N°43 | Espaces

Axel Roche

L’espace sous-marin

Opaque et incertain, propice à l’action

Milieu hostile sans lumière ni oxygène, soumis aux lois de Pascal et d’Archimède, le monde sous-marin est resté longtemps inaccessible à l’homme. Aujourd’hui encore, 95 % des fonds océaniques demeurent inexplorés et plus d’un millier d’espèces marines sont découvertes chaque année. La surface de la Lune est mieux cartographiée que le fond des mers ! En 2005, le sous-marin américain uss San Francisco (classe Los Angeles) en a fait l’amer constat en entrant en collision, à plus de vingt-cinq nœuds, avec un mont sous-marin mal cartographié à trois cent cinquante milles nautiques au sud de Guam dans le Pacifique. Le choc fut si fort qu’il manqua de couler car ses ballasts avant étaient détruits.

  • Un espace inconnu, convoité et propice
    au déploiement de puissance

L’hostilité de cet espace ne repousse pas pour autant les explorateurs. Riche en matières premières là où son statut juridique offre certaines libertés pour mener des campagnes de prospection et d’exploitation, son intérêt est aujourd’hui économique. Les ressources naturelles sous-marines sont halieutiques, minières, mais aussi pétrolières, gazières ou liées aux énergies renouvelables. L’exploitation pétrolière offshore compte pour près du tiers de la production mondiale et 26 % des réserves connues sont situées dans les fonds marins. Cette part monte à 50 % lorsque l’on prend en compte les réserves des mers profondes et arctiques. Les zones objets de toutes les attentions des compagnies pétrolières sont localisées dans le golfe Arabo-Persique, dans le golfe de Guinée, mais également en mer de Norvège, dans l’Arctique, et depuis peu au large de la Guyane et de Chypre. À mesure que le prix d’extraction augmente à terre, la prospection et les forages en mer deviennent rentables, ce qui explique la multiplication des plateformes pétrolières offshore, qui engagent l’espace sous-marin. Le droit de la mer attribue aux États côtiers une exclusivité sur l’exploitation des ressources du sol, du sous-sol et de toute ressource naturelle dans la zone économique exclusive (zee) située au large, jusqu’à deux cents milles nautiques des côtes. La question des câbles sous-marins doit aussi être évoquée quand on parle des activités civiles de l’espace sous-marin, car ce domaine est devenu véritablement stratégique. En effet, 95 % des communications sont portées par ces câbles, ce qui représente une vulnérabilité exploitable par des adversaires possédant les moyens d’intervenir à plusieurs milliers de mètres de profondeur. Le monde sous-marin est ainsi devenu un espace de convoitise et de friction.

Grâce à ses territoires d’outre-mer, la France possède un espace maritime s’étendant sur dix millions sept cent mille kilomètres carrés, ce qui représente le deuxième plus grand domaine derrière les États-Unis. Il est intéressant de noter que, depuis l’entrée en vigueur, en 1994, de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer signée en 1982, le plateau continental est désormais juridiquement extensible jusqu’à trois cent cinquante milles nautiques des côtes. Dans ce cas, au-delà des deux cents milles marquant la limite de la zone économique exclusive, l’extension ne porte que sur le plateau continental, c’est-à-dire le sol et le sous-sol des mers, et les droits sur la zee demeurent inchangés. Dit autrement, les droits exclusifs d’exploitation des fonds marins augmentent, mais pas les droits sur les eaux, comme la pêche. La France a alors obtenu le titre de première nation sous-maritime, car son plateau continental, déclaré auprès de l’autorité internationale des fonds marins, est le plus grand de la planète. Cela lui donne des responsabilités dans la réglementation des activités sous-marines, halieutiques et offshore sur de très vastes espaces.

L’espace sous-marin est surtout l’espace de manœuvre des principales marines de guerre déployant des sous-marins conventionnels ou nucléaires. Cette arme apparaît pendant la guerre d’Indépendance américaine alors que le Britannique David Bushnell vient d’inventer le premier sous-marin militaire. Une nuit d’août 1776, le sergent Ezra Lee, servant dans l’armée du général Washington, manœuvra la Tortue au ras de l’eau vers l’escadre britannique au mouillage dans la baie d’Hudson en se guidant avec un baromètre de profondeur, une sonde et une boussole. Une charge de poudre devait être fixée discrètement sur la coque du navire ennemi, mais Lee ne parviendra pas à couler sa cible malgré deux tentatives.

