N°21 | La réforme perpétuelle

François-Daniel Migeon

Comment mener la bataille pour un meilleur service public

En France, l’histoire administrative, héritée de la Révolution française et de Napoléon, donne à l’État une place particulière dans le quotidien des Français, comme dans leur culture. Faire évoluer cette perception est un défi en soi, sans compter que cette dernière est souvent couplée, dans notre vieux pays, à une crainte vis-à-vis de l’avenir, structurellement plus élevée que chez nos homologues. Faire évoluer l’État, réformer une administration qui s’est stratifiée progressivement sans prendre en compte les évolutions de la société et de nos besoins, c’est une « bataille » en soi. Une bataille contre les gaspillages et la non-qualité, une bataille pour un meilleur service public.

Mais n’est-il pas aujourd’hui nécessaire de sortir de cette « zone de confort » si l’on veut améliorer la qualité du service public et construire une administration plus performante, notamment en raison des contraintes fortes qui pèsent sur les finances publiques ? C’est une bataille stimulante, car l’enjeu est d’apporter une réponse actualisée aux besoins d’une société qui évolue et de maintenir les capacités d’action de l’État. Le défi est grand pour trouver les vecteurs efficaces de modernisation qui permettront à la fois de susciter l’adhésion des agents de l’État et de satisfaire les attentes du public. Cette bataille, c’est aussi un engagement fort prouvant qu’une autre manière de faire est possible au sein de l’administration. Celle-ci dispose désormais d’une capacité collective pour se réformer, qui permettra ainsi de continuer sans trêve l’aventure vers un État durable.

  • Avant la bataille : préparer le terrain,
    planifier la réforme, se donner les moyens de réussir
  • Définir les objectifs

On ne s’engage pas sur un champ de bataille sans savoir quel est l’« état final recherché », et c’est pourquoi l’État a pris ces dernières années trois engagements forts pour se rendre plus agile et plus efficace aux yeux de ses citoyens, et pour soutenir son plan de modernisation : améliorer la qualité du service rendu aux usagers, réduire les dépenses publiques et moderniser la fonction publique. Un triple objectif à remplir pour gagner cette bataille de la transformation, au service de chacun et au service de tous.

L’État a ainsi choisi d’aborder les enjeux de réforme de manière nouvelle en faisant de la qualité du service public l’axe central de son programme de modernisation. C’est une conviction que beaucoup partagent : si notre pays souhaite conserver un service public efficace et pérenne, il devient urgent de le transformer en profondeur. En effet, moderniser, c’est apporter une réponse actualisée aux besoins d’une société qui change. C’est donc se mettre à l’écoute de l’usager et comprendre l’évolution de ses besoins.

Cette exigence de qualité s’est déclinée en objectifs de simplification et d’accélération des services rendus aux usagers. L’objet de la réforme apparaît alors clairement : il s’agit d’améliorer l’efficacité et la réactivité de l’administration. En outre, pour répondre à cet objectif, et face au diagnostic d’une organisation administrative trop compliquée et trop chère, caractérisée par le millefeuille de ses services déconcentrés, l’État s’est donné comme exigence d’améliorer la lisibilité de sa présence dans les territoires.

L’objectif d’une réforme de l’État, c’est aussi d’optimiser ses interventions, c’est-à-dire à la fois d’en réduire les coûts et d’améliorer leur ciblage. L’enjeu est clair dans un contexte de pression sur les finances publiques : il convient de dégager de nouvelles marges de manœuvre budgétaires, et donc de se mettre en capacité de redistribuer et de concentrer les moyens d’intervention. En outre, l’État se doit aussi d’être exemplaire aux yeux des contribuables. C’est pourquoi le dernier programme de réforme a cherché à diminuer le poids des budgets de fonctionnement et à lutter contre les gaspillages, notamment à travers la rationalisation et la mutualisation des fonctions supports. Enfin, car les hommes sont au centre du service public, l’État s’est engagé à moderniser la fonction publique pour rendre les trajectoires de ses agents plus fluides et valoriser ses meilleurs éléments.

Ces objectifs ont permis de mobiliser l’ensemble des ministères sur une série de projets et de donner corps à une grande réforme de modernisation qui vise une seule et même ambition : rendre pérenne le modèle français de service public. Une ambition mue par une conviction forte : la soutenabilité de notre service public exige sa transformation rapide et profonde.

