N°18 | Partir

Éric Deroo

« Engagez-vous, vous verrez du pays ! »

« Jeunes gens, allez aux colonies. » « Voyagez, les troupes coloniales vous invitent. » « L’empire t’attend. » « L’empire réclame. » « Au service de l’Union française. » « Servez la communauté dans les troupes d’outre-mer. » Slogans de la propagande officielle, gros titres, accroches d’affiches de recrutement ou publicitaires… Jusqu’au milieu des années 1960, les Français sont imprégnés d’une véritable vulgate où les imaginaires les plus délirants côtoient les réalités du fait colonial, créant l’illusion d’un lien étroit entre la nation et son empire. Avec les romans « à quat’sous », la presse, la chanson, le théâtre, les vignettes et affiches publicitaires, les reportages photo et surtout le cinéma, un public extrêmement divers se prend à rêver d’aventures sur fond de lointains inaccessibles et à s’identifier à un héros, souvent un soldat, tête brûlée au grand cœur, qu’un étrange destin conduit à une fin tragique mais noble et, par là, à sa rédemption. Le militaire servant aux colonies y gagne de la sorte un prestige envié mais d’autant plus artificiel qu’il est en grande mesure fabriqué… L’apogée de cet attrait pour l’exotisme est atteint en 1931 au moment de l’exposition coloniale internationale de Paris. Or, si le maréchal Lyautey, commissaire général de l’exposition, plaide depuis des années pour que celle-ci soit organisée, c’est précisément parce que les « vraies » colonies font peu recette auprès des Français.

Ainsi, pendant les cent trente ans1 qu’a vécus l’empire de la « plus grande France », il est indispensable d’observer l’enchevêtrement entre représentations façonnées de toutes pièces – en histoire, les mythologies sont bien des faits –, discours de propagande officiels ou privés et mécanismes qui ont réellement poussé des milliers d’hommes, en particulier des troupes de marine puis coloniales, à partir de 1900, à aller servir sous les tropiques.

Par ailleurs, les paramètres qui déterminent l’engagement sont extrêmement variables selon le milieu, les circonstances, la temporalité... La perception d’un officier, d’un cadre instruit, conscient des enjeux, soucieux de sa carrière, est très éloignée de celle d’un militaire du rang issu des classes sociales les plus modestes, peu éduqué et facilement influençable, engagé pour fuir sa condition davantage que par devoir patriotique. Cependant, si elle a longtemps été l’apanage d’une élite militaire, savante ou commerçante, la quête d’horizons nouveaux, en France comme en Europe, a fini avec le temps par toucher des volontaires de toutes origines. Depuis le xviie siècle, représentations bibliques, voyages d’exploration maritime, produits des compagnies des Indes et fortunes rapportés d’Asie, des Amériques puis des Antilles ou expédition de Bonaparte en Égypte ont popularisé l’idée qu’au-delà des océans s’étendent des terres inconnues, gorgées de richesses, faciles à conquérir pour peu qu’on ait le courage ou les moyens de s’y rendre.

S’y associe, dès la fin du xviiie siècle, le discours universaliste des Lumières repris par la Révolution mais surtout vulgarisé par la iiie République, qui va trouver matière à civiliser dans la « sauvagerie » présupposée des populations et l’immensité inoccupée des espaces, à appliquer les théories de mise en valeur des hommes et des terres fondées sur l’idée de progrès2, l’échelle des races, dans le sillon des théories darwinistes, et l’affirmation d’une absence d’histoire, donc de toute légitimité politique, culturelle ou économique des autochtones.

Les éléments réunis vont désormais marquer la relation à l’« extérieur » et aux opérations, pour l’essentiel de nature coloniale3, qui y seront conduites. Même si quelques explorateurs, civils et militaires, fonctionnaires, auteurs ou artistes, s’emploient à dénoncer les clichés et à tenter de les dépasser, ils seront plus nombreux à entretenir les mythes liés aux « vices » indigènes, aux mœurs « barbares », aux plaisirs interdits, aux fumées de l’opium, à l’érotisme débridé, aux trésors enfouis dans les temples, à la nature hostile… Des images en somme bien plus faciles à « vendre » auprès des foules qui, fascinées, sont ainsi convaincues non seulement de leur propre supériorité, mais aussi de leur unité raciale et sociale – nationale – et de la légitimité de l’expansion outre-mer. Des visions et des discours invariables, réducteurs et allégoriques qui rassurent face aux multiples équivoques et aux dangers que suscite l’entreprise coloniale.

