N°33 | L'Europe contre la guerre

Frédéric Gout  Olivier Kempf

Comment l’otan pense la guerre aujourd’hui

Créée en 1949 dans le but de dissuader toute agression des pays d’Europe occidentale par le bloc soviétique, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (otan) aurait dû logiquement disparaître après la chute du mur de Berlin et la fin de la menace exercée par le Pacte de Varsovie. Or, non seulement elle s’est maintenue, mais elle s’est élargie. Surtout, elle s’est adaptée au contexte international, ce qui l’a poussée à mener des opérations militaires sans rapport direct avec sa mission première. Très loin des scénarios initialement envisagés, elle s’est trouvée dans la situation de devoir répliquer à l’agression subie par les États-Unis sur leur sol, du fait de terroristes moyen-orientaux, par l’envoi d’un corps expéditionnaire en Asie.

Aujourd’hui, l’otan semble à nouveau se recentrer sur sa vocation initiale : la défense territoriale de l’Europe. C’est du reste la mission essentielle que lui reconnaît l’ensemble de ses membres, jusque et y compris au moyen d’armes nucléaires. Grâce à l’engagement des États-Unis, qui pour l’instant ne s’est jamais démenti, personne ne doute de la capacité de l’Alliance à assurer la protection du territoire européen ni de la valeur dissuasive de son article 51. Cependant, les débats de fond se poursuivent malgré la difficulté d’atteindre un consensus à vingt-huit.

Ainsi, l’otan continue de faire évoluer son cadre conceptuel. De ce point de vue, si l’adaptation de ses missions face à la menace russe s’est révélée tâche aisée de façon à ce qu’elle demeure dissuasive, sa capacité à relever les nouveaux défis du Sud semble plus complexe.

  • Le cadre conceptuel

Le cadre conceptuel de l’otan s’organise autour du concept stratégique, de la planification de défense et de certaines études prospectives.

L’Alliance définit les conditions politiques et militaires de son action au travers d’un document stratégique dénommé « concept ». Les quatre premiers concepts, élaborés pendant la guerre froide (1950, 1952, 1957, 1962) étaient classifiés, mais ceux qui ont suivi le tournant de 1990 ont été rendus publics. Après ceux de 1991 et de 1999, le dernier date de 2010 et a été adopté au sommet de Lisbonne2.

De plus, depuis le sommet de Prague, en 2002, et la création du Commandement allié pour la transformation (act) en 2003, l’otan a profondément remanié son processus de planification de défense3 et complété l’élaboration du concept par un processus cyclique quadri annuel, plus connu sous son acronyme anglais de ndpp (nato Defence Planning Process), dont le but est de traduire le niveau d’ambition militaire de l’Alliance en une programmation détaillée d’acquisition des capacités.

L’une des plus importantes étapes de ce processus est la directive politique, qui consiste, dans la foulée du concept, à répondre à la question cruciale : qu’est-ce que l’Alliance veut être capable de faire militairement ? Elle a été réactualisée en 2014, dans le prolongement du sommet de Newport. Il s’agit d’un document classifié.

Vient ensuite la phase de détermination des capacités, dans une approche top-down (Quelles sont nos ambitions ? Quels sont les moyens nécessaires pour les satisfaire ?), qui se conclue par une phase de répartition entre les vingt-huit alliés de façon à déterminer les efforts que chacun s’engage à consentir afin de contribuer à la réalisation des missions définies dans le concept.

Enfin, sous l’impulsion du dernier commandant suprême pour la transformation de l’Alliance (sact), le général Jean-Paul Paloméros, l’otan a jugé utile de compléter ce processus sophistiqué par deux nouveaux types de documents. Le premier est le Strategic Foresight Analysis, dont la première publication date d’octobre 20134 et qui a déjà été mis à jour une première fois en novembre 20155. Il s’agit d’éclairer l’élaboration du concept par une analyse pluridisciplinaire des tendances globales. C’est ce que nous faisons en France au travers des « horizons stratégiques » élaborés par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (dgris)6. Le second est le Framework for Future Alliance Operations, élaboré en août 20157 et qui s’efforce de déduire des évolutions globales anticipées les conséquences militaires que celles-ci recèlent afin, là encore, d’éclairer la définition du prochain concept stratégique ou sa mise à jour. Ce document est une sorte d’analyse approfondie.

