N°42 | Guerre et cinéma

Olivier Wieviorka

La résistance : une représentation impossible ?

Évoquer la place de la Résistance dans le cinéma français du second xxe siècle relève a priori de la mission impossible. Car le terme recouvre une multiplicité d’œuvres dont le foisonnement même semble interdire toute généralisation. Une vision large incite à intégrer l’ensemble des films qui, de La Grande Vadrouille (1966) à Lacombe Lucien (1974), traitent peu ou prou de la Résistance, documentaires inclus. Une approche plus restrictive invite à ne retenir dans le corpus que les opus évoquant la Résistance intérieure, en excluant par conséquent les films dédiés à la France libre ou à l’Occupation.

Mais la difficulté à trancher ce nœud gordien découle aussi de l’impossibilité à proposer une définition claire et consensuelle de la Résistance. La question, on le sait, oppose aujourd’hui les historiens, comme elle a hier opposé les acteurs. Les uns défendent une conception large de l’armée des ombres, qui, outre les individus engagés pleinement dans les organisations clandestines, intégrerait la masse des Français ayant peu ou prou aidé les happy few à mener leur combat. Les autres considèrent en revanche que l’engagement résistant se borne aux hommes et aux femmes pleinement engagés, et sur la durée, une approche qui exclut du champ les soutiens occasionnels et limités1.

Encore convient-il, difficulté supplémentaire, de mesurer ce que l’on attend d’une telle analyse. Questionner la motivation des « émetteurs » (réalisateurs, maisons de production…) ne pose guère de problème. L’étude, classique, vise ici à comprendre les motivations, assurément diverses, qui président à la naissance d’un film, en bref à saisir ce qui fonde les représentations de la Résistance sur le grand écran. Déterminer la portée sur les « récepteurs » ou, si l’on préfère, le public, constitue en revanche une entreprise particulièrement ardue. D’une part, en effet, les opus consacrés à l’armée des ombres s’intègrent dans un système. Un système de films, tout d’abord, puisque le spectateur, pour forger son regard, loin de se borner à visionner des œuvres consacrées à la seule Résistance, a également regardé des productions portant sur la Shoah, la collaboration, la vie quotidienne durant les années sombres, françaises et étrangères de surcroît. Mais les Françaises et les Français ont également fréquenté les musées, assisté à des commémorations, lu des romans ou des essais historiques…

Enfin, et pour faire bon poids, il est impossible de définir dans une œuvre ce qui découle de la volonté propre de son auteur de ce qui résulte, pour aller vite, de l’air du temps. Ce débat classique – une œuvre est-elle le seul produit d’un geste artistique ou la mimesis d’une époque  ne peut être tranché. Ce qui signifie, in fine, que l’analyse des films dédiés à l’armée des ombres apprend sans doute beaucoup sur les motivations de leurs commanditaires, mais bien peu sur leur influence. Il paraît chimérique de déterminer le rôle qu’a joué le septième art sur les mutations de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale en général et de la Résistance en particulier.

On remarquera, enfin, que la Résistance a inspiré peu de chefs-d’œuvre. Certes, affirmer cette qualité relève du jugement de valeur et comporte une large part de subjectivité. Pour formuler différemment ce constat, disons que l’observateur candide s’étonnera d’un hiatus. Alors que la Résistance a bercé les imaginaires, et forme une part importante de la mémoire et de l’identité nationales, elle a finalement relativement peu inspiré les réalisateurs. Les films dédiés à la geste clandestine sont au total peu nombreux et rares, très rares ceux qui sont passés à la postérité, en bénéficiant par exemple de multiples rediffusions à la télévision. Si La Traversée de Paris (1956) a été diffusée vingt-sept fois entre 1957 et 2017, suivie de près par Le Mur de l’Atlantique (1970) et La Vache et le Prisonnier (1959) avec vingt diffusions chacun2, aucun film de résistance n’est présent dans le top 20. De même, les grands succès de l’après-guerre ont bien vieilli, à l’instar du Père tranquille (1946). Cette obsolescence ne semble caractériser ni les œuvres sur la déportation comme Nuit et Brouillard (1956) ou Shoah (1985) ni les grands films de guerre, à commencer par Il faut sauver le Soldat Ryan (1998). Bref, la Résistance, épisode majeur de l’histoire nationale, n’a connu qu’une postérité limitée sur les écrans, à de rares exceptions près : La Bataille du rail (1946), L’Armée des ombres (1969) et, mais sur un registre très différent, Papy fait de la Résistance (1983). Une carence pour le moins étonnante sur laquelle il conviendra, de toute évidence, de s’interroger. Tout en soulignant, sans viser à l’exhaustivité3, que la production des films de Résistance a obéi à une chronologie.