Ainsi, cette unité de façade, face à l’anarchie indigène et à un environnement inhospitalier4, contribue à figer l’idée qu’on se fait de l’« ailleurs » avant même d’y partir et qui impose de s’y conformer, de la reproduire à son retour. Pour beaucoup, le désir de partir est teinté d’ambiguïté : certes, il s’agit bien de quitter un espace ordinaire, usuel – social, culturel, géographique – pour un autre exaltant et inconnu, mais un inconnu tellement imaginé et normalisé5 qu’il en est rassurant6. Cette illusion d’un immuable colonial est aussi l’un des gages de la stabilité impériale. Récits de voyageurs, carnets, correspondances, témoignages divers de soldats, et surtout traditions des unités appelées à servir outre-mer pendant plus d’un siècle et demi reproduisent les mêmes antiennes, perpétuent les mêmes rites, garants de cohésion opérationnelle autant que garde-fous mentaux individuels et collectifs, mais aussi sources de préjugés qui pourront mener aux excès des guerres coloniales.

À la fin du xixe siècle, à l’heure des grandes expéditions coloniales outre-mer, légitimité politique et scientifique, philosophique et religieuse, visées militaires et commerciales, besoins en hommes, désir d’émancipation et appât du gain, goût de l’aventure et quête de la gloire prennent la forme d’un slogan qui fera la joie des chansonniers7 : « Engagez-vous… Rengagez-vous… »

Suspendu dans le temps et l’espace, « Partir8 !!! » répond à cet appel. C’est d’abord un cri de guerre ou de ralliement, un ordre à exécuter dont le texte et les illustrations des affiches symbolisent avec force l’impérieuse nécessité ; une mission menée à bien, ensuite, décrite sous son meilleur jour ou, plus rarement, remise en cause au travers des notes de voyage ou des carnets de route des coloniaux qui s’obligent à témoigner. La nécessité de quitter la métropole s’inscrit, pour une large part, dans ce mouvement d’aller et retour entre « ici » et « là-bas », entre avant et après, entre jeunes et anciens, entre « engagez-vous » et « rengagez-vous » ; autant d’oppositions qu’accompagne la confrontation entre discours convenus et codes iconographiques d’une part, et réalités du terrain d’autre part.

Il y a également comme du défi à partir. Un défi qui exprime la lassitude d’une certaine génération d’officiers, ardents à se battre mais condamnés à attendre derrière la « ligne bleue » des Vosges le prochain affrontement avec le séculaire ennemi allemand. Une réponse pour les uns à la pression sociale résultant de la rigueur républicaine qui se conjugue à celle de l’Église toujours dominante ; pour d’autres, l’espoir d’échapper à la misère ou à la banalité de la vie rurale ou des petits métiers des villes. Et, pour être sûrs de se mettre ainsi définitivement à distance morale et géographique de leur milieu d’origine, de couper les amarres, la plupart invoquent les dangers et se couvrent des oripeaux de la barbarie9 qu’ils étaient censés aller combattre, renforçant l’image déjà chargée de soldats marginaux10.

  • Avis aux intéressés

Très tôt, des affiches, des vignettes, des tracts incitent les hommes à s’engager pour aller combattre au-delà des frontières. Ces documents constituent alors pour des populations largement incultes un medium de masse. Leur étude11 permet à la fois de suivre la condition du militaire avec les avantages proposés, les espaces de la conquête, leur nature, les avantages ou risques qui s’y attachent et les stéréotypes qui les caractérisent. Enfin, l’évolution des modes et des supports de diffusion, des codes graphiques, des icônes de référence, des mots en dit beaucoup sur le « rêve d’Orient » tel que l’imaginent les concepteurs et tel que le reçoivent les spectateurs, futurs engagés ou volontaires.

Les premières affiches qui nous soient parvenues sont faites essentiellement de textes imprimés12, même si une silhouette de soldat ou des armoiries régimentaires, peuvent l’illustrer. Sous l’Ancien Régime et au cours du xixe siècle, la majorité des Français étant analphabète, elles étaient lues et commentées par le sergent recruteur devant la population rassemblée. Événements importants dans la vie du village ou du quartier, ces annonces offrent ainsi l’occasion facile de produire un discours, d’inventer un lointain. Leurs slogans renvoient déjà à toutes les formules et images dont useront plus tard les illustrateurs : beaux soldats, beaux uniformes, bonnes conditions, avantages pécuniaires, apprentissage d’un métier et, enfin, promesse de voyages : « Avis aux beaux hommes. […] Ici l’on s’engage on y est bien habillé […] bien nourry. […] L’on est bien appointé. […]. L’on trouve des maîtres en tout genre. […] On y voit du pays. »

Aux côtés des titres de la presse, des affiches de proclamation couvrent les villes à l’occasion des événements militaires. C’est le cas de l’expédition d’Alger qui voit les mérites de l’armée d’Afrique13 chantés sur les murs d’Avignon dès le 18 juin 1830. Pendant les premières années de conquêtes coloniales en Algérie, en Afrique noire ou en Extrême-Orient, des années 1830 aux années 1860, seuls des récits publiés, illustrés parfois, le plus souvent rédigés par des cadres témoignent des combats, des conditions de vie, des populations et paysages.

