N°4 | Mutations et invariants – II

Benoît Durieux

Le soldat et le policier

Depuis le 14 juillet 1996, les gardiens de la paix défilent sur les Champs-Élysées, ainsi associés aux côtés des militaires à l’hommage rituel que se rendent mutuellement chaque année la nation et son armée. Le symbole est fort et vient à l’appui des affirmations de beaucoup d’observateurs qui soulignent à l’envi la disparition des frontières et l’interpénétration des menaces internes et externes.

Un nombre croissant de voix se font entendre pour aller vers un rapprochement des institutions militaires et policières au sein de structures plus englobantes dédiées à la sécurité. De fait, la présence des uniformes camouflés est devenue familière dans les gares et aéroports de notre pays et, parallèlement, les forces de police contribuent non sans mérite ni efficacité aux opérations de maintien de la paix. L’interpénétration des groupes terroristes et criminels, comme leur caractère transnational, appelle à l’évidence une réponse conjointe de l’ensemble des agences de renseignement. Enfin, sur un plan plus conceptuel, on peut en effet s’interroger sur la réelle distinction à opérer entre des organismes qui tous sont dépositaires au nom de l’État de l’exercice de la violence légitime.

Pour autant, un grand nombre des affirmations précédentes mériteraient d’être largement pondérées par quelques constats d’évidence aussi forte que ceux qui viennent d’être faits. Il faut d’abord avoir peu voyagé pour soutenir que la menace est la même à Paris ou en Beauce qu’à Lagos ou dans le sud afghan. À rebours de nombreux effets de manche, l’interne et l’externe ont toujours un sens, même s’ils sont, aujourd’hui comme hier, liés par des relations d’interdépendance. Ensuite, décréter la fin de la distinction entre policiers et militaires irait à l’encontre d’une longue maturation qui historiquement a abouti à distinguer les deux fonctions. Depuis le Moyen Âge, les institutions militaires européennes ont en effet été progressivement dessaisies de la responsabilité du maintien de l’ordre interne au profit de forces spécialisées, au fur et à mesure de l’affirmation de l’autorité de l’État sur son territoire. L’histoire de la gendarmerie nationale française témoigne de ce partage progressif des compétences ; l’un des derniers épisodes de ce dessaisissement vit en 1921 la création des compagnies de gendarmerie mobile après les problèmes posés par l’engagement de forces militaires pour réprimer les émeutes du début du siècle. Certes, on ne peut exclure d’un point de vue logique que nous assistions en effet à un point d’inflexion historique majeur, marqué par le dépérissement de la nation, comme le suggère Pierre Manent1, et donc de l’État qui l’accompagne. Il y a pourtant lieu de s’interroger sur la réalité d’une mutation si brutale qu’elle exigerait de défaire en quelques années ce que plusieurs siècles ont permis de mettre en place.

Aucune réponse simple ne saurait être apportée à ce paradoxe. En revanche, une certaine clarification des idées est sans doute indispensable. Il est utile de rappeler l’irréductible différence qui sépare les logiques militaires et les logiques policières. Il est tout aussi utile de mettre en évidence leur non moins inéluctable continuité. Il est alors possible d’envisager les conditions de leur complémentarité.

  • Des logiques inconciliables…

La première différence qui vient à l’esprit dès lors que l’on réfléchit à ce qui distingue policiers et militaires est celle des régimes juridiques et moraux qui gouvernent leurs actions. Tout citoyen est réputé avoir adhéré au contrat social qui sert de fondement à la société au sein de laquelle il évolue. Aussitôt, apparaît une asymétrie morale entre le policier, qui représente la force de la loi votée en vue du bien commun, et le hors-la-loi, qui enfreint une règle dont il est lui-même l’auteur. « Tout malfaiteur, attaquant le droit social, devient par ses forfaits rebelle et traître à sa patrie », pensait Rousseau. Inversement, le soldat ne porte pas de jugement de valeur sur son adversaire, que des siècles d’éthique militaire occidentale lui ont peu à peu conduit à respecter, voire à magnifier. La tradition des honneurs de la guerre rend compte de cette relation particulière. Aussi la violence dont le soldat use contre son adversaire n’a-t-elle pas pour fondement direct la faute de ce dernier. Au contraire, le fait d’accepter le combat reconnaît une certaine symétrie morale entre les belligérants. D’une part, en utilisant la violence létale contre un adversaire non coupable, le soldat reconnaît à ce dernier le droit de risquer sa vie au nom des idées qu’il défend. D’autre part, en risquant lui-même la sienne, il entend signifier que ses propres convictions sont de valeur au moins égale. Il faut souligner que ces principes ne sont pas exclusifs de la reconnaissance d’une faute de l’autorité politique qui a ordonné la guerre.

