N°50 | Entre virtuel et réel

Martin Aurell
Excalibur, Durandal, Joyeuse
La force de l’épée
Paris, PUF, 2021
Martin Aurell, Excalibur, Durandal, Joyeuse, PUF

L’épée est le premier artefact façonné par les hommes exclusivement pour s’entre-tuer, et cela dès l’âge du bronze. À partir du xisiècle, elle connaît en Occident un âge d’or, qui est aussi celui de la chevalerie dont elle est l’arme par excellence, et bien plus encore. Sans cesse perfectionnée grâce aux prouesses des artisans forgerons, elle est alors devenue un objet techniquement parfait, doté d’une redoutable fonctionnalité, mais aussi d’une esthétique qui en fait un authentique objet d’art. Toutefois, la réalité matérielle de l’épée, dont le millier d’exemplaires conservé dans les musées et les collections privées nous permet de vérifier les admirables qualités, inspire moins l’imaginaire médiéval que sa dimension spirituelle. Car, et c’est bien cela qui habitait le plus ceux qui l’accrochaient à leur baudrier, l’épée véhicule des idées, des valeurs, des vertus, parfois magiques, toujours sublimées. Les légendes et les fables héritées des temps préchrétiens, recueillies et transformées par les chansons de geste et les romans de chevalerie des poètes ou par les contes édifiants des clercs qui les adaptent à leur vision du monde, composent dans l’Europe du Nord et du Nord-Ouest une véritable mythologie. Textes et enluminures entretiennent ou créent des traditions, des usages, des cérémonies et, de façon plus abstraite, des représentations mentales non moins déterminantes pour les comportements de ceux qui dominent. L’épée est donc fondamentalement le symbole d’une puissance qui suffit à lui construire une personnalité propre. Elle est vivante : on lui donne un nom, on lui parle, on la dote d’une histoire. Parce qu’elle est revêtue d’une nature merveilleuse, voire quasi divine, elle rend des services irremplaçables à qui se montre digne de la brandir et de se fier à sa force, pleinement assuré de cette exceptionnelle symbiose qui les unit. L’arme contient ainsi en elle toute la panoplie du chevalier ; elle le définit socialement et culturellement en exprimant les vertus supérieures qui signent son appartenance à l’aristocratie et justifient sa violence. Transmise de génération en génération, elle conserve la mémoire du lignage. L’épée caractérise aussi le pouvoir du roi et sa remise est un moment central dans la cérémonie d’accession au trône. Enfin, elle inspire la réflexion politique qui distingue le temporel du spirituel dans la gouvernance des hommes. Cette remarquable enquête, adossée à une érudition impressionnante, devrait susciter la curiosité des officiers qui, aujourd’hui encore, intègrent le groupe des guerriers en recevant des mains de leurs chefs le sabre qui les voue au combat.


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