Les explorations, qui précèdent régulièrement l’occupation territoriale, restent longtemps affaires de marins. Formés au dessin, très vite à la photographie14, les officiers de marine qui prospectent les côtes puis remontent le cours des fleuves sont parmi les premiers15 à manier l’exotisme et à susciter des désirs d’« ailleurs ». Les officiers d’infanterie ou d’artillerie de marine16 qui les accompagnent puis leur succèdent à terre, les sous-officiers et hommes du rang, tiennent des journaux dans lesquels ils expriment le besoin de fixer des dates, des lieux, des détails, de témoigner, car ils pourraient ne pas être crus au retour.

S’y entrecroisent réelle fascination pour les terres découvertes, descriptions souvent très précises – par exemple des travaux des champs, de l’artisanat, du petit commerce, en somme tout ce que partage l’humanité –, en même temps qu’interprétations caricaturales17, en particulier dans le domaine culturel, politique ou religieux. À propos des mœurs, des rites, de l’histoire intellectuelle, la méfiance, la réprobation dominent largement pour des civilisations perçues comme dévoyées ou jamais sorties de la préhistoire. Entre fascination et répulsion s’écrit peu à peu cet Orient « à la française »18. Il est exotique à l’aune de tout ce qui le différencie de la civilisation occidentale. Ses vertus et ses vices sont autant de graduations qui permettent de mesurer la distance parcourue entre les mondes et de conforter le colonial dans son œuvre tout en entretenant la nostalgie des temps bibliques perdus19.

  • « Haute paye journalière… »
    « Emploi civil… » « Retraite et concession »

Cette période, qui s’étend de 1880 à 1900, est déterminante car, avec les colonnes de conquêtes ou les grandes missions d’exploration en Asie et en Afrique20, puis l’établissement de souveraineté, relayés par les tribunes politiques, la voix populaire, la presse, le théâtre, la chanson, les expositions universelles, locales ou coloniales, la philatélie, la carte postale, qui constituent des médias de masse à l’époque… c’est toute l’action française outre-mer qui se fonde et s’impose. Proximité avec les classes laborieuses opposée aux élites féodales et commerçantes arrogantes, attraction pour les minorités contre les ethnies dominantes, volonté de préserver les vestiges des civilisations engloutis sous la jungle tout en bâtissant des villes modèles, familiarité avec les populations au nom de la solidarité républicaine, devoir de classer, d’éduquer, de soigner, d’intégrer, trouvent leur source et leur légitimité dans des discours de la Révolution revisités par les manuels scolaires – sans oublier l’influence des missions confessionnelles bâties par les ordres missionnaires catholiques ou protestants –, qui diffusent et entretiennent constamment la geste républicaine21.

Grâce à l’effort de scolarisation sans précédent mené par la iiie République, 75 % de la population est alphabétisée lorsque, en 1909, est émise une des premières grandes affiches de recrutement des troupes coloniales. Aucune illustration, mais un long texte exposant les « avantages assurés par la loi aux engagés et rengagés des troupes coloniales ». De fait, il est essentiellement question de « prime en argent », de « solde mensuelle », de « haute paye journalière », illustrées de tableaux de chiffres, et de l’obtention, au terme de l’engagement, d’« emploi civil », de « retraite » et de « concession ». Le gouvernement manque alors cruellement de troupiers et, depuis l’épisode désastreux de Madagascar, en 1895 – et les affaires du Tonkin dans les années 1880 –, où il avait dû envoyer des appelés, seuls les engagés ou les volontaires servent outre-mer. Même si certains participent à des expéditions ou à des missions glorieuses et passionnantes, la plupart ne connaissent que les colonnes harassantes dans un milieu hostile, soumises à toutes les pathologies tropicales auxquelles s’ajoutent ordinairement les maladies vénériennes, l’alcool et l’absence d’hygiène. Avec de telles perspectives, il est évidemment très difficile de recruter des hommes solides et l’argent demeure l’argument principal. D’ailleurs, quelques affichettes et timbres se résument au dessin, naïf et colorié, d’un soldat colonial ou d’un tirailleur indigène, sur un vague fond de palmier et de cases, mais avec en grosses lettres, au centre de la composition, « Primes » et leurs montants en francs.