Ce sont les deux guerres mondiales qui vont révéler l’utilité des sous-marins aux stratèges. Dès 1914, cette arme transforme le combat naval en guerre totale, s’attaquant indistinctement aux bâtiments de guerre et aux navires de commerce. Le 22 septembre 1914, un u9 allemand torpille à lui seul trois croiseurs anglais en mer du Nord. Le 7 mai 1915, mille cent quatre-vingt-dix-huit civils meurent à bord du paquebot Lusitania attaqué par un sous-marin allemand. Pour forcer l’ennemi britannique à sortir du conflit, l’Empire allemand mène avec ses U-Boot une guerre de course destinée à couper les flux d’approvisionnement du Royaume-Uni ; pour le seul mois d’avril 1917, les Alliés perdent neuf cent mille tonnes de marchandises. En 1922, la conférence navale de Washington tentera d’interdire le sous-marin jugé comme une arme déloyale. Mais, dès le début de la Seconde Guerre mondiale, les sous-marins allemands, se déplaçant en meute, sèment la terreur. En six mois, ils coulent plus de six cents navires. Winston Churchill raconte dans ses Mémoires qu’ils étaient la seule menace qu’il redouta vraiment. Les Alliés ont alors adapté les techniques de lutte, en développant certains systèmes de détection comme l’Anti Submarine Detection & Identification Committee (asdic), montés sur des frégates, ou les radars aéroportés installés sur les avions de patrouille maritime, afin de protéger les convois organisés à travers l’Atlantique. Ainsi, 90 % des sous-marins allemands ont été coulés et 75 % des équipages ne sont jamais remontés à la surface.

La guerre froide a ensuite consacré le rôle des sous-marins dont la propulsion est devenue nucléaire et qui sont désormais chargés d’assurer la dissuasion grâce aux missiles intercontinentaux embarqués à bord. Refusant l’affrontement direct, les grandes puissances ont ainsi fait de l’espace sous-marin le théâtre d’une compétition stratégique et d’opérations de chasse intenses. Dans les profondeurs de l’océan, les submersibles soviétiques d’un côté, américains, français et britanniques de l’autre, se sont poursuivis, cherchant à profiter de l’opacité de cet espace pour se diluer et menacer le camp adverse.

Avec les sous-marins nucléaires lanceurs d’engin, la mission change de nature : ils deviennent invisibles, indétectables, même pour leur propre pays. Les récits des pistages sont rares car marqués par le sceau du secret. Les opérations réussies ne font pas parler d’elles, mais des collisions ont pu se produire lors de pistages trop rapprochés. Elles sont parfois rapportées par des auteurs bien informés et témoignent de ces duels en immersion. Dans Sous-marins en opérations, Jean-Marie Mathey évoque le cas du sous-marin d’attaque américain uss Tautog, de la classe Sturgeon, qui serait entré en collision avec le K-108 soviétique de la classe Echo II, au large du Kamtchatka en juin 1970. L’abordage aurait eu lieu alors que le K-108 effectuait une manœuvre évasive nommée « Ivan le fou », qui consiste à faire un demi-tour pour vérifier ses arrières. Ce changement de cap brutal, destiné à surprendre le pisteur, a créé les conditions de la collision entre les deux bâtiments naviguant à la même immersion.

  • Un espace opaque, marqué par l’incertitude
    et le principe de concentration des efforts

L’espace sous-marin est un espace stratégique qui tire sa force de son opacité, favorable au déploiement discret de submersibles. Si, par temps clair, on peut voir jusqu’au plus profond des galaxies, la perception de ce qui se déroule sous les mers est beaucoup plus troublée. À cent mètres de profondeur, l’obscurité totale règne, seuls les sons permettent de se guider, car le « monde du silence » a des secrets à révéler pour qui sait les entendre. Chaque couche d’eau dispose de particularités physiques qui lui sont propres, telles que la température, la salinité ou la pression, et qui modifient la propagation du son. Des zones d’ombre existent, comme des trous noirs, desquels aucun bruit ne rentre ni ne sort : un sous-marin peut s’approcher au plus près de sa cible sans jamais être détecté. Les zones de convergence des rayons sonores, au contraire, concentrent les bruits ; elles sont très favorables à l’écoute, mais un sous-marin qui cherche à s’y cacher y est très vulnérable.