  • Identifier les obstacles à surmonter et les forces en présence

Avant de lancer un programme de transformation sur le terrain, il est essentiel d’identifier clairement les contraintes qui se présenteront et qui résisteront au plan de modernisation. Aussi, au moment de se lancer, il est indispensable de faire face aux conservatismes ou aux déçus des programmes précédents, qui ont vu l’État renoncer au changement. Les exemples ne manquent pas : la fusion du Trésor public et des Impôts maintes fois avortée dans le passé, ou encore le rapprochement des Assedic et de l’anpe, pour ne citer que les plus connus. Connaître les raisons de ces échecs est riche d’enseignements, d’autant plus qu’ils ont tendance à nourrir des peurs irrationnelles et un comportement rétif au changement.

Autrement dit, le défi consiste à redonner confiance à ceux qui l’ont perdue, à ceux qui ne croient plus en la capacité de l’État à se réformer. Redonner confiance à ceux que le changement inquiète, mais également à ceux pour qui rien ne va assez vite ! Une voie d’équilibre est donc à trouver, qui prend d’emblée le risque d’être critiquée de tout bord. Sans compter peut-être une difficulté propre à notre esprit « fort » : à peine une idée est-elle lancée que l’on en vient à la commenter et à en dégager systématiquement tous les effets pervers supposés. C’est la logique française du « premier pas vers le pire », qui a souvent condamné notre pays à préférer le statu quo à la réforme ou le conservatisme à la transformation, aussi insatisfaisants soient-ils.

Décider là où aucun consensus ne se dégage, là ou aucune solution évidente n’émerge, voilà bien le terrain de la réforme de l’État depuis trente ans, voilà aussi la mission qui a été confiée à la révision générale des politiques publiques (rgpp). En outre, cette bataille est menée dans un contexte paradoxal, où les vents de la réforme poussent les troupes de réformateurs sur un terrain miné d’injonctions contraires. En effet, moderniser l’État suppose de répondre à la fois aux attentes des usagers, aux exigences du contribuable et aux désirs des agents publics. Les usagers réclament des informations plus fiables et mieux accessibles et des services publics mieux adaptés à leurs besoins, autrement dit personnalisés et simplifiés, les contribuables exigent des dépenses publiques transparentes et justifiées, tandis que les agents souhaitent une plus grande fluidité et une plus grande mobilité, tout en conservant les valeurs traditionnelles du service public. Par ailleurs, un potentiel important est à mobiliser pour réduire le « gap de confiance » entre les citoyens et les fonctionnaires.

Pour autant, les forces en présence sont nombreuses. Tout d’abord, les nouvelles contraintes budgétaires liées à la crise économique et financière rendent nécessaire la diminution des dépenses de la puissance publique. En d’autres termes, la question n’est plus « pourquoi réformer », mais « comment réformer ». L’État est dans l’obligation de se réformer, ce qui incite tout le monde au mouvement, et à sortir de sa « zone de confort ». Pour cela, le programme de modernisation bénéficie des exercices précédents de réforme qui ont initié le processus et préparé le terrain, notamment les stratégies ministérielles de réforme (2004) et les audits de modernisation (2005). Enfin, l’État dispose d’une opportunité majeure : une démographie favorable au changement, qui vient justifier le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite de 2007 à 2012. Dans ce contexte dense, le succès de la réforme repose aussi en grande partie sur la capacité à dégager une méthode claire de travail et à déterminer les moyens d’action les plus efficaces.

  • Se donner les moyens de gagner la bataille du service

Pour mener à bien cette vaste campagne de modernisation, une nouvelle méthode de travail doit être définie, permettant de battre en brèche les tabous sur la capacité de l’État à se transformer. C’est le choix d’un pilotage politique ferme qui donne une force ainsi qu’une légitimité pour intervenir et accélérer le déploiement de différentes mesures de modernisation (création d’un conseil de modernisation des politiques publiques, coprésidé par le secrétaire général de l’Élysée et le directeur de cabinet du Premier ministre, pour piloter la réforme au plus haut niveau).