Les certificats établis à la fin du temps d’engagement constituent un autre mode de recrutement. Encadrés, exposés au cœur du foyer familial, authentifiés par la signature du colonel chef de corps, ils ont vocation à rappeler les états de service de l’intéressé pendant la durée de son engagement. Richement illustrés des scènes de batailles dont les noms décorent les emblèmes, ils évoquent des lieux aux sonorités qui marqueront des générations de Français : Hanoï, Sontay, Tuyen Quang, Tombouctou, Fort Lamy, Zinder, Brazzaville… Avec l’instauration du service universel en 1905, le certificat atteste du passage à l’âge d’homme dans toute sa plénitude : citoyen français, travailleur, électeur, père de famille, réserviste… et voyageur pour celui qui « a vu du pays »…

La presse militaire, alors très importante et influente22, est également un vecteur non négligeable pour pérenniser le récit colonial tout en l’authentifiant de manière plus scientifique. L’Almanach du marsouin, La Revue des troupes coloniales (1902), mais encore d’autres parutions limitées à une unité ou un théâtre d’opérations, comme L’Ancre de Chine23. Autant de titres auxquels succèderont Tropiques (1948), puis L’Ancre d’Or Bazeilles (1962)… Ces revues produisent quantité de textes écrits sur le terrain, plus tard les premiers reportages, ou encore des analyses politiques, parfois même de véritables travaux d’ethnographie rédigés par des cadres en poste. Il est certain qu’autour de l’ancre de marine, symbole des troupes coloniales, se catalysent traditions et esprit de corps. « De l’arme ! » se présentent laconiques et sûrs d’eux marsouins et bigors ; celle « de tous les héroïsmes et de toutes les abnégations », comme l’a écrit le maréchal Lyautey24. Mais les chansons de corps de garde sont plus explicites pour décrire les charmes et vicissitudes sous les tropiques25 ; tout en stigmatisant les autres unités métropolitaines, les « culs rouges » qui ne voyagent pas.

Pour les officiers, souvent très proches des milieux politiques coloniaux et des sociétés savantes, l’aventure ultramarine peut représenter l’affaire d’une vie. Qu’ils réussissent leur mission d’exploration ou leur expédition militaire, et ils sont assurés de devenir des héros populaires comblés d’honneur que s’arrachent ministres, artistes, auteurs, journalistes. De retour de campagne, les ouvrages que la plupart d’entre eux publient, les feuilletons, spectacles, tableaux qui en sont tirés, sont autant de péripéties dont rêvent et auxquels s’identifient des milliers de Français, toutes classes sociales confondues. Cependant, malgré cet engouement de circonstance, le peu d’intérêt réel des citoyens, et par conséquent des politiques pour un empire dont ils ont du mal à voir les bénéfices, renforce encore l’image d’aventurier du soldat colonial. Assumant leur marginalité, tout en souffrant lorsque la patrie les ignore26, les marsouins et futurs marsouins la nourrissent tant elle est devenue en quelques années un puissant signe identitaire.

La Grande Guerre, qui voit engagés, rengagés, réservistes, jeunes conscrits de métropole, vieux soldats de la coloniale et de tous les outre-mer mêler leur sang et partager les dangers du front, fait émerger une nouvelle figure héroïque, qui incarne l’empire et ses espaces lointains : le tirailleur, en particulier le brave Sénégalais « Y’a bon ». À lui seul, celui-ci désigne l’exotisme et la force, la simplicité primitive, la résistance, la fidélité, toutes qualités prêtées aux indigènes. Sur les affiches à la gloire des armées coloniales ou celles qui sont destinées à recueillir des fonds, Européens et indigènes figurent côte à côte pour se jeter à l’assaut des tranchées allemandes27. En revanche, le charme exotique des indigènes mobilisés est mis à contribution par les services de propagande ; films, spectacles, journaux, chansons, manifestations diverses permettent aux Français de découvrir ces hommes et leurs modes de vie soigneusement mis en scène, frappant à coup sûr l’imagination de futurs engagés.

  • Victime du chameau

La France d’après-guerre est ruinée par le conflit. La « grande boucherie » a tari bien des vocations militaires, les crédits coloniaux sont limités. Dans ce contexte, toujours à court d’hommes pour fournir des troupes de souveraineté et de moyens pour les payer, la direction des troupes coloniales développe une véritable et très moderne campagne de communication et de recrutement28. À partir de années 1920, et plus encore à l’occasion de l’exposition coloniale de 193129, tous les supports sont exploités : films projetés en salles, collections de livres comme, par exemple, la « Collection de l’ancre », brochures, cartes postales et superbes affiches dessinées par les grands illustrateurs du moment30. La composition reprend les grandes règles de l’affiche de cinéma ou de voyage. Le spectateur est d’emblée dans l’image, le texte s’estompe au profit de la scène et, surtout, ce ne sont plus un soldat ou un tirailleur en armes qui est mis en vedette mais un colonial souriant, en grande tenue blanche ou en tenue d’été, sans équipements, en « touriste » en somme31.

