’Inflexions de découvrir cet ouvrage qui se lit très agréablement sans qu’on puisse dire pour autant qu’il tombe dans la facilité. Il est vrai que le sujet mérite d’être traité, comme il l’est dans ce livre, sérieusement.


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