  • Le temps des certitudes

La période qui court de la Libération à la fin des années 1950 développe une vision héroïsante et relativement simplificatrice de la Résistance. Certes, ces quelque vingt années sont loin d’être homogènes. Si l’immédiat après-guerre voit une prolifération de longs-métrages (entre décembre 1944 et août 1945 sont tournées neuf fictions relevant de ce genre4), les années suivantes sont marquées par une éclipse relative (une dizaine de films entre 1949 et 19525), qui devient presque totale entre 1953 et 1957 (deux longs-métrages seulement).

Malgré ces rythmes inégaux, la production vise alors à exalter l’armée des ombres, une mission d’autant plus évidente que la production est dominée par des acteurs publics ou associatifs. De fait, en raison de l’épuration et des pénuries, en pellicule notamment, le secteur commercial se voit, dans un premier temps tout du moins, quasi exclu d’un marché que dominent, notamment, le Service cinématographique des armées (sca) et le Comité de libération du cinéma français (clcf). Sans surprise, ces deux institutions défendent une certaine idée de la Résistance. Privilégiant un point de vue gaulliste, la première valorise nettement les exploits de la France libre6 tandis que la seconde accorde le primat à la Résistance intérieure. Quelques traits communs, toutefois, rapprochent ces deux mouvances : toutes deux ignorent le régime de Vichy et présentent l’image d’une France sinon uniment résistante, du moins hostile à l’Allemagne et à la Collaboration. Souvent réduits à « une succession de coups d’éclat où l’invraisemblance le dispute au spectaculaire », leurs films cantonnent la Résistance « à son versant armé »7, ce qui signifie, a contrario, que la Résistance dite civile est passée par pertes et profits. Les formations clandestines, enfin, sont composées de Français ; la part des femmes est pour le moins réduite et les étrangers sont inexistants.

Ces traits marquent particulièrement La Bataille du rail de René Clément. Fruit d’un compromis entre les commanditaires communistes et la direction de la sncf, le film présente l’image « idyllique d’une grande famille du rail, solidaire de la base au sommet, à laquelle les cheminots de tous âges et de tous rangs sont rattachés par d’indéfectibles liens. […] Il redouble le mythe de la sncf résistante par celui d’une nation virginale unie contre l’occupant, solidaire dans la bataille de la libération comme dans celle de la reconstruction »8. De fait, on voit peu de cheminots conduire des trains de déportés ou s’emparer des colis destinés aux prisonniers de guerre ! À l’unisson, Le Père tranquille de Noël-Noël (1946), grand succès commercial de l’après-guerre, offre un visage rassurant et de la société française, unie contre l’occupant, et de la Résistance, apolitique et responsable puisqu’elle refuse de risquer inutilement des vies.

Le succès de ces deux films comme leur capacité, toute relative, à durer s’expliquent, sous bénéfice d’inventaire, par une pluralité de motifs. Ils offrent, tout d’abord, une image rassurante à une population traumatisée par une rude occupation et qui juge, à tort ou à raison, qu’elle n’a pas commis d’actes répréhensibles, à défaut de s’être pleinement engagée dans la nuit clandestine. Ils proposent, par ailleurs, le dévoilement d’une action résistante largement méconnue. Les Français de la Libération ignorent en effet tout, ou presque, de l’armée des ombres. À cette aune, les fictions de cette première époque instaurent un processus de connaissance d’autant plus explicite que La Bataille du rail emprunte parfois les formes du documentaire. Tournée en noir et blanc, utilisant des décors naturels, elle va jusqu’à sacrifier un train entier pour la séquence du déraillement9. La force de ces images est telle qu’elles sont parfois, aujourd’hui encore, employées comme sources d’archives dans des films de fiction10. La Bataille du rail est d’ailleurs devenue, au fil du temps, un film matriciel que revendiquent, implicitement ou explicitement, ses successeurs. De Lucie Aubrac (1997) aux Femmes de l’ombre (2008), bien des longs-métrages débutent par une scène de sabotage ferroviaire, même lorsque cette ouverture ne correspond en rien à la réalité historique – le couple Aubrac s’est signalé par son courage pendant la Seconde Guerre mondiale, mais n’a pas été associé à ce type d’opérations.

