N°23 | En revenir ?

Damien Baldin et Emmanuel Saint-Fuscien
Charleroi
21‑23 août 1914
Paris, Tallandier, 2012
Damien Baldin et Emmanuel Saint-Fuscien, Charleroi, Tallandier

Dans un an débuteront les premières célébrations marquant le centenaire de la Grande Guerre, qui reste toujours fortement inscrite dans notre mémoire collective et l’imaginaire national. C’est dans cette perspective que Damien Baldin et Emmanuel Saint-Fuscien, tous deux historiens, ont rédigé un ouvrage sur la bataille de Charleroi. Celle-ci vit Français et Allemands s’affronter en Belgique du 21 au 23 août 1914 et l’issue fut favorable à l’armée du Kaiser. L’ouvrage est court, facile à lire, mêlant l’analyse et le factuel. Il croise le contenu des journaux de marche et des opérations des unités engagées dans ce combat avec le récit des combattants de tous grades. En s’intéressant de près aux actions des soldats et des chefs mais aussi à leurs perceptions, les auteurs s’inscrivent dans le cadre de la démarche historique portant sur l’expérience combattante.

La bataille de Charleroi est bien moins connue que celles de la Marne, de la Somme, du chemin des Dames et, surtout, de Verdun. Mais les deux auteurs montrent qu’elle mérite un regard attentif pour plusieurs raisons. Tout d’abord, Charleroi est une bataille de rencontre de grande ampleur qui se déroule pendant l’une des phases de la guerre de mouvement de la Première Guerre mondiale. À ce titre, le repli de la 5e armée française du général Lanzerac marque la fin de la bataille des frontières, l’échec du plan XVII du général Joffre et l’impossibilité pour l’armée française d’arrêter en Belgique le mouvement d’encerclement stratégique confié à l’aile droite allemande par le plan Schlieffen. D’autre part, Charleroi est également un affrontement particulièrement sanglant qui remet en cause les schémas tactiques et mentaux des combattants et des chefs. C’est sur ce dernier point que les auteurs insistent avec force. Ils montrent en effet que cette bataille marque une césure nette entre les conflits du xixe siècle et ceux du xxe siècle. La cause en réside dans la puissance de feu accrue des armes permise par les progrès technologiques et une prise en compte insuffisante de cette évolution.

Les conséquences de l’augmentation de la puissance d’anéantissement sont en effet mal perçues par les belligérants antérieurement au déclenchement du conflit. La force et la violence de la puissance de feu mise en œuvre à Charleroi, les effets destructeurs massifs sur les formations, les corps et les esprits constituent des surprises tactiques et humaines qui remettent en cause les certitudes et les modèles tactiques. À l’instar des batailles tout aussi sanglantes livrées en Lorraine − ce n’est pas l’objet de cet ouvrage −, celle de Charleroi montre que les combattants et les chefs militaires commencent la Première Guerre mondiale avec un arsenal mental, et donc avec des méthodes de combat, hérité principalement du siècle précédent et que les enseignements des affrontements les plus récents (guerre des Boers, guerre russo-japonaise) n’avaient pas ou très peu été exploités ou mis en œuvre.

En résumé, un ouvrage agréable et rapide à lire pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire militaire, et plus particulièrement aux liens entre les évolutions techniques, leur prise en compte au plan tactique et le comportement humain au combat.

Éric Lalangue

Commandant Kieffer | Stéphane Simonnet
Nicolas Beaupré | Les Grandes Guerres