N°31 | Violence totale

Régis Boyer
Les Vikings
Paris, Perrin, 2015
Régis Boyer, Les Vikings, Perrin

Ce livre apporte une réelle plus-value en termes d’informations, de références et de contexte historique, mais il a le défaut d’être parfois confus pour le non-initié qui se perd dans les subtilités de tel ou tel chef viking ou de telle ou telle saga, et ce sans compter les difficiles repères géographiques et le faible nombre de cartes sur un monde nordique mal maîtrisé par le lecteur latin. Néanmoins, il permet de mettre en perspective les idées reçues concernant la période viking, temps historique souvent réduit aux seuls raids meurtriers des drakkars sur le littoral normand ou anglais, voire déformé, y compris à dessein par les Scandinaves, par les interprétations audiovisuelles ou historiographiques. On notera par exemple que les casques des guerriers venus du nord ne portent pas de cornes. S’appuyant sur les sources écrites, les runes et autres légendes, la numismatique ou l’archéologie, Régis Boyer, imprégné de langue locale, met rapidement en évidence les différentes phases des deux cent cinquante années couvrant la période viking et montre leurs spécificités respectives. La première manifestation des Vikings est donnée en 793 par le raid contre l’abbaye de Lindisfarne dans le Northumberland. La première vague irait donc approximativement de 800 à 850 et s’apparente davantage à de la piraterie. La seconde période voit l’engagement d’effectifs plus importants, avec des actions de plus grande ampleur, notamment en Angleterre ou vers la Russie le long des grands fleuves. Au xe siècle, il s’agit davantage d’installation et de colonisation du Groenland jusqu’à Kiev, en passant par l’Espagne et les bords du Danube. Enfin, de 980 à 1050, la période est rythmée par une lutte de pouvoir entre Danois, Suédois et Norvégiens, qui finit par affaiblir les protagonistes au bénéfice de chefs militaires intégrés depuis longtemps sur de nouvelles zones de peuplement comme Guillaume le Bâtard, futur duc de Normandie.

En outre, il semble difficile de parler d’unité scandinave, que ce soit selon des critères ethnique, géographique ou historique. Le fait viking repose alors plutôt sur une base sociologique (famille), politique (provinces, clans, liens économiques ou militaires) et linguistique. Dès lors, l’auteur essaie ensuite de déterminer les causes principales de cette vague scandinave sur l’Europe. Il décrit l’absence d’opposition sérieuse dans un monde occidental fragilisé et démembré par les rivalités intestines. Il souligne la couardise de certains monarques qui, en payant des rançons, évitent la guerre mais entretiennent le flux des attaques entre deux hivernages. Puis il détaille les quelques supériorités techniques vikings comme les bateaux, la navigation, l’armement (hache, cotte de maille, lance…) avant de conclure par les nécessités du commerce au cœur de la civilisation scandinave. Les Vikings maîtrisent également la guerre psychologique et font preuve, au combat, d’un sens élaboré de la manœuvre avec, notamment, la recherche du débordement par les ailes, une formation en V permettant de briser la cohésion ennemie et l’emploi de réserves pour saisir les opportunités grâce à l’engagement d’unités d’élite. En défensive, ils élaborent des murailles solides et faciles à défendre appelées Danevirke, preuve, une nouvelle fois, de leur génie militaire.

Mais le commerce (de fourrures, d’objets luxueux et surtout d’êtres humains) demeure la principale activité en lien, à partir de 900, avec une colonisation massive vers des terres agricoles plus abondantes. Il faut aussi noter l’application, en Islande par exemple, d’une gouvernance atypique pour l’époque avec les godars, conseils des sages ou de prêtres, et une assemblée législative temporaire, l’alping, qui permet de rythmer la vie sociétale entre les différents clans. Enfin, la vie publique, domestique et quotidienne de ces différents peuples est très bien décrite, l’auteur rentrant dans les détails culturels illustrant ces derniers par des textes anciens, des outils, pièces de monnaie ou vestiges architecturaux. Il conclut son propos en tentant d’expliquer l’affaiblissement du phénomène viking. Il le justifie par la montée en puissance, en Europe, de monarchies centralisées et militairement structurées, par la christianisation progressive des Scandinaves dans un processus d’assimilation régulier et par une inadaptation du commerce « artisanal » viking face aux nouveaux besoins et échelles des échanges mis en place au Moyen Âge.

Ce livre est une source inépuisable de données pour celles et ceux qui veulent approfondir leur connaissance sur les Vikings et apporte au lecteur plus pressé une grille de lecture sur une période mal connue et souvent fantasmée de l’histoire de France en particulier. Il permet également de réfléchir sur ce qui fonde une « surprise stratégique » avec l’avènement d’une nouvelle menace, sa transformation ou hybridation au fil du temps et, in fine, son déclin devant une réponse militaire adaptée comme face à des facteurs endogènes et exogènes plus larges, qu’ils soient politiques, diplomatiques, économiques ou religieux. Enfin, il soulève la question de la construction ou de l’interprétation faite d’un phénomène comme d’un ennemi pour le diaboliser, justifier sa propre faiblesse ou, pour les descendants directs, sublimer un passé et un âge d’or perdu, soulignant de fait un particularisme, une différence ou une cohésion régionale.

Frédéric Jordan

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