Cette notion de symétrie morale propre au monde militaire est fondamentale quel que soit son caractère relatif dans la réalité. Elle apparaît en effet comme le fondement de la caractéristique essentielle de l’action militaire, celle d’être une « négociation par d’autres moyens », pour paraphraser Clausewitz, ou encore de s’inscrire dans la « dialectique des volontés utilisant la force pour résoudre leur conflit », suivant la définition que le général Beaufre donnait de la stratégie. Cette capacité de négociation est elle-même la garante d’une possibilité de limitation de la violence employée. Si le chef militaire se fixe un but au début de cette négociation, ce but sera rarement atteint intégralement, et le règlement définitif sera très généralement un compromis entre les buts initiaux des deux adversaires. Le caractère distinctif de ce compromis est d’être accepté par les deux belligérants ; Lawrence Freedman remarque que c’est le trait propre de la coercition que « la cible [d’une action de coercition] n’est jamais privée de la possibilité de choisir2 ». L’utilisateur de la violence militaire peut donc à tout moment arrêter le combat s’il estime que les résultats déjà obtenus sont suffisants et que les gains encore possibles ne justifient pas de poursuivre la lutte. Le policier est à l’évidence dans une situation radicalement différente. Il ne peut en aucun cas accorder au hors-la-loi un compromis quant à la lettre de la loi qu’il applique. Lorsqu’il est amené à utiliser la violence, s’il peut certes l’adapter à la personne en cause, il doit aussi utiliser toute celle qui est nécessaire pour assurer le respect de la loi.

L’exposé qui précède peut paraître assez théorique. Il n’en est rien. L’auteur de ces lignes en a fait l’expérience au printemps 1995 dans le cadre de la mission de l’onu en Bosnie, à laquelle il participait comme commandant de compagnie responsable d’un secteur de la ville de Sarajevo déchirée par l’affrontement bosno-serbe. Ce type de mission consiste en une alternance permanente de négociations et d’actions de forces, que celles-ci soient réelles ou qu’elles en restent à l’état de menace. Mais ces négociations, pour conserver une chance d’aboutir, doivent s’interdire toute diabolisation de la partie adverse. Son assimilation explicite à un groupe délinquant susceptible de subir les rigueurs de la justice ne peut qu’aboutir à une radicalisation à tous égards dommageable. Inversement, la référence aux notions d’honneur militaire peut, lorsqu’elle s’adresse à un chef paramilitaire qui prétend à la légitimité d’une armée étatique, fournir le point commun à partir duquel la négociation pourra se poursuivre.

La distinction ainsi mise en évidence entre logique policière et logique militaire a des conséquences importantes sur les modalités très concrètes d’actions par lesquelles ces deux logiques se traduisent. Fondamentalement, l’affrontement militaire implique l’usage d’une violence collective. Ainsi, la violence létale est employée par le soldat indifféremment contre tout combattant adverse, que celui-ci soit un opérateur radio inoffensif par lui-même ou le servant d’une arme meurtrière. Il résulte directement de cette « collectivisation » de la violence employée par les militaires que celle-ci puisse être qualifiée de proactive, tant dans le choix de ses cibles que dans la graduation de son intensité : sur le champ de bataille, le soldat utilise a priori une violence létale contre un individu qui ne le menace pas toujours directement, pour éviter que celui-ci ne vienne par la suite mettre un autre membre de sa propre unité en danger. Naturellement, le domaine d’application de ce qui pourrait être appelé une « légitime défense collective » doit être restreint, à la fois dans le temps – ce fut l’origine de la déclaration de guerre – et dans l’espace – c’est l’une des raisons de la notion de champ de bataille. Inversement, faut-il le remarquer, le policier utilise la violence de façon à la fois réactive et individualisée, puisqu’il n’a recours à cette extrémité qu’en fonction d’une atteinte à la loi, effective ou imminente, et qu’il doit limiter cette violence à ce qui est strictement nécessaire contre la seule personne en cause. Cette distinction rejoint celle des réalités désignées sous les vocables de défense et de sécurité. La défense est une notion à la fois collective et objective ; il y a un objet à défendre, territoire, régime politique ou liberté fondamentale. La sécurité se définit en revanche par l’« état d’esprit tranquille et confiant d’une personne qui se croit à l’abri du danger3 ». C’est dire que la sécurité est une notion subjective et individuelle, et relève donc de la logique de l’action de police.