C’est aussi le pragmatisme et donc le choix d’une revue systématique de toutes les dépenses, et de toutes les structures susceptibles d’être repensées, réexaminées, et in fine rationalisées. Et d’en assurer le suivi régulier. C’est aussi faire le choix d’une ou de plusieurs normes et de les adapter de manière modulaire selon le contexte, les administrations ou les territoires concernés par la réforme. Par ailleurs, c’est aussi le choix d’une équipe de coordination pour permettre à ceux qui veulent être acteurs du changement de le faire en toute cohérence et de manière accompagnée. C’est là qu’entre en jeu la Direction générale de la modernisation de l’État (dgme), composée d’agents issus en partie de nombreuses administrations (dont un officier de l’armée de terre), de corps d’inspection et de cabinets d’expertise privés. C’est la complémentarité des forces, des expériences, des savoir-faire et des méthodes qui peut permettre l’émergence d’une synergie capable de piloter la réforme. Pour faire vivre celle-ci, l’État fait aussi le choix d’impliquer et de responsabiliser les responsables locaux sur le terrain, notamment dans les services déconcentrés. Cette autonomie conduit au développement des compétences en matière de transformation et de conduite du changement au sein de l’administration qui permettront de mener à bien les futurs plans de modernisation. Enfin, c’est aussi garantir une grande capacité d’écoute des usagers, notamment à travers la constitution d’un panel de cinq mille usagers consultés régulièrement.

  • Sur le champ de bataille : mettre en œuvre les réformes, constater leurs résultats, assumer leurs échecs
  • Des réformes mises en œuvre et de grandes victoires…

De nombreux chantiers ont été lancés ces dernières années. Les victoires obtenues au profit d’une administration plus performante dessinent ensemble les contours de la réforme de l’État.

En premier lieu, la qualité de service s’est améliorée, comme l’atteste la progression du niveau global de satisfaction des usagers mise en évidence par le baromètre semestriel de la qualité des services publics. Une évolution que l’on peut expliquer par la création de guichets uniques comme le guichet fiscal de la Direction générale des finances publiques (dgfip) ou Pôle emploi, le déploiement d’un programme de cent mesures de simplification, qui permet aujourd’hui aux usagers de réaliser 80 % des démarches prioritaires en ligne contre 30 % en 2007. En particulier, un guichet unique des démarches administratives en ligne a été créé, mon.service-public.fr, qui comptabilise aujourd’hui plus de trois millions et demi d’usagers. Par ailleurs, l’amélioration progressive de l’accueil et du traitement des réclamations ou encore les efforts pour accélérer le traitement des démarches administratives courantes portent leurs fruits.

En deuxième lieu, des économies substantielles sur les dépenses de l’État ont été réalisées afin de préparer la France au contexte actuel de tensions sur les finances publiques. Près de dix milliards d’euros d’économies auront été réalisés en 2011 par rapport à 2008. Les économies permises par le dernier programme de modernisation atteindront quinze milliards à compter de 2013. Les efforts réalisés sont structurels, que ce soient la mutualisation des fonctions supports de l’État ou la maîtrise de ses dépenses de personnel. L’inflation continuelle des effectifs a été stoppée en appliquant, de manière différenciée en fonction des secteurs et des priorités, le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux : entre 2008 et 2012, cent cinquante mille fonctionnaires partant en retraite n’auront pas été remplacés, soit près de 7 % des effectifs de l’État.

La présence de l’État dans les territoires a été modernisée. La réforme de l’administration a été menée avec succès et dans des délais rapides avec la constitution de deux ou trois grandes directions départementales selon les territoires et la création autour du préfet de région de huit grandes directions régionales. De même, les fonctions de support ont été mutualisées sur une base interministérielle. Ce chantier se concrétise notamment, au niveau central, par la création des secrétariats généraux chargés de coordonner les programmes de modernisation au niveau ministériel. Par ailleurs, l’État a réorganisé une partie de ses réseaux sur le territoire national, c’est notamment le cas de la carte judiciaire dont les contours actuels permettent de disposer de tribunaux renforcés, polyvalents et plus efficaces.

Enfin, dans un contexte de modernisation profonde de la fonction publique, la moitié des économies dégagées par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a été reversée aux agents entre 2008 et 2012.

  • Mais aussi des revers

La communication liée au dernier programme de réformes fait par exemple partie des revers auxquels il faut pouvoir faire face. L’association de la rgpp au seul « un sur deux » ne lui aura pas porté chance, donnant une image trop comptable de ce programme de transformation.

En outre, certains objectifs initiaux, comme celui de la revue du périmètre de l’action publique et des missions de l’État, n’ont pas été atteints. En effet, l’ensemble des politiques publiques et des domaines d’intervention n’a pas pu être revu. L’évolution du contexte entre le début de cette bataille et sa mise en œuvre (crise financière, économique et budgétaire) a conduit l’État à revoir une partie de son dispositif.