À cette première période, fondée sur la défense et l’illustration de la Résistance, succède cependant une période marquée par le doute.

  • Le temps des doutes

La période qui s’ouvre en 1958 et s’achève en 1973 rompt avec cet irénisme. Certes, le retour au pouvoir du général de Gaulle ravive la flamme. En 1966, Paris brûle-t-il ? offre ainsi une image consensuelle de la libération de la Ville lumière, qui concilie la vision communiste, prompte à encenser le peuple insurgé, et la vision gaulliste, encline à célébrer la geste de la 2e db et de son chef, le général Leclerc. À l’unisson, L’Armée des ombres (1969) de Jean-Pierre Melville semble s’inscrire dans cette veine et relever, pour reprendre les mots sévères de Jean-Louis Comolli, de la catégorie de « l’art gaulliste »11. Outre que le colonel Passy joue son propre rôle, une scène accorde, il est vrai, la part belle à l’homme du 18 juin. De même, les acteurs taisent leur appartenance politique12, contribuant, de façon tout à fait classique, à dépolitiser l’armée des ombres. Dans le même temps toutefois, Melville prend quelques libertés tant avec la vulgate qu’envers ses glorieux devanciers. Il s’abstient de montrer des actions spectaculaires, à la différence, par exemple, de La Bataille du rail, et s’interroge sur les motivations des résistants, décrits non comme des héros, mais comme des êtres de chair et de sang, traversés par le doute, les émotions, la solitude. Alors que le cinéma de l’immédiat après-guerre verse volontiers dans une exaltation patriotique, Melville, lui, montre la profonde humanité de l’engagement et ses conséquences tragiques – tous ses personnages marchent vers la mort.

La mémoire de la Seconde Guerre mondiale en général et de la Résistance en particulier avait, dans une large mesure, transfiguré les années sombres en se fondant sur deux piliers : la Résistance, majoritaire dans le pays, avait échappé aux divisions, rassemblant sous la haute figure du général de Gaulle « ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas » ; État fantoche, Vichy n’avait jamais bénéficié d’un soutien populaire. La contestation du pouvoir gaulliste, avant comme après Mai-68, et l’ébranlement de la doxa communiste découlant de la répression du printemps de Prague (1968) et de la publication de L’Archipel du goulag (1973) d’Alexandre Soljenitsyne ébranlent les colonnes du temple. Le septième art participe à cette entreprise. En 1969, Le Chagrin et la Pitié offre ainsi une vision décapante d’une ville sous l’Occupation. En insistant sur l’antisémitisme qui existait dans la société française – une réalité plutôt occultée –, en présentant un collaborationniste rompant avec l’image traditionnelle de l’être vénal ou corrompu, en confrontant des entretiens aux images d’actualité – procédé qui permet de dénoncer l’apparente contradiction entre la vérité du passé et celle du souvenir –, l’opus de Marcel Ophüls bouscule les certitudes, au prix d’une évidente partialité. De fait, les communistes et les gaullistes sont quasi absents du générique, tout comme l’université de Strasbourg à Clermont-Ferrand, un vivier de résistants pourtant13.

De même, Lacombe Lucien de Louis Malle propose, à sa manière, une vision moins convenue de la Résistance et de l’Occupation. Il affirme tout d’abord la contingence de l’engagement – son instituteur refusant qu’il entre dans son organisation, Lucien Lacombe s’enrôle dans la Milice. Et il montre que des fils du peuple ont pu basculer du mauvais côté, à une époque où, selon les mots mêmes de Louis Malle, « il était inconcevable qu’un membre de la classe ouvrière ait collaboré »14.

À leur manière, ces deux films confirmaient que les temps avaient changé. Sans écorner le prestige de la Résistance, ils rejetaient la vision imposée des décennies durant par les grands acteurs et l’appareil d’État. « Ce qui m’agaçait, ce n’était pas la Résistance mais le résistancialisme, qui ne représentait pas la réalité de l’Histoire et dont on a encombré la littérature, le cinéma, les conversations de bistrot et les manuels d’histoire », confirme André Harris15, le producteur du Chagrin et la Pitié. Cette contestation fut d’autant mieux reçue que le vent tournait. D’une part, certains acteurs, écartés de la scène par les appareils ou demeurés jusqu’à lors silencieux, voulaient clamer leur vérité. Les chefs des mouvements (Henri Frenay, Claude Bourdet…) qui, en raison du Yalta de la mémoire opéré par les gaullistes et les communistes, peinaient à faire entendre leur voix, profitèrent du déclin de ces deux forces politiques pour se manifester, en publiant, par exemple, leurs mémoires. Idem pour les exclus du Parti communiste français que l’appareil avait réussi à étouffer tel Charles Tillon16. D’autre part, la génération née après la guerre n’entendait plus se contenter du légendaire lénifiant diffusé par les films classiques. Ces données expliquent, sans doute, le succès rencontré par Le Chagrin et la Pitié comme par Lacombe Lucien : ils coïncidaient avec les attentes de l’époque et ouvraient la voie à une vision plus complexe des années sombres.