L’appel est clair, l’époque des combats mortels est révolue32, dorénavant ce sont les voyages dans des univers de rêves33 qui sont proposés aux candidats. Des candidats qui sont issus d’un monde rural en pleine mutation et d’une classe ouvrière qui génère de très nombreux laissés pour compte, de déracinés incapables de s’insérer dans la société industrielle. D’un graphisme superbe, les compositions résument la belle vie outre-mer. S’y superposent eaux limpides, forêts luxuriantes, palmiers aux branches paresseuses, dunes dorées, chameaux aux ports altiers, geishas graciles et Africaines dénudées. C’est une véritable invitation aux loisirs qui est lancée aux badauds avec les slogans « Engagez-vous, rengagez-vous dans les troupes coloniales ! » « Voyagez, les troupes coloniales vous invitent ! »

Malgré ces beaux efforts des services coloniaux, l’écart reste grand entre promesses et situations concrètes, comme le décrit Martial Doze, le grand thuriféraire des coloniaux avant guerre34 : « Un temps était, rapportent les anciens, où l’on s’écriait dans les corps de garde, quand on voyait arriver un nouvel engagé : “Place ! Encore une victime du chameau !”35. » « Il décroche du mur une mappemonde, l’étale d’un geste large et touche des points, au hasard, de son doigt maigre bagué d’une fine tresse de crin d’éléphant : “Voilà des garnisons de choix. Je les connais toutes : Nouméa, Papeete, des perles ; Saigon, dans l’incendie des flamboyants ; Conakry, au milieu de sa corbeille de manguiers et de cocotiers ; Tananarive, aux sept collines ; Tombouctou… la terre, toute la Terre !” Il parle d’abondance. S’il ment, c’est du moins avec charme et conviction… Il fait défiler devant moi des arguments décisifs : voyages, soldes, primes, médailles, ancres, pousses, chaloupes, retraites, congaïs, colonnes, mangues, barouds. […] Je me lève, conquis. Mon cousin sera marsouin36. »

  • Gueule d’amour et quai des brumes

L’entre-deux-guerres voit le triomphe du cinéma. Les progrès techniques – parlant, tournage en décors naturels, méthodes de diffusion et campagnes de promotion – propulsent certaines vedettes, tel Jean Gabin, au rang de modèle national auquel beaucoup d’hommes s’identifient. Tour à tour ancien « joyeux », légionnaire espagnol, pilote, marsouin ou spahi, il incarne dans de nombreux films à succès l’archétype du héros déclassé qui trouve outre-mer le salut ou la rédemption, dans l’amour ou la mort. Si le soldat y gagne en popularité37, dans ces scénarios apparaît une mise à distance du discours colonial traditionnel. La dénonciation radicale des empires n’échappe pas aux affrontements idéologiques qui bouleversent alors le monde. Éclatent des révoltes nationalistes qui, pour beaucoup, annoncent des guerres de libération coloniales. À ces exigences pressantes répond une répression dont les échos atteignent la métropole. Les gouvernements, à commencer par celui du Front populaire en 1936, se doivent de proposer des alternatives, d’offrir aux futurs coloniaux, et surtout aux colonisés, un autre rapport politique, social, économique.

Après le voyage, un nouvel idéal est proposé aux candidats à l’engagement : non plus celui du soldat, du touriste sympathique et fraternel, mais celui du technicien, du spécialiste. Bâtisseur, médecin, infirmier, conducteur, il incarne le renouveau de l’aspiration humaniste38, qui se retrouvera plus tard dans le concept de l’humanitaire39. À l’Orient des mousmés et des congaïs, des pagodes et des tatas de Djenné, des baobabs et des palmiers, toujours présents en fond du décor mental et pictural, se superpose désormais la mission au service de l’altérité et de la patrie ; c’est en tout cas ce que souhaitent les recruteurs et que suggèrent les affiches. Si, en 1939, la guerre ranime les feux de la « plus grande France40 », Vichy n’hésite pas à mobiliser « pour garder l’empire que tes ancêtres ont fondé », face aux ennemis anglais et gaullistes. C’est plus que jamais dans ces espaces démesurés, à la taille du drame qui vient de frapper le pays, dans ces déserts rédempteurs chers au père de Foucauld ou au général Laperrine que réside le salut de la France. « Il faudra rebâtir l’empire », « L’empire t’attend », « L’empire réclame des hommes d’élite, des savants, des techniciens », autant de slogans qui ne proposent qu’efforts et exigent des compétences.

  • Le mal jaune

Dès 1945, les unités indigènes qui ont défilé aux côtés des troupes de la France combattante, une métropole exsangue et sans perspective, et la guerre d’Indochine41 remettent l’Orient au goût du jour. Le désir de quitter un pays vaincu en 1940 et déchiré par la guerre, la volonté de participer au rétablissement de la grandeur de la nation, le besoin de se reconstituer une carrière pour les cadres prisonniers en Allemagne pendant cinq unités de la France libre, enfin l’inaptitude de beaucoup à se réinsérer dans une société ingrate raniment les mythes asiatiques. Les nationalistes Viêt-minh retrouvent le qualificatif de « pirates », la jungle son paludisme et les petites congaïs, rebaptisées « taxi girls », sont plus vénales que jamais… Si quelques affiches vantent encore le seul voyage, elles sont plus nombreuses à insister sur les vertus guerrières du combattant d’Indochine. Inspiré des unités d’élite alliées, un nouveau héros occupe le terrain : le parachutiste. Avec lui, l’objectif est clair : « Parachutistes coloniaux : la gloire, l’action ! » Plus explicite encore : « Tu es un homme, va en Indochine, tu deviendras un chef ! » Dans ces années de pénurie et de chômage, l’obtention d’un métier, d’un certificat de bonne conduite ou même d’une citation compte pour un jeune homme.