On mesure alors la difficulté, voire le risque, qu’il y a à prétendre confondre les deux logiques. La tendance naturelle est d’aller vers le pire des deux mondes. La violence létale, exercée sans possibilité d’issue négociée contre un adversaire considéré a priori comme coupable, fera irrésistiblement penser à une sorte de peine de mort collective, et cette tendance est suffisamment illustrée dans certains conflits actuels pour qu’il soit utile d’insister. Cette remarque renvoie à la difficulté essentielle d’appréhension de l’action militaire, qui est d’une part « continuation de la politique par d’autres moyens » – et en tant que telle étroitement liée aux modalités non militaires de gestion d’une crise – et d’autre part usage d’un moyen absolument spécifique, l’usage de la violence physique. Par ailleurs, il est des cas où la logique policière s’impose, ainsi face au terrorisme. Mélanger les deux logiques présente le risque non négligeable de faire bénéficier le terrorisme de la légitimité traditionnellement associée aux institutions militaires.

  • Des situations indissociables…

Pourtant, à la clarté théorique de cette distinction des deux logiques, répond l’indubitable interpénétration des situations relevant de l’une ou de l’autre, tant la déclaration de guerre ou la définition d’un champ de bataille limité appartiennent au passé. Cette interpénétration a plusieurs dimensions.

La première est temporelle. Dans les opérations actuelles les plus fréquentes, à une phase initiale de combats obéissant à la logique militaire décrite précédemment succède une phase de stabilisation progressive qui verra à terme une force de police classique assurer le respect de l’ordre public. Dans la situation qui prévaut avant la prise en charge de l’ordre par cette force de police civile, comme plus largement dans de nombreux cas où une force de maintien de la paix intervient dans un État failli, l’absence de forces de police se traduit par une insécurité dont la population rend responsable la force, ce qui contribue à créer les possibilités d’une insurrection. La force militaire est donc nécessairement responsable du maintien de l’ordre public. En somme, au paradigme d’affrontement des États, et donc de leurs forces armées, semble avoir succédé celui de la substitution des États, dans lequel les forces de celui qui arrive doivent assumer progressivement mais simultanément l’ensemble des tâches régaliennes de celui qui disparaît.

L’interpénétration des situations relevant des logiques policière ou militaire a aussi une dimension spatiale. Elle tient à la variété des situations qui peuvent prévaloir simultanément sur les différentes régions d’un territoire. Il est donc souvent difficile de définir de manière rigoureuse les régimes juridiques en fonction de la situation sécuritaire dans une zone donnée à un moment donné.

Enfin, la distinction entre une situation relevant d’une logique militaire et celle qui relève d’une logique policière peut-être difficile à apprécier. En effet, le caractère collectif de la violence militaire entraîne le corollaire suivant : toute action violente qui a pour objet le contrôle d’un espace physique, qu’il soit terrestre, aérien ou maritime, qu’il s’agisse de le conquérir ou de le défendre, est une action à caractère militaire, puisqu’elle ne saurait être le fait d’un seul. Si donc, sur un territoire donné, chacun des individus qui l’habitent refuse de se plier à l’ordre légal jusqu’à recourir à la violence, on doit convenir qu’il s’agit là d’une contestation politique de l’ordre établi et donc d’une violence de type militaire, alors même que la violence employée par chacun est restée individuelle et non concertée. Si, en revanche, seuls quelques individus décident ensemble de contrevenir aux lois de manière violente, on reste évidemment dans le domaine policier. La question du seuil séparant les deux situations est délicate.