Les bruits sous-marins sont classés en fonction de leur fréquence, un peu comme des chanteurs dans une chorale : les plus basses fréquences portent très loin tandis que les plus hautes se propagent peu. Certains bruits peuvent être perçus à des centaines de kilomètres et trahir la présence d’un bâtiment dont la « signature acoustique » serait trop indiscrète. Grâce à des innovations technologiques remarquables, les submersibles modernes font désormais moins de bruit que la mer !

Dans la guerre sous-marine, il est donc essentiel de maîtriser son environnement. La propagation du son est perturbée par la météo, par le relief sous-marin, ou par les activités civiles comme les plateformes pétrolières ou la navigation commerciale. Cet ensemble de discontinuités représente des opportunités pour se dissimuler dans un espace de plus en plus fréquenté. L’une des tactiques à la disposition des commandants consiste à placer le sous-marin en plongée sous un navire de surface, à naviguer au même cap et à la même vitesse que lui, et ainsi disparaître derrière sa signature acoustique. Un effort considérable a été mené par les marines militaires dans l’étude de la propagation des ondes acoustiques et dans la connaissance du milieu pour répondre au besoin de détection. Le Service hydrographique et océanographique de la marine (shom) et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (ifremer) ont été créés pour mieux connaître l’environnement sous-marin. L’asdic est ainsi devenu le Sound Navigation and Ranging (sonar), l’équivalent en acoustique sous-marine du radar. L’espace sous-marin s’éclaire peu à peu, compliquant la tâche des sous-marins qui doivent s’exposer pour s’approcher de leur cible.

Ainsi, le sous-marin navigue en eaux troubles, au milieu d’un brouillard de la guerre que Clausewitz n’avait probablement pas imaginé. Si l’opacité de l’espace dans lequel il évolue est à son avantage, il est également plongé dans un monde d’incertitudes. Comme tous les aveugles, il possède une ouïe incroyablement fine grâce à ses sonars qui lui permettent de capter les bruits les plus faibles, rayonnés par les navires qui l’entourent. Hélice, moteur diesel, pompe de cale, craquement de coque, écoulement d’eau : tout s’entend sous la mer ! En restant toujours silencieux, il reconstitue la situation tactique en élaborant la route, la vitesse et la distance des « bruiteurs ». La navigation sous-marine est complexe, car plusieurs solutions sont possibles pour positionner ces navires. Ainsi, il existe une marge d’incertitude laissant une part importante à l’appréciation du sous-marinier.

Dans un premier temps, ce sont les solutions les plus défavorables qui sont retenues. Quoiqu’un peu anxiogène, cette méthode garantit la sécurité et la conservation de l’avantage tactique. Puis, une observation prolongée de la situation permet de converger vers des solutions fiables et de sortir de l’ambiguïté. La manœuvre de reprise de vue, qui consiste à passer de l’immersion de sécurité à l’immersion périscopique, est le moment où la représentation mentale se confronte avec la réalité. Les surprises sont fréquentes : un navire à l’arrêt qui n’a pas été détecté, un autre plus proche que ce que l’on attendait, une classification erronée… Car ces « bruiteurs » sont identifiés par les oreilles d’or, ces analystes de guerre acoustique capables de faire la différence entre un cachalot et un sous-marin nucléaire. Le Chant du loup (2019) d’Antonin Baudry a mis en scène l’un de ces experts avec le personnage de Chanteraide. Il y présente toute l’incertitude qui existe autour de la classification d’un contact sous-marin : existe-t-il un sous-marin à quatre pales ? Chanteraide sait que non, mais son expérience le fait douter. Les sous-marins sont classifiés avec certitude uniquement lorsqu’on les voit en surface, mais alors il est déjà trop tard. C’est la perception d’une succession d’indices, de l’enrichissement de la signature acoustique à l’observation de manœuvres caractéristiques, comme celle d’« Ivan le fou », qui permet de gagner en confiance sur la nature du contact. Là encore, le temps est une donnée fondamentale pour sortir de l’ambiguïté, mais il n’est pas toujours à la disposition du commandant qui doit alors décider dans l’incertitude.