Dans les motivations des volontaires, aventure, solde et travail s’entrecroisent, mais il n’en demeure pas moins vrai que tous reviennent atteints du fameux « mal jaune »42, cette nostalgie de « l’Indo » qui les étreint encore, comme dans Marie-Dominique, célèbre chanson écrite par Pierre Mac Orlan, qui est devenue l’un des chants emblématiques des troupes de marine. À lui seul, le mal jaune symbolise le désir d’ailleurs, les charmes vénéneux, l’amour du pays, les combats perdus dans l’honneur et, pour finir, l’étrange envoûtement qui hante les survivants. Il a pris le pas sur l’antique fascination pour le Maghreb, celle très particulière pour le désert et celle teintée de bonhomie, condescendante souvent, pour l’Afrique noire, ses populations et leurs sortilèges.

  • Du service de l’Union française à la coopération

Avec la Constitution du 27 octobre 1946, l’Empire colonial français – appellation qui n’a jamais été officielle – devient l’Union française : ce changement d’appellation traduisait la volonté des fondateurs de la ive République de définir de nouveaux rapports entre la métropole et l’outre-mer, dans l’esprit de la Conférence de Brazzaville43. À l’avènement de la ve République, en 1958, l’Union française se transforme en Communauté44. Déjà infléchi avant 1940, le discours qui porte les projets outre-mer et doit se retrouver, en partie, dans celui des volontaires est dorénavant le service : « Au service de l’Union française », « Servez la communauté dans les troupes d’outre-mer. » Quant à une autre affiche, d’avril 1957, elle propose d’effectuer le service légal « sur un territoire de votre choix ». Toutes annoncent le grand tournant né des indépendances et de la fin de la guerre d’Algérie. Avec la dissolution des unités de l’armée d’Afrique, il ne reste plus de troupes professionnelles, à l’exception de la Légion étrangère.

Quant à l’outre-mer, il est désormais réservé aux appelés volontaires pour un « service long ». L’exotisme reste de mise pour motiver les candidats. Mais le service national ouvre également de nouvelles perspectives : le temps de la coopération est venu. Une affichette du ministère de la Coopération l’illustre avec deux personnages dessinés, un noir et un blanc, qui édifient un mur fait des nouveaux drapeaux africains : « Je construis, tu construis, nous construisons l’Afrique nouvelle. » Même si elle n’est pas directement destinée à des militaires, cette campagne est à la mesure des nouveaux rapports que la France entend établir avec ses anciennes colonies. Les missions d’« assistance militaire technique », puis de « coopération de sécurité et de défense », la gestion de bases terrestres et navales, les accords de défense qui justifient diverses interventions militaires et qui imposent, surtout, à partir des années 1970, la professionnalisation des unités de la « force d’action rapide », offrent encore l’occasion de servir sous les tropiques sans oublier les départements et territoires d’outre-mer.

À partir des années 1990, les opérations extérieures au sein de forces françaises ou multinationales, la professionnalisation complète des armées, la suspension du service national et la réduction des effectifs modifient à nouveau le paysage de la défense et les horizons d’engagements. Désormais, toutes les unités, en particulier de l’armée de terre, sont appelées à être déployées sur un théâtre d’opérations extérieur ou outre-mer. Seules survivantes des vieilles unités destinées à servir au-delà des océans, les troupes de marine45 doivent partager non seulement leur expertise du service « outre-mer et à l’étranger » avec toutes les autres formations, mais également une part de leurs traditions, de leurs rites et finalement de leurs « ailleurs ». Quant aux affiches, elles cèdent le pas aux cd rom, aux sites dédiés et aux clips sur You Tube. Que disent-ils qui permette d’identifier, de mesurer, le « partir » des jeunes engagés ?