  • Le temps de la complexité

À partir de 1973 s’ouvre en effet le temps de la complexité. Jusqu’à l’orée des années 1970, les films privilégiaient le cœur d’une Résistance apolitique composée de Français bien insérés dans la société, à l’instar du Père tranquille ou des héros de L’Armée des ombres. Désormais, ils accordent une place grandissante aux marges. Les femmes tiennent ainsi les premiers rôles dans Blanche et Marie (1985) de Jacques Renard, Lucie Aubrac de Claude Berri ou Les Femmes de l’ombre de Jean-Paul Salomé. De même, les étrangers, hier évanescents, sont désormais bien présents, qu’il s’agisse de retracer l’histoire du groupe Manouchian (L’Affiche rouge, Franck Cassenti, 1976) ou de L’Orchestre rouge (Jacques Rouffio, 1989). Les œuvres, plutôt que de présenter une peinture manichéenne des individus, scrutent la complexité et la diversité de l’engagement résistant. Blanche et Marie met par exemple en scène un résistant harcelant Marie, une vision pour le moins iconoclaste.

Sur un tout autre plan, les longs-métrages quittent les rives de l’apolitisme pour affronter des enjeux qui avaient, bien souvent, été éludés. Le rôle de Vichy et sa collaboration policière sont ainsi abordés dans Blanche et Marie ; jadis euphémisée, la persécution antisémite occupe une place centrale dans Au revoir les enfants (1987) de Louis Malle ; la stratégie du Parti communiste français est violemment contestée dans Des Terroristes à la retraite (1985) de Mosco Boucault ; l’engagement résistant est relié au temps présent, qu’il s’agisse de l’assimiler à l’antifascisme (L’Affiche rouge) ou de pointer les avancées réalisées par le cnr, mais menacées par l’orientation néo libérale des pouvoirs qui se sont succédé depuis François Mitterrand (Les Jours heureux, Gilles Perret, 2013) ; les divisions de la Résistance, enfin, sont dévoilées au grand jour (Alias Caracalla, au cœur de la Résistance, Alain Tasma, 2013).

Dans une autre veine, les réalisateurs se plaisent à dynamiter les codes en recourant à une veine burlesque. Sorti en 1983, Papy fait de la Résistance prend le contre-pied du légendaire résistant, dont il moque, avec talent, les représentations les plus éculées. Pour ce faire, son réalisateur, Jean-Marie Poiré, reprend les images iconiques de L’Armée des ombres, de La Grande Vadrouille, voire de Rome ville ouverte (1945) pour les subvertir. De même, Effroyables Jardins (2003) de Jean Becker propose une lecture insolente de la Résistance, qui oscille constamment entre le comique (les deux héros, interprétés par André Dussolier et Jacques Villeret sont des partisans d’opérette) et le tragique (leur action conduit les Allemands à procéder à une prise d’otages). La Résistance, enfin, tombe de son piédestal. Dans Uranus (1990), Claude Berri assimile la Libération à une pénible succession de règlements de comptes dans lesquels les résistants tiennent le premier rôle. Et dans Un héros très discret (1996), Jacques Audiard pointe l’ambiguïté du statut de héros, en décrivant l’itinéraire d’un imposteur s’arrogeant un passé résistant.

Ces films ont eu le mérite de restaurer toute la complexité de la Résistance, occultée dans les fictions de l’immédiat après-guerre. En montrant que l’engagement ne se résumait pas à l’antifascisme ou au patriotisme, en pointant les divisions et les rivalités qui ont marqué l’armée des ombres, en rétablissant l’importance de Vichy et de la persécution antisémite, ils quittent les certitudes de la légende pour offrir une vision moins convenue des années sombres. Et ils ont rencontré le succès, dans la mesure où ils répondaient aux attentes du public. La société française ne pouvait sans doute plus s’accommoder des légendaires gaullistes et communistes, ce qui explique l’audience du Chagrin et de Papy  quoique sur des registres différents. De même, les représentations édulcorées que La Bataille du rail ou Le Père tranquille proposaient de l’engagement clandestin ne pouvaient plus satisfaire un public désormais moins enclin à accepter les stéréotypes héroïques.

