N°47 | Le secret

Caroline Muller

Imaginaires et pratiques d’un secret professionnel : la confession au xixe siècle

Travailler sur la confession catholique a longtemps été considéré comme un problème insoluble par les historiens, pour deux raisons : le caractère oral de cette pratique, qui met en scène un dialogue entre le confesseur et le pénitent, et le secret inviolable et canonique qui protège l’échange1. C’est cette question que cet article se propose d’examiner : le secret de la confession comme objet d’histoire entre 1810 (date du Code pénal impérial, qui définit les secrets professionnels) et 1905 (loi de séparation des Églises et de l’État, qui modifie le statut des prêtres catholiques au regard de la loi). En un siècle perçu, parfois trop uniformément, comme celui du recul des pratiques catholiques et de la laïcisation des lois et des services publics (1881-1882), comment ce secret est-il envisagé par le législateur et quelles en sont les conséquences judiciaires ? Le secret de la confession, en tant que secret professionnel, a attiré l’attention de nombreux observateurs : les juristes, les médecins, les journalistes des rubriques faits divers et justice, les romanciers et autres dramaturges. Si le cadre de ce travail est trop étroit pour proposer une étude exhaustive de la question, je voudrais suggérer quelques pistes de réflexion à partir du dépouillement d’un corpus composé de sources de presse généraliste et juridique2, puisqu’il n’existe pas d’étude exhaustive et fouillée de l’histoire de l’ensemble des secrets professionnels en France au xixe siècle – encore moins sur le secret de la confession.

  • Un secret professionnel reconnu par le droit français à partir de 1810

L’Empire est marqué par une intense activité législative, qui débouche sur la production de deux textes majeurs composant l’armature du droit français tout au long du xixe siècle : le Code civil (1804) et le Code pénal (1810). Contrairement au premier Code pénal rédigé en 1791, la version de 1810 intègre un article dédié au secret professionnel. L’article 378 prévoit ainsi que « les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou profession ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront punis d’un emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de cinq cents à quinze mille francs ». Rien n’est dit cependant des avocats ou encore des confesseurs, qui font rapidement l’objet d’une dense jurisprudence. La première est celle dite « Laveine » (30 novembre 1810), du nom d’un prêtre ayant refusé de répondre à un juge, qui étend aux prêtres catholiques l’application de l’article 3783. Sa logique repose sur l’idée que l’État, en régime de Concordat, protège les cultes ; remettre en cause l’inviolabilité de la confession en soumettant les confesseurs aux juges « nuirait essentiellement à la pratique de cet acte dans la religion catholique ». Cette jurisprudence est confirmée à plusieurs reprises ensuite et semble faire consensus4.

Le secret de la confession s’impose progressivement comme référentiel pour les autres secrets professionnels, tout du moins dans les discussions lisibles dans la littérature spécialisée (revues de médecine et de droit). Certains attaquent le secret médical en rappelant que, contrairement à celui des avocats (justice) et celui des confessions (liberté religieuse), il ne protège que des intérêts privés qui ne sont pas explicitement intégrés dans le droit public. D’autres, au contraire, insistent sur la continuité entre le secret de la confession et les autres secrets, en particulier lorsque les médecins défendent leur droit à taire ce qu’ils savent des corps à la veille des mariages, connaissance parfois partagée avec le confesseur5.

La jurisprudence doit cependant lever une autre difficulté au fil du siècle : comment savoir ce qui relève ou non du secret de la confession dans l’échange avec un prêtre ? Les juges adoptent alors une position maximaliste, refusant, avec les prêtres, de chercher à distinguer ce qui relève du sacrement proprement dit (la confession) du conseil et de la confidence spirituelle plus générale (la direction de conscience). En raison du secret de la confession, les prêtres sont donc les grands absents des procès puisqu’ils ne peuvent témoigner, mais aussi les derniers présents dans la chaîne judiciaire puisqu’ils sont chargés d’accompagner les condamnés à l’échafaud6. Ce droit au silence est vivement attaqué par les milieux anticléricaux et radicaux.

  • Un secret dangereux ? Lectures politiques et anticléricales

La confession et la direction de conscience, en particulier menées par les jésuites, font l’objet d’une attaque structurée et systématique de Jules Michelet dans Du Prêtre, de la femme, de la famille (1845). Son argumentaire réactive d’anciens motifs anticléricaux qu’il intègre à la présentation d’un système complet dont l’effet serait d’asservir les femmes, de détruire les familles et de débaucher les confesseurs. L’attaque du secret est au cœur de sa rhétorique7 et le préoccupe à deux titres : pour lui, les confidences des pénitentes à leur confesseur suscitent une intimité dangereuse entre les protagonistes, ce qui conduit à une concurrence avec la relation conjugale – le mari n’ayant aucun moyen de savoir ce qui se joue dans l’échange avec le confesseur. L’ouvrage est rapidement diffusé et ses motifs sont déclinés à l’envi par une littérature anticléricale qui compose des feuilletons scandaleux, des pamphlets ou encore des caricatures dont le pivot narratif est le secret, présenté comme le verrou de la débauche et de la manipulation. La Calotte écrit ainsi que « leur police secrète est la confession. Ils se drapent dans leur célibat pour abuser de nos femmes et violer nos enfants »8.