Cependant, entre le document cadre qu’est le concept et le processus capacitaire qu’est le ndpp, il manquait un document intermédiaire, que l’on pourrait désigner par une stratégie militaire déclinant les ambitions de stratégie générale énoncées par le concept. Aussi les chefs d’état-major des armées (cema) réunis en comité militaire ont adopté en 2015 un tel document. Il est important car il définit quatre missions types : dissuader, contenir, protéger, projeter. Toutes quatre peuvent répondre aux différentes menaces et défis du moment, à l’Est comme au Sud, tout en traduisant les trois missions majeures du concept, qui seront détaillées plus en avant. Le lecteur français notera la correspondance avec quatre des cinq fonctions stratégiques du Livre blanc, à quelques précisions près : il s’agit de contenir et non de prévenir, tandis que la dissuasion s’entend comme n’étant pas seulement nucléaire mais aussi conventionnelle. La fonction « connaissance anticipation » n’apparaît pas dans cette stratégie militaire.

  • La facile adaptation des missions principales
    à la menace russe

Le texte du dernier concept de l’otan, adopté au sommet de Lisbonne en 2010, est court (trente-huit articles) et assigne trois missions principales (core tasks) à l’Alliance : la « défense collective », la « gestion de crise » et la « sécurité coopérative ». La première décrit la mission qui date des origines et qui prévoit notamment la mise en œuvre de l’article 5 du traité. La deuxième répondait à l’expérience des deux décennies post-guerre froide, avec des opérations extérieures dans les Balkans dans les années 1990 et en Afghanistan dans les années 2000. Enfin, la troisième encadre les relations de coopération avec les partenaires8 ou avec les institutions internationales, principalement l’Union européenne (ue), mais aussi l’Organisation des Nations Unies (onu), l’Union africaine (ua) ou la Ligue arabe.

Pendant la préparation du sommet du Pays de Galles d’août 2014, les Alliés se sont posé des questions existentielles. Certes, le retrait d’Afghanistan mettait fin au « moment expéditionnaire », débuté vingt ans plus tôt dans les Balkans. Mais quel cap donner désormais à l’Alliance ? Comment intégrer les menées russes en Ukraine, qui se sont traduites par la remise en cause par la violence des frontières héritées de la guerre froide ? Sans aucun doute, l’otan devait retrouver son rôle premier de protection du territoire européen. La question était de savoir si l’on pouvait continuer à s’accommoder du concept de 2010 ou s’il convenait d’en réécrire un nouveau. Il est vrai que certains articles, en particulier les 33 et 34, ont mal vieilli. À l’heure où la défiance règne entre la Russie et les Occidentaux, continuer à évoquer un « véritable partenariat stratégique entre l’otan et la Russie », « solide et constructif », est inacceptable pour certains. Néanmoins, les Alliés ont décidé de ne pas modifier le concept alors que le prochain sommet, prévu en juillet 2016 à Varsovie, aurait pu leur en fournir l’occasion.

Ainsi l’Alliance revient-elle à ses fondamentaux, à savoir la défense collective, prenant un certain nombre de mesures de réassurance, notamment à destination des pays d’Europe centrale et orientale. Pour ce faire, elle a adopté un Plan d’action réactivité (Readiness Action Plan, rap) qui passe par le « triplement des effectifs de la Force de réaction de l’otan (nato Response Force, nrf), la création d’une force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (Very High Readiness Joint Task Force, vjtf) capable de se déployer très rapidement, et le renforcement des forces navales permanentes. De même, sur le plan logistique, « pour faciliter la réactivité et le déploiement rapide des forces, les six premières unités d’intégration des forces otan (nato Force Integration Units, nfiu) – qui sont des qg de petite taille – ont été activées en Europe centrale et orientale. Deux autres nfiu seront mises en place en Hongrie et en Slovaquie. Des qg pour le corps multinational Nord-Est à Szczecin (Pologne) et la division multinationale Sud-Est à Bucarest (Roumanie) seront créés, de même qu’un qg permanent de groupement de soutien logistique interarmées ». Enfin, l’Alliance a repris un vaste programme d’entraînement, avec notamment l’exercice Trident Juncture 2015, qui a engagé trente-cinq mille hommes, soixante navires et cent quarante avions.

Outre ces décisions, un certain nombre de débats sur des questions stratégiques ont eu lieu au sein de l’Alliance. Le premier porte sur la question du nucléaire. En effet, les Alliés ont observé que Vladimir Poutine n’avait pas hésité à agiter la menace de l’emploi d’armes nucléaires au moment de l’affaire ukrainienne, soit en médiatisant des exercices nucléaires, soit par le truchement de déclarations ambiguës rappelant la puissance russe en la matière. De même, chacun s’est aperçu de la remontée en puissance capacitaire opérée par les Russes en matière de dissuasion depuis quinze ans. Ces travaux demeurent confinés à des cercles restreints : ils devraient néanmoins alerter les stratèges français sur le retour de la question nucléaire en Europe, chose trop souvent négligée par rapport à la menace djihadiste.