Face à ces difficultés, deux remarques s’imposent. D’abord, loin d’être nouvelles et spécifiques de notre époque, elles renvoient à des précédents nombreux ; si l’exemple des guerres coloniales vient naturellement à l’esprit, il peut être aisément complété par d’autres, plus anciens, sous le Second comme sous le Premier Empire, voire sous la monarchie. À titre d’exemple, la correspondance de Bonaparte en Italie illustre à quel point le jeune général dut conjuguer son action spécifiquement militaire avec des mesures de tous ordres pour administrer les territoires sur lesquels il se trouvait, alors que l’insurrection y était quasi permanente. Il convient donc d’identifier les facteurs qui sont plus spécifiques de la période moderne, et qui sont sans doute à rechercher dans la sensibilité nouvelle de nos sociétés au droit et dans l’importance du fait médiatique. Ensuite, aucune solution parfaitement satisfaisante ne peut probablement être trouvée, et assurément pas dans le cadre de cet article.

  • L’impératif du réalisme

Pourtant, quelques observations sont possibles. À l’évidence, d’abord, on ne peut qu’être frappé par le paradoxe de la situation actuelle. Alors que le droit régit la plupart des domaines de la vie humaine, que les juridictions internationales se multiplient, les opérations se déroulent dans un cadre juridique assez théorique, voire surréaliste, dans lequel un tribunal français devrait connaître une action de combat impliquant des dizaines de talibans au fond d’une vallée afghane dont les accès sont au demeurant le plus souvent interdits4. Le cadre actuel présente le double risque d’inhiber la force et, on l’a vu, en amalgamant combattants et criminels, d’aboutir à une radicalisation des conflits. S’il ne peut être question ici de définir un tel cadre juridique pour les opérations extérieures, un certain nombre de principes peuvent être suggérés. Il devrait sans doute prévoir une graduation de sa rigueur, permettant de tirer parti de l’effet de seuil créé par la nécessité de passer d’un régime juridique à un autre. Cette graduation permettrait de réintroduire le droit dans la manœuvre stratégique. Le choix, la menace ou la promesse d’adoption d’un régime juridique donné peut en effet constituer pour le commandant d’opération un moyen important dans le cadre de la dialectique des volontés qui constitue l’essence de son action. Mais si le droit est ainsi mis au service de la force, la force peut aussi être mise au service du droit en permettant une marche progressive vers un régime stabilisé.

Par ailleurs, une réflexion est certainement nécessaire sur l’adaptation des forces. Un délicat équilibre doit sans doute être recherché entre spécialisation des unités et recouvrement des compétences. Le caractère irréconciliable des logiques policières et militaires suggère comme extrêmement difficile d’envisager qu’une même unité, qu’un même groupe humain, puisse selon les circonstances adopter l’une ou l’autre des postures, et impossible qu’il puisse simultanément agir selon les deux ordres. Pourtant, la réalité impose une solution de continuité permettant de faire face à tous les types de situation. La solution réside donc sans doute dans la répartition du « spectre » des attitudes entre différents types d’unités, ces différentes parties du spectre se recouvrant partiellement. Cela correspond d’ailleurs très largement à ce qui se pratique de manière explicite ou implicite aujourd’hui.

La gendarmerie fournit un exemple particulièrement emblématique de cette continuité. Sa composante départementale relève clairement de la logique policière suivant la définition proposée précédemment. Le cas de la composante mobile est différent. La mission de maintien de l’ordre face à des manifestants relève en revanche à l’évidence d’une logique militaire – même s’il est sain qu’elle ne soit pas remplie par des unités des armées – en tant qu’il s’agit d’un usage collectif de la force face à un groupe constitué dans le cadre d’une dialectique des volontés. Les manifestants ne seront généralement pas poursuivis, même s’ils exercent collectivement une pression contre un cordon de gendarmes mobiles déployés. De même, les gendarmes pourront être amenés à effectuer des charges, utilisant ainsi la force de façon proactive. En revanche, dans les rangs des gendarmes, un certain nombre d’hommes seront particulièrement chargés d’appréhender ceux des manifestants qui enfreindraient de manière plus nette la loi en utilisant une violence excessive. Ces hommes agissent en fonction d’une logique policière. Telle est donc la richesse de la gendarmerie que de pouvoir remplir des missions qui, si elles sont souvent liées dans l’espace et le temps, obéissent à des logiques différentes.

