N°6 | Le moral et la dynamique de l’action – I

Dominique Schnapper
Qu’est-ce que l’intégration ?
Paris, Gallimard, 2007
Dominique Schnapper, Qu’est-ce que l’intégration ?, Gallimard

La notion d’intégration a une histoire, elle a souvent été l’objet de lieux communs mais elle doit continuer à susciter l’intérêt des sociologues. Depuis Durkheim, ces derniers se sont interrogés, grâce à cette notion, sur la formation et le maintien des entités collectives, sur les relations entre l’individu et le groupe. Pour que la recherche actuelle se démarque de toute perspective normative et que cette notion d’intégration soit utilisée de façon trop générale, il importe qu’elle soit d’abord critiquée. « On doit tenir l’intégration, comme l’identité, pour un concept-horizon » écrit Lévi-Strauss en 1977. Il n’existe pas d’intégration dans l’absolu – intégration à quoi ? De quoi ? –, il existe des dialectiques et des processus complexes d’intégration et de marginalisation et d’exclusion, l’intégration n’est pas un état. Et ce qu’il importe d’étudier, « ce n’est pas l’intégration en tant que telle, ce sont les modalités que prennent ces divers processus, son sens actif et les dimensions de cette intégration. Il ne porte pas seulement sur les formes de la participation de populations particulières « à » la société nationale, mais aussi sur l’évolution « de » la société nationale toute entière. » Car le problème de l’intégration dépasse celle de l’intégration des migrants.

En soulignant que l’on doit lier l’intégration « à » la société parce qu’elle renvoie à la question de l’intégration sociale de la société et des modalités de l’intégration « de » la société démocratique, Dominique Schnapper élargit le champ de la recherche. L’ambition universaliste de la société démocratique l’oblige à intervenir pour compenser les échecs sociaux ou intégrer les populations marginalisées. Mais le « politique » qui se définit avant tout par le « social » comporte un risque. La démocratie providentielle favorise les intérêts personnels des individus, leur « identité » propre aux dépens de l’intérêt général ; dans la société démocratique, l’intérêt général est porté par le projet politique commun. Les droits sociaux apparaissent de plus en plus comme l’équivalent des droits politiques et la forme authentique de la citoyenneté moderne ; mais les biens matériels ne sont pas suffisants pour que se maintienne l’unité politique entre les hommes.

À ces questions sur les limites de l’application des valeurs dont se réclame la société démocratique, les chercheurs doivent tenter de répondre en apportant « leur contribution à la réflexion sur les moyens de concilier le respect des personnes et l’intégration sociale nécessaire pour que les sociétés démocratiques puissent continuer à exister sans s’abîmer dans le désordre ».


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