Un autre débat, lui aussi issu des opérations menées par la Russie en Ukraine, est celui de la « guerre hybride »9. En effet, l’utilisation coordonnée de forces spéciales sous uniforme non identifiable – les célèbres « petits hommes verts » –, de moyens de propagande voire de guerre économique, ainsi que les manœuvres dans le cyberespace ont ouvert un nouveau chapitre dans l’art de la guerre. Certes, l’utilisation de tous les moyens à disposition ne devrait pas surprendre les lecteurs de Lucien Poirier et son approche de la stratégie intégrale, ou ceux des colonels Qiao et Wang10, représentatifs de la nouvelle pensée stratégique chinoise. Cependant, le mélange d’actions traditionnelles et d’actions irrégulières renouvelle le débat sur les guerres asymétriques, qui avait été bien défini au cours de la décennie 2000 à la suite des opérations en Afghanistan et en Irak. Ce procédé propre à la Russie se révélera-t-il également valable pour analyser les progrès de l’État islamique (ei)11 ? L’Alliance a en tout cas travaillé assidûment ces questions.

Simultanément, le renforcement des capacités de la Russie, que ce soit à ses confins ou sur le théâtre syrien, a suscité une nouvelle question, celle de l’a2/ad (Anti-Access, Area Denial, « Déni d’accès et interdiction sur zone »12). À l’origine, le concept a été développé par les Américains dans le cadre de la stratégie chinoise en mer de Chine. Son application éventuelle aux mers qui baignent la Russie (mer Blanche, mer Baltique, mer Noire) pose la question de l’efficacité du dispositif de réaction rapide, principalement au profit des États baltes.

Le dernier objet de discussion stratégique est celui du cyber. Lors du sommet du pays de Galles, les Alliés ont décidé que les attaques menées dans le cyberespace entreraient dans le cadre de l’article 5 et pourraient de ce fait déclencher une réponse collective de l’Alliance. Bien sûr, chaque membre demeure responsable de sa propre cyberdéfense, mais l’Alliance favorise une coordination opérationnelle. La question qui se pose dans le cadre de la préparation du sommet de Varsovie est celle des développements à apporter à cette cyberdéfense commune et particulièrement son opérationnalisation, autrement dit : comment passer d’une simple cyberprotection à une cyberdéfense plus robuste.

On le voit, les débats touchant à l’adaptation du cœur des missions de l’Alliance sont nombreux. Ils sont néanmoins relativement faciles à conduire dans la mesure où chacun y trouve son intérêt et où l’interopérabilité des forces de l’Alliance en ressort accrue. Les choses sont moins simples pour ce qui concerne les défis venant du Sud.

  • L’adaptation peu convaincante de l’otan
    face aux défis venus du Sud

Le sommet qui s’est tenu au Pays de Galles en septembre 2014, en pleine crise ukrainienne, est marqué par l’irruption sur la scène internationale de l’État islamique13 du fait de ses exactions médiatisées qui débutent avec la décapitation du journaliste américain James Foley et la proclamation du califat le 29 juin 2014. L’ei, qui a conquis la ville de Mossoul, opère la jonction des théâtres irakien et syrien. Face à cela, l’Alliance atlantique n’est pas sollicitée par ses membres. Une coalition anti-ei est formée au mois d’août 2014, dirigée par les États-Unis et regroupant plusieurs pays européens et arabes. Mais cette coalition s’organise en dehors du cadre de l’otan, alors qu’on se souvient qu’en 2011 les Britanniques avaient exigé que l’intervention conjointe que nous avions menée avec eux en Libye s’inscrive dans le cadre de l’Alliance.

Dans le même temps, l’otan est peu active face à la crise migratoire qui affecte l’Europe depuis le début des années 2010. Il y a à cela des raisons juridiques : la question migratoire est du ressort exclusif de l’Union européenne et de ses États membres ; s’en mêler serait de l’ingérence. Toutefois, l’amplification brutale de cette crise en 2015 conjuguée au fait que certains acteurs terroristes des événements de Paris ont emprunté la filière migratoire peut remettre en question cette discrétion.

La réalité est que l’Alliance est plutôt gênée alors qu’elle se concentre sur l’attitude à tenir face à la Russie. Il lui est dès lors difficile de se lancer dans de nouveaux travaux alors que les états-majors continuent à planifier et mettre en œuvre les décisions de Newport. En outre, affirmer que ce qui a été mis en place pour contrer la menace de l’Est peut également servir pour faire face à toute menace du Sud ne convainc pas, devant la nature trop différente des moyens nécessaires pour y faire face.