« Soldat de la paix, l’engagement opérationnel aux quatre coins de la planète, le dépassement, la mission, l’aventure, un esprit, des métiers » ; finalement autant de formules proches du « civiliser, voyager, servir, un métier » des grands anciens… Quant aux rêves d’Orient, si la mondialisation les a largement démonétisés, normalisant toutes les sources d’exotisme, l’extrême diversité des situations, des populations et des terrains que découvrent les militaires, du Kosovo à l’Afghanistan, du Tchad au Liban, leur offre autant d’occasions de rencontres, d’échanges, d’action, de souvenirs, d’engagement au combat et, parfois, de sacrifice. Comme leurs aînés, ceux qui appartiennent à la « quatrième génération du feu » continuent eux aussi de s’engager pour partir, voir du pays et assouvir leur soif d’« Orient » réinventé…

Avec mes remerciements au lieutenant-colonel Antoine Champeaux et à Olivier Blazy.

1 De la conquête de l’Algérie en 1830 jusqu’aux indépendances en 1960-1962, mais en réalité bien en deçà si l’on intègre le premier domaine colonial des « vieilles colonies » sous l’Ancien Régime ; et même au-delà avec les Comores (1975), Djibouti (1977) et les divers statuts des territoires, communautés et départements ultramarins.

2 On parlera dorénavant de « mission civilisatrice ».

3 De nombreuses opérations de l’ère post-coloniale pourraient y figurer.

4 Sur des espaces là encore « stylisés » : le désert, la jungle, la brousse…

5 Extrêmement riche quant aux supports et aux publics visés, au premier chef enfants et adolescents : romans, réclames commerciales, calendriers, brochures, manuels scolaires, abécédaires, buvards, jouets, chansons, cartes postales, grande presse et périodiques spécialisés…

6 S’y ajoutent les promesses d’un retour, hypothétique jusqu’aux années 1900, mais chargé de promotions et de gloire, à en croire encore textes et iconographie patriotiques.

7 Et beaucoup plus tard de Goscinny et Uderzo dans les albums d’Astérix.

8 Ce sera même le titre d’un roman de Roland Dorgelès (Albin Michel, 1926).

9 À ses débuts, en 1899, la tragique mission Voulet-Chanoine nous paraît relever de cette posture.

10 Une image que la Légion dispute aux coloniaux, bien que fondée sur d’autres arguments.

11 Nous ne négligerons pas les autres vecteurs de diffusion mais nous privilégierons affiches, brochures et cartes postales de recrutement car elles s’adressent spécifiquement à de futurs militaires.

12 La naissance de l’imprimerie révolutionna l’affiche par la reproduction et la multiplication des textes. L’invention de la technique de la lithographie par Senefelder en 1798 permit le développement des illustrations. En parallèle, l’affiche commerciale se développa dans le prolongement de l’enseigne des artisans et des commerçants. Elle intégra rapidement l’image, ce qui influença la mise en page de l’affiche officielle : ainsi, les textes officiels furent progressivement illustrés par des petits dessins. Cependant, jusqu’au xixe siècle, l’affiche se résuma souvent à un simple texte typographié. Elles étaient écrites à la main ou bien conçues en série à l’aide de la technique de la gravure et du pochoir. Apportant la couleur, la chromolithographie, mise au point dès 1819, connaîtra son apogée vers 1900.

13 Un nom qu’elle gardera jusqu’à l’indépendance de l’Algérie en 1962.

14 Pour le rôle de la photographie, voir Éric Deroo, La Vie militaire aux colonies, Paris, Gallimard/ecpad, 2009.

15 Voir les récits des marins et auteurs Bougainville, Dumont d’Urville, Francis Garnier, Pierre Loti, Claude Farrère, Victor Ségalen…

16 Fantassins de marine, surnommés marsouins parce qu’ils suivent le sillage des navires, et artilleurs de marine, surnommés bigors parce qu’ils s’incrustent sur les bateaux et les forts des côtes qu’ils protègent, doivent leur origine à Richelieu en 1622. Nul doute depuis lors, du lien étroit entre ces troupes embarquées et la mer, l’horizon, les rivages inconnus…

17 Au même moment, des revues de voyages lues par un large public, Le Tour du monde, La Revue des voyages apportent déjà des informations plus sérieuses sur la planète.

18 Il est d’autant plus vaste et imprécis qu’il englobe pour un engagé la totalité des territoires sur lesquels il peut être amené à servir : du Pacifique à la Guyane, du Gabon à la Chine, du Tonkin à l’Afrique du Nord, de Madagascar à la Mauritanie.

19 La création, par exemple, dans les années 1930, de réserves de minorités à protéger sur les hauts plateaux indochinois ou en Afrique subsahélienne, les études « en vase clos » qu’y mènent les anthropologues et aujourd’hui le tourisme « ethnique » en sont les manifestations les plus récurrentes.