Mais le refus de la mythologie a provoqué un effet pervers. Si la France n’a certes pas participé dans sa masse à la Résistance, comme René Clément le suggérait, elle n’a pas non plus succombé tout entière aux poisons de la Collaboration, comme Marcel Ophüls le sous-entend. Si la Libération a suscité de violents règlements de comptes, elle ne se résume ni à une orgie de violences ni à de sordides vengeances comme le prétend Uranus. Et si des imposteurs ont grossi leur rôle durant les années sombres, à l’instar du héros très discret de Jacques Audiard, d’autres ont tu, par modestie, leur rôle, pourtant éminent, dans la clandestinité.

C’est dire, au total, que les films dédiés à la Résistance suscitent une certaine insatisfaction. Évoluant au fil du temps, ils ont tout à la fois reflété les attentes d’un public moins enclin à adhérer aux représentations convenues des années noires et contribué à modeler les contours du souvenir. Mais à la différence de Shoah ou du Soldat Ryan, aucune œuvre, sous bénéfice d’inventaire, n’a réussi à capter ce qu’a été la geste clandestine. Pour une raison évidente. L’action de la Résistance s’est, pour beaucoup, résumée à une action sans éclats, faite de voyages monotones en train ou à bicyclette, d’attente ou de tâches répétitives comme l’impression des journaux clandestins et leur distribution. En 1943, les maquisards ont passé plus de temps à attendre, dans des conditions éprouvantes, qu’à combattre. Comment, dès lors, représenter une lutte aussi peu spectaculaire, tout en montrant la flamme intérieure de ceux qui, au mépris de leur vie, s’engageaient ? Comment décrire un monde intérieur passionné sans verser dans le lyrisme, le pathos ou le déclamatoire ? Les cinéastes ont tranché, soit en survalorisant les actions résistantes, transformant ainsi le genre en film de cape et d’épée, soit en maniant l’ironie, soit en se bornant à un discours stéréotypé exaltant le patriotisme et le sacrifice. Rares, donc, sont les œuvres à pouvoir se prévaloir d’une justesse de ton – à la notable exception de L’Armée des ombres. La Résistance, en d’autres termes, attend aujourd’hui encore l’œuvre qui lui rendra pleinement justice. En tenant la juste distance qui sépare le respect idolâtre du regard froid.

1 O. Wieviorka, Histoire de la Résistance 1940-1945, Paris, Perrin, 2013, pp. 102-106.

2 Centre national du cinéma et de l’image animée (cnc), « La diffusion des films à la télévision en 2017 », annexe 1, novembre 2018, pp. 71-74.

3 D’excellentes études portent sur la question, à commencer par celle de Sylvie Lindeperg, Les Écrans de l’ombre. La Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français, 1944-1969 [1997], Paris, Le Seuil, rééd. « Points Histoire », 2014, et celle de Suzanne Langlois, La Résistance dans le cinéma français. 1944-1995. De La Libération de Paris à Libera me, Paris, L’Harmattan, 2001.

4 S. Lindeperg, op. cit, p. 173.

5 S. Langlois, op. cit, p. 121.

6 S. Lindeperg, op. cit, p. 147.

7 Ibid., p. 184.

8 Ibid., p. 95 sq.

9 Ibid., p.  91.

10 Par exemple, mais ce n’est pas le seul, Ch. Nick, La Résistance, France 2/France 5, 2008.

11 Cité par S. Lindeperg, op. cit., p. 418.

12 Ch. Delage et V. Guigueno, L’Historien et le Film [2004], Paris, Gallimard, rééd. « Folio histoire », 2018, p. 94.

13 H. Rousso, Le Syndrome de Vichy, de 1944 à nos jours [1987], Paris, Le Seuil, rééd. « Points Histoire », 1990, pp. 124-130.

14 Cité par S. Langlois, op. cit., p. 286.

15 Cité par H. Rousso, op. cit., p. 133.

16 O. Wieviorka, La Mémoire désunie. Le souvenir politique des années sombres, de la Libération à nos jours [2010], Paris, Le Seuil, rééd. « Points histoire », 2013, pp. 181-183.

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