Ensuite, fondamentalement, les membres de l’Alliance sont très divisés quant à la hiérarchie des menaces à établir. Les États d’Europe de l’Est ne veulent pas que la prise en compte des nouvelles menaces venues du Sud détourne les yeux de l’Alliance de la menace russe. L’otan considère, non sans arguments, que d’autres acteurs peuvent légitimement développer leur propre stratégie au Sud (Nations Unies, Union européenne, Union africaine entre autres) et se positionne délibérément en soutien, pour ne pas dire retrait.

Pour expliquer l’embarras de l’otan face aux menaces venues du Sud, il faut également prendre en compte la grande « fatigue expéditionnaire » (de nature politique plus que militaire). En 2014, l’Alliance met fin à sa participation à la Force internationale d’assistance et de sécurité (fias), clôturant ainsi un cycle commencé vingt ans plus tôt. Elle met en place une mission d’assistance, Resolute Support, d’environ douze mille hommes. Il s’agit en fait d’organiser la sortie d’Afghanistan, après dix ans d’intervention. Cette opération a été l’occasion de se confronter à un nouveau type de conflit, dit asymétrique ou irrégulier. Les débats furent nombreux autour de la stratégie de contre-insurrection à adopter et se traduisirent par une « approche globale », qui cherchait à conjuguer l’action militaire à d’autres modes d’action tels que la sécurité, le développement, la stabilisation institutionnelle… L’Alliance sort de l’expérience afghane insatisfaite. Et il faut convenir que l’opération « Protecteur unifié » menée en Libye, en 2011, victoire militaire mais échec politique, fait figure de repoussoir pour les membres de l’Alliance et joue le rôle d’une puissante corde de rappel incitant à la prudence envers toute nouvelle intervention.

Toutes ces raisons conjuguées expliquent la forte répugnance de l’Alliance à intervenir une nouvelle fois en dehors de ses frontières. Il s’y ajoute la complexité des situations politiques et militaires dans les territoires concernés (Syrie, Irak, Yémen, Libye, Sahel), la multiplicité des acteurs et des intentions, la nécessaire prise en compte de problématiques civiles telles que la différence entre migrants et réfugiés, autant de difficultés que l’Alliance, à vocation d’abord militaire, ne veut pas considérer. Ajoutons que certains pays du Sud sont réservés face à l’idée que l’Alliance ait un rôle dans cette partie du monde.

Est-ce à dire que l’otan a exclu le Sud de sa zone d’intérêt et de responsabilité ? Les débats au sein du Conseil de l’Atlantique Nord (nac) et du Comité militaire montrent que tel n’est pas le cas. Plus simplement, trouver un consensus sur des questions de cette nature et qui engagerait l’otan sur le long terme est complexe. Et de fait, le secrétaire général et le président du Comité militaire ne ménagent pas leurs efforts pour faire en sorte que le Sud reste bien dans les préoccupations de l’otan dans l’agenda du sommet de Varsovie.

Évoquons d’abord ce qui existe. Les partenariats conclus par l’otan dans le cadre de sa mission de « sécurité collective » ont produit des résultats très positifs. Des pays très différents se sont engagés dans un dialogue permanent au moyen d’exercices, d’opérations communes ou de coalitions ad hoc. L’interopérabilité des forces armées des nations de l’Alliance et des pays partenaires s’est fortement développée et améliorée, ce qui a par exemple permis de créer une coalition de lutte contre l’ei sans difficulté majeure.

L’otan a par ailleurs contribué à augmenter les capacités militaires de certains partenaires tels que la Géorgie, la Jordanie, la Moldavie et l’Irak, à travers ce qu’il est convenu d’appeler dans le jargon otanien le dcb (Defence Capacity Building). Cette aide s’est révélée très efficace dans des domaines tels que celui de la formation des techniciens ou des cadres. N’oublions pas que ces actions viennent en complément de multiples coopérations bilatérales qui existent et évoluent en fonction du contexte régional ou international. De nombreux pays (États-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Italie…) renforcent leurs coopérations en Afrique du Nord et au Moyen-Orient dans le domaine du contre-terrorisme. Une étude est en cours pour chercher à s’appuyer sur cette expérience réussie et l’étendre à des pays comme la Jordanie ou la mettre en place sous cette forme plus large dans des pays qui occupent une position stratégique comme la Tunisie.