L’incertitude est également présente dans la navigation sous-marine, uniquement inertielle car les signaux gps ne pénètrent pas sous l’eau. Les centrales inertielles délivrent une position plus ou moins précise en fonction des technologies utilisées. Une erreur accompagne en permanence la position du sous-marin qui navigue non plus sur un point, mais dans une aire de présence. Tout l’enjeu est de ne pas faire entrer de hauts-fonds dans cet espace vital. En haute mer, cela ne pose pas de problème insurmontable, mais près des côtes, il faut corréler la navigation inertielle avec des méthodes qui ont fait leurs preuves, comme la navigation à la sonde. Ainsi des sonars de Bottom Mapping équipent aujourd’hui les sous-marins afin d’améliorer la précision de la navigation près des côtes, mais leur fonctionnement est actif, c’est-à-dire qu’il impose des indiscrétions pour positionner les obstacles.

Enfin, face à un autre sous-marin, l’incertitude est subjuguée pour tenir le contact. L’immersion du pisté n’étant pas connue du pisteur, le risque de collision est présent dans tous les esprits au poste de conduite navigation opération. Avant même de parler de combat, il faut être capable d’éviter un tel choc, qui peut survenir suite à une mauvaise appréciation des manœuvres adverses. Comprendre ces évolutions tout en se tenant à distance est la clef de la réussite d’un pistage, mais n’est acquise qu’au prix de manœuvres pensées avec précision et validées par le commandant ou son second. Dans ces situations, la prudence et l’audace se complètent pour ne jamais perdre une opportunité de recueillir une information supplémentaire et gagner l’avantage tactique sur un adversaire invisible.

En raison de son opacité et des incertitudes qui l’habitent, la maîtrise totale de l’espace sous-marin semble illusoire. Le principe de concentration des efforts s’applique sous la mer de la même manière qu’en surface, or la taille de cet espace se compte en milliers de milles nautiques. La recherche d’un sous-marin, invisible depuis les satellites espions, dans des zones grandes comme trois fois la France, est affaire de méthode, de patience et de chance. Il faut d’abord faire des hypothèses sur l’ennemi, se concentrer sur ses zones de patrouille habituelles, raisonner comme lui en imaginant le but de sa mission. Mettre la carte à l’envers peut parfois être utile ! La problématique se résout en réunissant des moyens de lutte sous la mer complémentaires, dans une zone restreinte de l’océan, le temps de la réalisation de la mission : le sous-marin d’attaque offre l’avantage de la discrétion et de l’endurance avec ses senseurs passifs et sa propulsion nucléaire ; l’avion de patrouille maritime possède la vitesse et des capacités multiples, actives ou passives, de pistage ou d’attaque ; la frégate, notamment les fremm françaises de type Aquitaine, met en œuvre des sonars actifs modernes et avec son hélicoptère embarqué nh90, équipé d’un sonar trempé, forme un couple redoutable dans la lutte anti-sous-marine. Acculé face à une telle Task Force, le sous-marin adverse n’a plus qu’une solution : fuir… Et revenir quelques semaines plus tard dans une autre portion de l’océan pour tester à nouveau le dispositif.

  • Un espace d’intervention

La mer, particulièrement sous la surface, est un espace d’intervention qui peut être qualifié de stratégique au regard des rapports de force entre grandes puissances qui s’y expriment et de la liberté d’action qui le caractérise. En ce début de xxie siècle, le snle et les porte-avions sont confirmés dans leur rôle de Capital Ships. Autour de ces deux piliers, les flottes sous-marines ont une importance déterminante par la variété de leurs missions : dissuasion nucléaire, renseignement, intégration dans une Task Force, déploiement de forces spéciales et frappes contre terre. Les traits de caractère communs à toutes ces opérations sont résumés par les principes suivants : liberté, impunité, secret.

En France, la dissuasion nucléaire est en partie portée par la Force océanique stratégique et ses quatre snle armés de missiles balistiques m51.2 équipés de têtes nucléaires océaniques. Les avantages essentiels de cette composante des forces stratégiques sont la permanence à la mer, la discrétion, l’invulnérabilité et la capacité de frappe en second. En effet, au moins un snle patrouille depuis 1972 au fond des océans, prêt à exécuter l’ordre de tir donné directement par le président de la République. La crédibilité de cette posture est la clé pour dissuader un adversaire potentiel, et pour préserver la paix et la voix de la France. Pour accomplir sa mission, le commandant du snle doit pouvoir bénéficier d’une liberté de manœuvre la plus grande possible et être informé de la situation tactique à l’échelle de l’océan. Ainsi, tous les moyens qui concourent à améliorer sa perception de l’espace sous-marin sont employés : les sous-marins d’attaque qui se portent au plus près des menaces, les frégates anti-sous-marines et les avions de patrouille maritime qui, par leurs sonars actifs, dressent des barrages pour repousser l’adversaire, les chasseurs de mines qui garantissent le déminage des chenaux d’accès à l’île Longue, port-base des snle. Ensuite, son appréciation de la situation et sa manœuvre de dilution sont entièrement autonomes, façonnées par des années d’expérience des opérations sous-marines.