D’autres attaques émergent à la fin du siècle, au moment de l’extension du suffrage à tous les hommes (1870). Le clergé est accusé à plusieurs reprises de détourner le secret de la confession pour manipuler les votes et de participer ainsi à une fraude électorale dans les régions les plus catholiques. La question est discutée avec vivacité à la Chambre des députés le 13 juillet 18769 alors que l’élection d’Albert de Mun est contestée dans l’arrondissement de Pontivy (Morbihan). Le clergé est accusé d’avoir usé de son influence au confessionnal en vue de pousser la population à voter pour ce candidat. Albert de Mun démonte alors méthodiquement le rapport à charge de la commission d’enquête, soulignant en particulier que les confesseurs ne sont pas en mesure de se défendre puisqu’où il leur est impossible d’évoquer les conversations tenues au confessionnal10. L’élection est finalement validée en raison de la faiblesse des accusations. Que ce soit dans l’accusation de débauche ou dans celle de fraude électorale, il est à noter que les détracteurs proposent une lecture genrée et conjugale du secret de la confession : d’un côté des épouses faibles échappant au contrôle de leur mari, de l’autre des femmes d’électeurs hostiles à de Mun à qui l’on aurait refusé l’absolution. La presse anticléricale relaie aussi les faits divers mettant en scène des confesseurs profitant du secret pour escroquer leurs pénitents ou encore des cas de trahison du secret11. À rebours de ces représentations, l’ensemble documentaire montre pourtant que le secret de la confession a été particulièrement bien défendu sur le terrain.

  • La protection du secret de la confession, du tribunal à l’imaginaire collectif

L’examen de la littérature juridique comme de la presse généraliste sur l’ensemble du siècle montre à quel point les confesseurs ont le souci, chaque fois qu’ils sont appelés à témoigner, de rappeler leur situation particulière et leur droit au silence. Les récits de violation du secret sont extrêmement rares12. Les recueils de jurisprudence mettent en scène des juges insistants et des prêtres résistants, préférant la condamnation (à l’amende ou à la prison) à la révélation du secret. La présence même de ces cas dans ces recueils indique cependant qu’ils ont dû faire respecter les dispositions de 1810 en faisant régulièrement appel des premières décisions de justice. Cette situation spécifique au regard de la justice apparaît bien connue par des voleurs et voleuses à qui il arrive, se sachant protégés par le secret, de faire restituer les biens dérobés par le biais d’un confesseur : ce schéma est récurrent dans les faits divers et chroniques de procès13.

La presse catholique combat de son côté les représentations anticléricales en diffusant les récits de prêtres « martyrs de la confession » ayant préféré la mort ou l’exil à la trahison du secret. Les mêmes histoires se retrouvent à des années d’intervalle, parfois à peine retouchées : par exemple, l’histoire d’un prêtre ayant endossé la responsabilité d’un crime commis par un sacristain – le meurtre et le vol d’une vieille dame – que l’on retrouve dans différentes publications14. Un article intitulé « Un cœur de prêtre » conte l’histoire de l’abbé Dumoulin, d’Aix-en-Provence, qui rentre du bagne de Nouméa après que son sacristain a finalement avoué être le responsable du crime, trois ans après la condamnation de son abbé à la déportation perpétuelle.

Ce potentiel dramatique du secret de la confession est exploité par les dramaturges et les auteurs de feuilletons, qui font des confesseurs des personnages utiles pour nouer leurs intrigues. On trouve ainsi des comptes rendus de spectacles et de livres dont l’histoire repose sur ce secret, comme Nos deux consciences (1902) ou Pour les autres (1906). Dans Nos deux consciences, le père Fenaille, paysan, est assassiné par un menuisier ; tandis que les investigations judiciaires se poursuivent, l’épouse du meurtrier confesse au père Piou que le responsable du crime est son mari. Le père Piou, dans une savante machination orchestrée par le meurtrier, se retrouve accusé du meurtre et condamné à mort, refusant de se défendre et de trahir le secret confié par la femme. À la dernière minute, l’assassin confesse son crime et le prêtre échappe à la mort. Pour les autres repose sur le même type d’intrigue : « Lié par le secret sacramentel, le prêtre ne peut rien dire, il se laisse donc arrêter, juger et condamner à mort, malgré les larmes de son père qu’un pareil malheur a rendu fou. »

