N°29 | Résister

David Livingstone Smith
The Most Dangerous Animal
Human Nature and the Origins of War
Londres, St Martin’s Griffin, 2007
David Livingstone Smith, The Most Dangerous Animal, St Martin’s Griffin

David Livingstone Smith, qui signe The Most Dangerous Animal: Human Nature and the Origins of War, appartient lui à un courant de la psychologie peu connu en France : la psychologie évolutionniste. L’hypothèse centrale de cette théorie est que nos comportements peuvent trouver leur fondement dans l’évolution humaine. La perpétuation d’un comportement serait directement liée à l’avantage évolutif qu’il nous procure soit pour survivre soit pour nous reproduire. Ces théories se rapprochent sans s’en réclamer de l’éthologie humaine, mieux connue en France et incarnée par Boris Cyrulnik. Il faut aussi ajouter que la psychologie évolutionniste est critiquée aux États-Unis, où on lui reproche souvent son manque de rigueur scientifique : la psychologie orthodoxe, c’est-à-dire marquée par une approche psychodynamique, lui oppose le rôle des affects ou de l’inconscient. Néanmoins, tout n’est pas à rejeter tant que les auteurs demeurent au plus près des faits.

Livingstone Smith a choisi d’étudier dans cet ouvrage la guerre en général et le comportement violent en particulier. Son postulat est simple : les sociétés humaines sont violentes entre elles. L’être humain appartient à ces quelques espèces qui pratiquent, de l’échelle individuelle aux nations, la violence intraspécifique. Or, du point de vue de l’évolution, c’est un gaspillage de ressources, d’autant plus que l’espèce humaine est particulièrement sociale. Pourquoi dans ce cas les comportements violents à grande échelle perdurent-ils ? L’analyse se fait sur deux plans, individuel et social. Au plan individuel, les biologistes évolutionnistes ont montré l’importance dans de nombreuses espèces des comportements agressifs à violents entre mâles rivaux. La perpétuation des comportements agressifs humains en serait un héritage. Mais cela ne concernerait alors que les mâles et ne permet pas d’expliquer la violence institutionnalisée comme la guerre. La conservation de l’agressivité permettrait d’obtenir des gains d’un point de vue de la préservation du groupe (sélection naturelle) et de prestige (sélection sexuelle).

Pour asseoir sa démonstration, Livingstone Smith revient sur l’observation de chimpanzés faite en 1974. Un groupe de primates s’organisa pour attaquer et battre à mort un de leurs congénères. Jusqu’alors on pensait les chimpanzés pacifiques. Ils avaient la réputation d’être plutôt placides, réservant la violence à la chasse de petits animaux. Cette opinion s’était trouvée confortée par la découverte de cousins du chimpanzé, les fameux bonobos, qui régulent les tensions dans le groupe par les relations sexuelles. Depuis, beaucoup d’observations ont été rassemblées et montrent que les chimpanzés sont des singes violents entre eux. Ces observations sont importantes parce que nous partageons avec les chimpanzés environ 98 % de notre capital génétique. Ils sont les primates les plus proches de nous, ce qui ne veut pas dire pour autant que nos ancêtres leur ressemblaient… Mais cette violence n’est pas gratuite. Elle s’inscrit dans le cadre de comportements sociaux élaborés. C’est par exemple un vieux mâle dominant se sentant menacé par un mâle plus jeune qui provoque l’agression en s’alliant avec des mâles inférieurs. L’agression du rival apporte des avantages dans le cadre plus large de la sélection sexuelle. Le dominant assure sa position et les autres peuvent eux aussi espérer se reproduire. On touche là à la limite de l’ouvrage. Il est difficile d’extrapoler du chimpanzé à l’être humain. Il faut prendre les élaborations de l’auteur comme des conjectures, des heuristiques utiles à la réflexion mais pas plus.

Comment expliquer alors le phénomène complexe de la guerre ? Si Livingstone Smith n’écarte pas le contexte social ou économique, la perpétuation de la guerre est aussi une affaire de prestige. Le guerrier victorieux aurait plus de prestige et donc plus de chances de se reproduire. C’est pour cela que les guerres sont faites par des hommes jeunes. Cependant, il est difficile de réduire des processus aussi complexes à des mécanismes aussi simples. Cela ne veut pas dire que la complexité exclut de pouvoir penser la guerre à partir de l’évolution de l’espèce. Mais Livingstone Smith ne tient pas compte d’autres phénomènes dynamiques comme le rôle des femmes ou encore du commerce, ou bien d’autres formes de violence non guerrière cette fois-ci. Le dernier commentaire que nous pourrions faire de l’ouvrage concerne le rôle du stress et de ses avatars pathologiques : le psycho trauma. Pour l’auteur, la perpétuation au cours du temps de ces pathologies montre qu’elles apportent un avantage. Elles permettraient de limiter la violence dans le groupe en entraînant une sensibilisation à la violence et son évitement. Cette idée rejoint des observations cliniques de patients souffrant d’un état de stress postraumatique et pour qui la violence est insupportable.

Lus de façon superficielle, ces trois ouvrages pourraient dresser un panorama désespérant de l’espèce humaine. Nous serions condamnés à nous faire sans cesse la guerre car notre nature nous porterait vers l’agressivité et la violence. Mais ce serait faire une erreur conceptuelle qui réduirait le débat à ses aspects moraux et dont la conclusion serait finalement nihiliste. Les trois auteurs rappellent, même si cela est moins clair chez Livingstone Smith, qu’il n’y a pas de nature humaine. Nous pouvons juste affirmer que nous appartenons à une espèce à la fois sociale et violente qui pratique, à large échelle, l’agression intraspécifique. Toutefois, il n’y a pas de pulsions ou d’aires cérébrales qui font de nous des êtres pacifiques ou dangereux. Il n’y a pas de thanatos, de pulsion de mort chère à Sigmund Freud. Il faut donc se garder de multiplier des entités et des concepts qui sont au mieux métaphysiques. Mettre une majuscule à un mot ne le fait pas exister indépendamment. La Violence n’existe pas. En revanche, les comportements violents, eux, existent et doivent se comprendre dans un contexte qui implique avant tout des individus dont on ne peut rien dire a priori sur leur psychologie.

Que faut-il retenir de ces trois ouvrages ? Livingstone Smith met en lumière les mécanismes propres à l’évolution qui maintiennent les comportements violents à l’échelle individuelle et sociale. Il démontre d’ailleurs l’unité des aspects individuels et collectifs. Ainsi que les ressorts qui limitent l’expansion de la violence. Diamond et Keeley, eux, ont des conclusions convergentes : les sociétés préétatiques sont plus violentes que les sociétés complexes. La paix, et surtout son maintien, sont des conséquences de la complexification progressive des sociétés. Les conclusions de ces ouvrages peuvent aussi nous amener à reconsidérer des façons de faire la guerre que nous qualifions d’asymétriques par commodité et qui renvoient peut-être à des ressorts plus anciens.


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Nicolas Cadet | Honneur et Violence de guerre ...