La liberté d’action du porte-avions Charles de Gaulle est un deuxième enjeu fort pour les forces de lutte sous la mer. Pour le sous-marin d’attaque, la première difficulté à résoudre est celle de l’intégration dans une Task Force, qui n’est maîtrisée que depuis la fin des années 1990. Elle avait été envisagée depuis l’invention des sous-marins, mais toujours écartée en raison des difficultés de transmission, de mobilité des submersibles diesel et des risques de méprise avec un bâtiment ennemi en cas de contact sonar par les escorteurs de surface. Les communications par satellite, la propulsion nucléaire, l’établissement de procédures de coordination ont permis d’intégrer un sna au sein d’un groupe aéronaval ou aéromaritime et de renforcer ainsi la protection d’une High Value Unit.

La discontinuité des communications entre le sous-marin et la force demeure une spécificité nécessitant une adaptation du Command and Control. En effet, les ondes radio ne pénétrant pas dans l’eau, le sous-marin ne communique que ponctuellement. Les ordres doivent lui être donnés en tenant compte de ce manque d’immédiateté des comptes rendus. Cette autonomie impose un niveau de délégation élevé ainsi qu’une confiance personnelle entre le commandant du sous-marin et le commandant de la force.

Un exemple d’opération intégrée d’un sna est l’opération Harmattan au large de la Libye en 2011. Si le Charles de Gaulle puis le Tonnerre et le Mistral représentaient la partie visible du dispositif, le Rubis, l’Améthyste et le Saphir se sont relayés pour être les oreilles et les yeux de la force, recueillant du renseignement sur les activités militaires le long des côtes et à proximité des ports de Syrte, Misrata et Tripoli, principales bases de la petite flotte libyenne. L’objectif principal du sna a évolué au cours de la campagne : au début, il s’agissait de détecter un éventuel appareillage des forces navales libyennes, armées notamment de patrouilleurs lance-missiles. Puis, lorsque celles-ci ont été détruites, de se renseigner sur la situation des insurgés lors des raids d’hélicoptères de l’aviation légère de l’armée de terre (alat) embarqués à bord des porte-hélicoptères amphibies.

Enfin, les opérations spéciales constituent un volet différent des missions des sna. Par essence secrètes, elles consistent à partager avec les forces spéciales les avantages de l’allonge du sous-marin pour se déployer discrètement dans des zones inaccessibles pour d’autres vecteurs. La navigation en plongée dans les détroits resserrés progresse et les principales zones de crise sont aujourd’hui atteignables depuis un sna en immersion. Les modes d’action ne peuvent évidemment pas être détaillés ici, mais il faut savoir que la vie à bord doit être adaptée pour recevoir les commandos et leur matériel. L’exemple le plus extraordinaire d’aménagement de l’espace a été l’embarquement par le Casabianca du commandant L’Herminier de cent neuf commandos du Bataillon de choc afin de les débarquer à Ajaccio le 14 septembre 1943. Depuis cet épisode, les techniques ont évolué, mais l’espace disponible n’a pas augmenté. L’emport d’un hangar de pont à bord des futurs sous-marins d’attaque de la classe Suffren permettra d’augmenter la capacité d’action. Le tir de missiles de croisière naval sera une autre capacité nouvelle de ces bâtiments. Cette arme, employée à de nombreuses reprises par les sous-marins d’attaque américains lors des deux guerres du Golfe, au Kosovo, en Libye et dernièrement en Syrie, permettra de mener des frappes contre terre sous faible préavis et en toute impunité.

L’espace sous-marin est le lieu d’une triple aventure. Une aventure technique nécessitant de dépasser les principes fondamentaux de la physique qui rendent l’espace sous-marin si peu familier aux hommes. Une aventure opérationnelle pour profiter de la liberté et de l’impunité que confère la troisième dimension afin d’y conduire des missions secrètes. Une aventure humaine enfin, car les équipages de sous-marins ont du caractère, qu’ils puisent, selon les termes du commandant L’Herminier, « dans la stricte discipline de la plongée, dans la confiance réciproque illimitée des hommes et dans l’insouciante gaieté conservée au milieu des hasards de la guerre ».

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