20 Entre 1877 et 1911, on ne recense pas moins de cent soixante-dix « missions d’exploration, politique, hydrographique, topographique, de délimitation, scientifique, de reconnaissance, de recherche, archéologique, d’abornement » ou encore « d’études géologiques, botaniques, forestières, des maladies, des voies de communication ou de pénétration… », soit cent six missions en Afrique occidentale entre 1877 et 1911, sept missions en Afrique orientale entre 1875 et 1900, trente-trois missions en Afrique équatoriale entre 1887 et 1911, et vingt-quatre missions en Asie entre 1882 et 1904. À ces cent soixante-dix missions, il convient d’ajouter celles répertoriées dans la « nomenclature des opérations de guerre et missions périlleuses », celles restées fameuses de Brazza, Gentil-Bretonnet, Joalland-Meynier, Foureau-Lamy et Marchand (Nomenclature des missions d’études ou d’exploration donnant droit à la médaille coloniale, article 2 de la loi du 30 juin 1903, bo/g, pp. 1 139).

21 Et, les traces de cette spécificité, qualifiée d’expertise aujourd’hui, sont toujours très perceptibles dans les références des responsables politiques, du commandement et les motivations des hommes qui partent pour les « nouveaux orients ».

22 Plusieurs dizaines de titres, parfois quotidiens, paraissaient alors, destinés aux diverses armes et services, et au-delà aux nombreux amateurs de la chose militaire.

23 Ou encore : La Guinée militaire, la Revue militaire de l’aof, la Revue militaire de l’aef, la Revue militaire de l’Indochine entre les deux guerres, puis après la Seconde Guerre mondiale, Caravelle (Indochine), La Grande Ile militaire (Madagascar), Troupes d’aof, Nouvelles (Maroc), Byrsa (Tunisie).

24 « Du rôle colonial de l’armée », Revue des Deux Mondes, 15 janvier 1900.

25 Voir à ce propos les actuels carnets de chants des troupes de marine où figure la plupart de ces chansons.

26 « Victorieux sur le terrain mais trahis à Paris par le gouvernement » deviendra un des leitmotive favoris d’une fraction des militaires combattant outre-mer, de l’affaire de Fachoda en 1898 à la guerre d’Algérie, en passant par l’Indochine.

27 On ne reverra ce type d’allégorie fraternelle qu’au moment où la patrie est en danger, comme en 1939.

28 L’État a créé en 1899 l’Office colonial, réorganisé en 1919 sous le nom d’Agence générale des colonies, pour mieux faire connaître l’empire aux Français. De son côté, la direction des troupes coloniales dispose d’un important service, le bureau technique des troupes coloniales (1901), devenu, en 1945, la section d’études et d’information des troupes coloniales.

29 Dès 1929, les régiments des troupes coloniales furent avisés que cet événement devait « faire ressortir la part prise par les marsouins et bigors à la mise en valeur de l’outre-mer français, attirer sur le milieu indigène la sympathie et l’attention de la Nation, éveiller les vocations coloniales tout en améliorant le recrutement des formations appelées à servir hors de métropole ».

30 Yra, Georges Scott, Maurice Toussaint, Georges Dutriac, J.L. Beuzon, Léon Fauret…

31 C’est l’époque où les corps se libèrent, short et chemisette constituent désormais la tenue de travail des coloniaux.

32 La coloniale se bat pourtant encore au Maroc, en Syrie, au Sahara et, épisodiquement, en Indochine.

33 Dès les années 1920, Albert Londres évoque les « colonies en bigoudis »…

34 Un autre auteur, Pierre Mille, popularise la figure de Barnavaux, héros de la coloniale.

35 Martial Doze, Mon ami Launay, Paris, « Collection de l’ancre », 1931.

36 Martial Doze, id.

37 Jean Gabin, interprétant un sous-officier de spahi dans Gueule d’amour en 1937, suscitera nombre de vocations pour les cavaliers d’Afrique.

38 En effet, dans la propagande coloniale, ce n’est pas à proprement parler une nouveauté. En revanche il annonce une évolution, une présence européenne qui ne s’établit plus sur une assimilation pure et simple des populations mais sur une association, source à terme d’autonomie. L’indépendance, nul n’y songe encore.

39 Le film L’Homme du Niger, en 1939, soutenu par le gouvernement, met en scène médecin, architecte et soldat.

40 La montée des périls conduit les artistes à faire figurer à nouveau l’armement sur les affiches.

41 Qui débute en fait avec le coup de force japonais le 9 mars 1945 et qui, en principe, ne verra combattre du côté français que les seuls volontaires.

42 Titre d’un roman de Jean Lartéguy paru en 1965.

43 Le général de Gaulle y avait prononcé un important discours dans ce sens le 30 janvier 1944.

44 Parallèlement à cette évolution politique, les troupes coloniales deviennent troupes d’outre-mer en 1958, avant de reprendre en 1961 leur appellation de tradition, troupes de marine.

45 Il convient, bien entendu, de ne pas oublier la Légion étrangère mais qui obéit encore à d’autres paramètres quant au concept de « partir » et les quelques unités de tradition de l’armée d’Afrique reconstituées, comme les tirailleurs, les spahis ou les chasseurs d’Afrique.

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