Le feuilleton n’est pas en reste et est moins univoque que la presse catholique. Dans « Le curé Chambard », feuilleton du Petit Journal, le curé est menacé de torture à l’huile bouillante par deux enfants qui cherchent le meurtrier de leur père ; sous la torture, il brise le secret15 et donne les détails de la confession du meurtrier, avant de perdre connaissance, épouvanté d’avoir brisé son serment. Il faut ajouter à cela toute une culture de l’anecdote, de la plaisanterie ou de l’historiette « de confession » dont le secret est un ressort. La même anecdote, certainement fausse et destinée à amuser le lectorat, se retrouve ainsi dans une dizaine de journaux sur plusieurs années : « Au dessert, en province, on cherchait à arracher au curé de l’endroit quelques secrets de confession. Tout ce que je puis vous révéler, dit-il, c’est que ma première pénitente avait joliment trompé son mari. Un moment après, entre une dame, avec son mari. Ah ! monsieur l’abbé, s’écrie-t-elle, je suis bien heureuse de vous revoir, car, vous le savez, j’ai été votre première pénitente. » Ces lignes sont reprises à l’identique par des journaux d’orientation très différente : Le Figaro (1884), Le Petit Parisien (1884), Le Radical (1884), Le Cri du peuple (1884) ou encore l’Intransigeant (1885). Cette récurrence témoigne d’une forme de culture de l’« anecdote de confession » qui dépasse les clivages politiques et religieux.

Cette traversée de la presse généraliste et spécialisée offre au total des aperçus de la perception du secret de la confession dans différents univers : celui des juristes, des médecins et avocats, qui en font la pierre de touche de la défense de leurs prérogatives professionnelles ; celui du clergé et des pénitents, qui sont très attachés à ce secret et savent, pour certains, en tirer profit ; celui des voix anticléricales et libres-penseuses qui, attaquant le secret, trouvent en face d’elles des contre-représentations diffusées par la presse catholique. Ce secret si bien gardé suscite ainsi une fascination bien attestée par la récurrence de la question dans la presse du xixe siècle.

1 Voir l’introduction de Groupe de la Bussière, Pratiques de la confession, des pères du désert à Vatican II, Paris, Le Cerf, 1983 ; voir mon propre état de la question dans C. Muller, « Ce que confessent les journaux intimes : un nouveau regard sur la confession (France, xixe siècle) », Circé. Histoire, savoirs, sociétés, 4, 2014.

2 Le corpus a été composé à partir de la requête « secret » et « confession » de Gallica, en triant uniquement les résultats de presse et en restreignant les résultats de requête aux extraits plaçant les deux termes à moins de soixante mots d’intervalle, sur la période 1810 à 1910 – et en éliminant la confusion de la reconnaissance optique de caractère entre « confession » et « concession ». Bien que Gallica ne propose évidemment pas l’ensemble de la presse numérisée, cela a permis d’aboutir à l’analyse d’environ deux cents extraits, en conservant uniquement ceux qui concernaient le secret de la confession sous l’angle professionnel et judiciaire (récits de procès, faits divers, jurisprudence, feuilletons mettant en scène des confesseurs devant la justice…).

3 Journal des audiences de la Cour de cassation, ou Recueil des arrêts de cette cour, en matière civile et mixte, 1811, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k426013d.

4 Revue pratique de droit français. Jurisprudence, doctrine, législation, 1868, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5488599h, pp. 408-443.

5 L’Abeille médicale. Revue des journaux et des ouvrages de médecine, de chirurgie, de pharmacie, 1863, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k96217061.

6 Voir par exemple le récit d’exécution du dénommé Gamahut, dit « Champion », dans La Nation du 25 avril 1885, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24479971.

7 Voir A. Corbin, « Coulisses », in Ph. Ariès et G. Duby (dir.), Histoire de la vie privée. T. IV, De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Le Seuil, « Points », pp. 467-469.

8 La Calotte, 24 octobre 1897, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6268573f.

9 Annales du Sénat et de la Chambre des députés, 13 juillet 1876, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6571299g.

10 Ibid., « Qu’est-ce, en effet, qu’une accusation dont on ne peut faire la preuve ? Et comment cette preuve peut-elle se faire, quand le principal accusé ne peut être entendu ni dans ses aveux ni dans sa défense ? ».

11 La Lutte sociale de Seine-et-Oise et des cantons de Pantin et Noisy-le-Sec. Organe de la Fédération socialiste révolutionnaire de Seine-et-Oise, 17 août 1901, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63905872.

12 Deux dans l’ensemble du corpus, dont l’une qui concerne une affaire politiquement sensible, celle de l’attitude du père du Lac dans l’affaire des fiches (1904).

13 Voir par exemple Le Courrier de la Rochelle. Journal politique, littéraire et d’annonces, 26 janvier 1859, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1140007d.

14 Le Petit Blésois, 29 décembre 1892 ; l’Almanach catholique de Roubaix, 1897.

15 Le Petit Journal, 17 décembre 1863, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k588430d.

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