Par ailleurs, dans le cadre de la crise des migrants, l’otan vient de décider de mettre en place un groupe naval en mer Égée. Coordonné avec la mission frontex de l’Union européenne en Méditerranée, ce groupe naval apporte une capacité de renseignement et de dissuasion dans la zone la plus sensible de passage entre la Turquie et la Grèce, route naturelle des migrants venus d’Orient. L’opération navale Active Endeavour14 contribue plus largement à la sécurité de toute la zone de la Méditerranée. D’autres initiatives se développent, comme le débat sur la résilience, qualité essentielle de nos sociétés pour faire face au terrorisme.

Ces initiatives demeurent ancrées dans une stratégie de prévention visant à « projeter la stabilité » au-delà des frontières de l’Alliance – selon la formule qui sera adoptée à Varsovie. Les membres de celle-ci se sont ralliés à la doctrine Obama qui consiste à se désengager opérationnellement des zones de crise, notamment au Moyen-Orient. Cette doctrine n’accorde qu’une part relative à l’outil militaire dans la solution de crises multidimensionnelles. Peut-être cette part est-elle trop faible ? L’outil militaire peut apporter des résultats décisifs, comme ce fut le cas avec les opérations contre la piraterie dans le golfe d’Aden, dans l’opération française au Mali ou dans la récente intervention russe en Syrie. Toujours est-il que l’Alliance hésite à tourner son regard vers le sud, consciente des défis mais encore à la recherche de solutions.

  • Pour conclure

L’Alliance atlantique semble aujourd’hui plongée dans un embarras conceptuel. Si elle est revenue tout naturellement à sa mission première de défense collective du territoire européen et poursuit efficacement celle plus récente de sécurité coopérative, elle semble en revanche plus hésitante pour remplir et pour concevoir sa troisième mission : la gestion de crises. Cette incapacité s’explique par des raisons politiques, en particulier la « fatigue expéditionnaire ». Mais plus fondamentalement, l’otan peine à imaginer ce que pourrait être une stratégie militaire adaptée à ce type de situations. Pourtant, loin du Peacekeeping des années 1990 et du State building des années 2000, un nouveau concept d’engagement restreint, avec des objectifs clairs et limités, apparaît de plus en plus nécessaire si les membres de l’Alliance veulent réellement assurer une défense de l’avant du territoire européen.

1 « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. »

3 Pour une approche récente du Defence Planning, voir Frédéric Mauro et Klaus Thoma, « The future of European Defence Research », étude pour le Parlement européen. Accessible à europarl.europa.eu/RegData/etudes/ STUD/2016/535003/EXPO_STU (2016) 535003_EN.pdf

8 L’otan a noué plusieurs cadres de partenariat : le partenariat pour la paix avec les pays d’Europe et d’Asie centrale (1994), le dialogue méditerranéen avec les pays d’Afrique du Nord et du Levant (1994), l’initiative de coopération d’Istanbul avec quelques pays du golfe Persique (2004) et, enfin, une série de partenariats individuels « autour du monde » avec un certain nombre de pays asiatiques ou océaniques (Japon, Corée du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande, Mongolie…).

9 Voir « La guerre hybride », Revue Défense nationale, mars 2016 ; A. Jacobs, G. Lasconjarias, “nato’s Hybrid Flanks. Handling Unconventional Warfare in the South and the East”, ndc Research Paper 112, août 2015.

10 Voir L. Qiao et X. Wang, La Guerre hors limites, Paris, Payot, 2003, ou O. Kempf, « L’indirection de la guerre », Politique étrangère, hiver 2015.

11 L’hybride se situerait entre l’étatique et l’irrégulier. Si un État peut « descendre » vers l’irrégulier (cas de la Russie), un irrégulier (l’État islamique) peut-il « monter » à l’étatique ? Le processus a-t-il la même signification et donc les mêmes réponses ? La question n’est pas tranchée, ce que suggère d’ailleurs l’absence de définition agréée de la « guerre hybride ».

12 L’a2/ad est constituée de plusieurs systèmes de défense antiaérienne, antinavire et antimissile couplés à un système de radars et de guerre électronique. Il s’agit de prévenir l’accès de forces ennemies (anti-accès) mais aussi leur manœuvre une fois débarquées (déni sur zone) sur un territoire donné. C’est donc d’un dispositif défensif des approches maritimes, adapté aux conditions modernes du combat aéromaritime.

13 « Al-Qaida en Irak » devient l’« État islamique en Irak » en 2006, puis l’« État islamique en Irak et en Syrie (ou au Levant) » – ce qui donne ISIS ou ISIL en anglais – en 2013 et, finalement, l’« État islamique » en 2014, également connu par son acronyme arabe de « Daesh ».

14 Opération sous couvert de l’article 5, dédiée à contrer le terrorisme en Méditerranée, lancée en 2001 après les attentats de New York.

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