Au sein des armées, de même, certaines composantes ne sauraient agir que suivant une logique militaire, en raison de l’intensité de la force qu’elles ont pour mission d’employer, ainsi les unités d’artillerie. En revanche, d’autres unités sont couramment amenées à agir dans la frange entre opération militaire et opération de police. Le cas le plus emblématique de cette situation est celui du traditionnel point de contrôle routier, souvent mis en place à l’entrée des zones démilitarisées pour s’assurer notamment que les armes ne circulent pas. Cette mission comprend classiquement plusieurs composantes. La première voit des soldats fouiller les véhicules, et, en fonction des ordres reçus, prendre éventuellement des mesures contraignantes vis-à-vis de contrevenants à l’embargo qu’ils ont pour mission de faire appliquer. Il s’agit là d’une mission qui ressort de la logique policière, dans laquelle la force est utilisée de manière réactive, personnalisée et adaptée. La deuxième composante consiste au contraire généralement à protéger le point de contrôle contre toute forme de menace extérieure. Il s’agit là d’une logique militaire d’imposition au niveau local de la volonté de mettre en place ce point de contrôle. En fonction des règles d’engagement, la force utilisée pourra être proactive, collective et létale. Au sein d’une même unité, certains individus agissent donc suivant une logique policière, et d’autre selon une logique militaire.

Enfin, on l’a vu, il reste des situations dans lesquelles il est possible de décider laquelle des deux logiques, policière ou militaire, devra présider aux actions entreprises.

Cette décision devra naturellement tenir compte de ce qui distingue ces deux logiques. S’ils sont certes tous deux délégataires de la violence légitime, le policier et le soldat en font un emploi radicalement différent. Le premier protège le contrat social en ramenant son concitoyen à l’engagement qu’il a pris envers la société, alors que le second négocie avec un autrui dont il reconnaît le droit à choisir un autre contrat social.

La décision devra donc refléter une prise de position quant à la pertinence de cette distinction. Cette question se pose aujourd’hui tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières. À l’intérieur, la demande d’intervention militaire devient plus forte pour répondre à une exigence croissante de sécurité, et cela dans une mesure qui n’aurait pas été imaginable voici vingt ans. À l’extérieur, Pierre Manent a décrit la « passion de la ressemblance » qui requiert de voir toujours « l’autre comme le même5 ». Cette « passion de la ressemblance » entraîne très naturellement le sentiment qu’un seul ordre juridique devrait régir tous les humains, ce qui tend à concevoir chaque action militaire comme, en réalité, une action de police, ce dont témoignent suffisamment les vocables de « gendarmes internationaux » ou, dans les pays anglo-saxons, de constabulary units.

Face à cette apparente homogénéisation des situations, la distinction des actions propres du policier et du militaire possède incontestablement une vertu éthique. Des faits identiques gagnent à être traités différemment à l’intérieur ou à l’extérieur d’une frontière. Sur le territoire national, on aura certainement intérêt à adopter aussi largement que possible la logique policière, en considérant que la violence qui peut se répandre devra aussi longtemps que possible être considérée comme l’erreur individuelle d’un concitoyen demeuré attaché au contrat social. A contrario, l’adoption de la logique militaire à laquelle correspondrait l’emploi de la force armée introduirait la distinction ami-ennemi au sein de la communauté nationale, communauté qui, dès lors, n’en serait plus une.

À l’extérieur, en revanche, on s’attachera à reconnaître que l’altérité est un trait nécessaire de la politique qui, comme l’avait souligné Hannah Arendt « repose sur un fait : la pluralité humaine6 ». La posture militaire, qui est en fait une posture de négociation avec un autre à qui l’on reconnaît le droit à des choix politiques différents, est un moyen de la réaffirmation de cette pluralité. Parce qu’elle est en réalité respectueuse de la liberté d’autrui, parce qu’elle autorise la négociation politique, elle est facteur de paix. En définitive, l’existence des deux logiques policière et militaire, héritée de siècles d’une lente maturation, apparaît bien comme une richesse à faire fructifier.

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