N°29 | Résister

Nicolas Cadet
Honneur et Violence de guerre au temps de Napoléon
La campagne de Calabre
Nicolas Cadet, Honneur et Violence de guerre au temps de Napoléon, Éditions Vendémiaire

Passionnante étude sur un épisode très rarement traité de l’épopée impériale : la difficile pacification des provinces méridionales du royaume de Naples. À partir de sa thèse, Nicolas Cadet propose ici un livre original et pratiquement complet semble-t-il sur les opérations, de nature très différente, qui se succèdent au sud de la botte italienne à partir de 1806. Il souligne dès les premières pages de l’introduction cet apparent paradoxe : les adversaires ne cessent de faire référence à l’honneur alors que les violences atteignent un seuil particulièrement élevé, et d’en conclure que « guerre et culture sont bien indissociables ». Suivant un plan chrono-thématique, l’auteur pose le cadre de l’opération, qui commence au début de l’année 1806 : l’importance de l’Italie dans la stratégie impériale, la présence navale et militaire anglaise, et le rôle du royaume de Naples dans la conception britannique de la guerre, les caractéristiques de l’armée française d’invasion (constitution, dénuement, encadrement)... Si le succès est rapidement au rendez-vous pour ce qui concerne la prise de la capitale et des grandes villes, il n’en est pas de même au fond des provinces où le relief et le manque de voies de communication se conjuguent pour rendre très difficiles le ravitaillement des troupes et les relations de commandement. La présence de l’ancienne famille royale des Bourbons en Sicile, sous protection des Anglais qui en pratique dominent la mer, pose un sérieux problème de sécurité au nouveau roi Joseph, qui ne dispose pas des moyens d’entretenir son armée et auquel Napoléon retire des régiments. La situation, déjà difficile, se détériore donc rapidement à partir de l’été 1806 : tandis que le malaise et l’hostilité se répandent dans le pays, les navires britanniques multiplient les raids et les attaques sur les côtes. À partir des nombreux témoignages laissés par les acteurs et les témoins des événements, souvent très durs pour la population calabraise considérée comme « mi-animale », Nicolas Cadet souligne le choc culturel que constitue pour les cadres et soldats français ce séjour prolongé en occupation au sud de l’Italie et les difficultés qu’ils rencontrent à essayer de mettre sur pied une administration modernisée, « à la française ».

La petite bataille de Maida, entre un corps expéditionnaire anglais débarqué et les troupes françaises du général Reynier (victoire britannique, taux de pertes autour de 30 % de l’effectif engagé pour les Français), marque une rupture, et son récit donne à Nicolas Cadet l’opportunité de présenter dans le détail les deux belligérants, leur état d’esprit, leurs principes de manœuvre, leurs objectifs et leurs attentes. La défaite française accélère le développement de l’insurrection calabraise et la situation ne cesse de se détériorer pour les maigres troupes napoléoniennes isolées, repliées dans quelques places plus ou moins fortes, entre actions côtières des Anglais, harcèlements de bandes rebelles puissantes et embuscades. Dans un contexte social très marqué par un système féodal sclérosé, l’insurrection est violente et sa répression tout autant. Le caractère clanique de la société locale, le rôle de l’Église catholique et la topographie de la région expliquent la dureté des opérations. C’est à Massena qu’il revient, après la prise de Gaëte, de reconquérir les régions passées à l’insurrection. Les succès sont rapides grâce à l’arrivée de nouvelles troupes, mais le calme ne revient qu’en apparence et seulement dans les communes tenues. Avec l’aide matérielle et tactique des Britanniques, « la population calabraise semble mettre en œuvre une véritable politique de la terre brûlée » et s’attaque systématiquement aux voies de communication. À la fois guerre irrégulière, maintien de l’ordre, guerre de siège, la campagne devient plus difficile avec la mauvaise saison et l’affaiblissement progressif des unités (décès, maladies), au point que les soldats et officiers ne souhaitent que quitter la région. La constitution de formations « nationales » (garde civile, légions provinciales) ne permet pas de répondre aux besoins en effectifs, d’autant que leur fidélité semble parfois aléatoire. Ce n’est qu’en 1807, lorsque les Britanniques diminuent leur soutien direct à l’insurrection, que la victoire française peut être acquise, après la défaite des Calabrais à Mileto, même si « la pacification est cependant incomplète et l’insécurité endémique ».

Nicolas Cadet dresse alors le bilan de cette campagne en termes d’organisation et d’emploi des troupes, et de (non) respect des règles du droit de la guerre, de cruauté (on parle même de « cannibalisme calabrais »), l’effet des pires rumeurs sur la tenue et le comportement des unités, les crimes commis en représailles par les Français (massacre de Lauria), la mise en place d’un système répressif... Après les combats et la reprise en main vient le temps de la pacification, à son tour bien difficile et souvent superficielle. Revenant enfin sur l’oubli quasi total dans lequel cette campagne militaire est tombée, il tente d’en présenter les causes. Un ouvrage qui mérite d’être lu par tous ceux qui s’intéressent aux guerres napoléoniennes, mais aussi par ceux qui se passionnent pour les guerres irrégulières et les insurrections populaires. Un vrai et grand livre d’histoire.

PTE

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