L’album des 20 ans

Jacques Tournier

Un engrenage valant parcours initiatique…

D’abord, il y a, donnée par un ami qui connaît mes appétences pour la chose militaire, une revue à la couverture blanche dont l’élégance formelle augure d’une haute tenue intellectuelle. Et puis, quelque temps plus tard, autour d’un déjeuner, une proposition formulée entre le fromage et la poire, sur un ton presque anodin : « Est-ce que cela te dirait d’écrire un article dans le prochain numéro dont le thème pourrait t’intéresser ? » Et comme la tentation est irrésistible, me voilà embarqué dans cet exercice éprouvant qu’est la rédaction d’un papier susceptible de répondre aux exigences d’un comité de rédaction dont la composition m’impressionne et que j’imagine aussi sévère que les pires jurys d’examen auxquels j’ai pu être jadis confronté. Le verdict ayant été fort heureusement favorable, et après avoir bataillé avec la rédactrice en chef pour réduire a minima les corrections qu’elle préconise, cette première étape s’achève par la réception de quelques exemplaires de ladite revue, sur la couverture de laquelle je ne suis pas peu satisfait de voir mon nom figurer.

La peine de ce labeur inaugural n’étant pas moins assortie d’une certaine forme de plaisir, l’envie de réitérer l’opération me pousse à solliciter l’agent recruteur qui m’honore de son amitié de bien vouloir me faire connaître les thèmes retenus pour les numéros ultérieurs, à mesure que le comité de rédaction les arrête. Une nouvelle fois, je m’avance à proposer un article, puis une autre fois, non sans revivre, durant la semaine précédant la date butoir du ramassage des copies, le même stress d’un accouchement pour moi toujours laborieux, lequel s’achève à point d’heure de la nuit par le ponçage, phrase après phrase, d’un texte qui sort toujours trop nourri pour tenir dans le format imposé et ne pas risquer de me valoir les foudres d’une rédactrice en chef dont la voix au téléphone me laisse pressentir qu’elle est redoutable.

Et dans le même temps que je mets la main dans cet engrenage, j’entends parler du comité de rédaction sur un mode qui me porte à me le représenter comme un aréopage mystérieux de personnalités choisies, menant durant des après-midi entiers des sortes de séminaires dont le niveau ne semble pas moindre que celui du Collège de France. Aussi, lorsque vient le moment secrètement attendu d’être sollicité pour intégrer ce cénacle de la pensée, je ne puis m’empêcher de ressentir une irrépressible fierté, de celles que procure, au terme d’un douloureux chemin initiatique, le fait d’être admis comme un pair au sein d’une compagnie d’élite.

Pour autant, comme dans le monde des grands on ferme la porte avant de poursuivre une conversation que les enfants n’ont pas vocation à entendre, je ne vous en dirai pas plus… Sinon qu’à l’instar de l’esprit qui anime la communauté militaire, participer à la fabrique d’Inflexions, c’est vivre une belle aventure d’amitiés dans une ambiance où les assauts d’intelligence et de sérieux ne manquent jamais de le disputer à de joyeuses parties de rigolade. Longue vie à la revue !

Une invitation à la réflexion... | J. Staron
N. Butel | De fil en aiguille