Les frictions inhérentes au « brouillard de la guerre » font souvent partie du jeu militaire. Il en est de même dans la transformation des administrations. Il est dès lors important d’être en mesure de s’adapter. Réformer l’État, c’est être capable de mobiliser des méthodes de modernisation au bon endroit et au bon moment, plutôt que de transposer des solutions toutes faites. C’est dans cet état d’esprit que la dgme a développé à la fois une forte capacité d’expertise sur les enjeux de transformation et une forte capacité d’adaptation selon les spécificités et les besoins des administrations.

  • Après la bataille : tirer les enseignements du combat
    qui a été mené et préparer ceux à venir avec le souci
    de l’esprit de service
  • Retenir les « fondamentaux » d’un programme de modernisation

Un programme de modernisation doit être véritablement porteur de sens pour le plus grand nombre de nos concitoyens et les agents de l’État. C’est une condition d’adhésion sine qua non. D’où l’importance de croire à des valeurs et de les partager autour de soi : l’esprit de service en premier lieu, mais aussi la confiance et la responsabilité.

Un portage au plus haut niveau de l’État qui permet des décisions prises en connaissance de cause et de signifier que l’administration dans son ensemble est concernée, du plus haut niveau jusqu’aux responsables opérationnels des projets. Cette volonté politique associée à la capacité de l’administration centrale à mener cette démarche a permis de donner du sens et une cohérence d’ensemble à une multitude d’interventions, et de sortir de l’effet catalogue au profit de l’identification d’une réforme globale.

Un engagement de transparence envers l’opinion publique, en particulier sur le suivi des résultats obtenus. Il s’agit d’incarner l’idée que les évolutions mises en place n’ont d’intérêt que par leur pertinence pour nos concitoyens au service desquels se trouve l’administration.

Des troupes impliquées sur le terrain. L’implication des agents, des administrations centrales comme des services déconcentrés est fondamentale pour la réussite d’une réforme. Elle permet de faire remonter les expériences de terrain, de s’assurer de l’adaptation des réformes aux besoins et aux spécificités des territoires, et de construire des stratégies viables, robustes et applicables. Cette responsabilisation de l’ensemble des forces administratives doit permettre de créer des capacités de transformation au plan local. L’enjeu est d’engager l’administration française dans une démarche continue de modernisation de ses structures et de son champ d’intervention, et d’ouvrir la voie à de nouvelles réformes initiées dans les administrations et les territoires.

Des dispositifs d’accompagnement du changement ambitieux, en particulier sur les aspects de gestion des ressources humaines. De la mobilisation du dialogue social le plus en amont possible, l’adaptation de l’offre de formation, le suivi de la motivation et de la mobilisation des acteurs impliqués, les règles et modalités de gestion des mobilités et des carrières, la reconnaissance à la valorisation des acteurs engagés, des initiatives concrètes peuvent être prises à l’avenir.

Des résultats concrets rapidement visibles. Cette exigence répond à la nécessité de fournir aux parties prenantes de la réforme – les agents notamment – des « raisons d’espérer » et de s’engager dans la mise en œuvre du programme de modernisation.

Une dynamique interministérielle animée par une structure dédiée. Il est en effet fondamental, d’une part, de donner un rythme, des méthodes et des techniques communes aux acteurs engagés dans la modernisation, et d’en assurer le suivi, et, d’autre part de capitaliser les bonnes pratiques, de les diffuser et d’accompagner les administrations dans le changement.

  • Se tenir toujours prêt à mener de nouvelles batailles
    pour un État agile et durable

Mettre au cœur des politiques publiques et du fonctionnement de l’État les notions d’efficacité et de performance, convaincre l’administration de sa propre capacité à se réformer, savoir prendre le risque du changement et de la confrontation à de nouvelles manières d’agir, d’être ou de travailler, se donner la chance de faire mieux, voilà quel est le sens d’un grand programme de modernisation de l’État. La réforme n’est pas bonne en soi par définition, mais c’est un processus qui ne peut être refusé en tant que tel par peur du changement ou par conservatisme.

Face à l’incertitude du lendemain, dans le contexte de crise que nous connaissons tous, prendre le risque du changement, c’est avoir une chance de faire mieux et d’avancer vers des horizons meilleurs. C’est aussi anticiper pour éviter de mettre en œuvre des mesures plus radicales, que d’autres gouvernements en Europe ont été récemment contraints de prendre. Conduire une réforme de l’État ambitieuse, c’est se donner les moyens de sortir de notre zone de confort afin de tendre vers un État optimal et un service public durable.

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