L’album des 20 ans

Haïm Korsia

Faire mourir une part de sa vérité pour laisser une place à celle des autres

Vingt ans ! Vingt ans qu’Inflexions analyse, pense et participe aux débats de société en croisant les regards de civils et de militaires, deux sphères qui évoluent souvent de concert pour fonder une entité, notre monde. Le projet même de la revue était de pouvoir rapprocher l’armée et la nation, d’aborder les réflexions qui les traversent afin de pouvoir intelligemment transposer des modalités d’action ou des conseils de l’une vers l’autre, assurant ainsi des retours d’expérience particulièrement constructifs. L’idée de départ était bel et bien d’ancrer ces deux systèmes en les réunissant, pour encourager les interactions, chacun suivant son évolution propre, car les deux sont indiscutablement dépendants l’un de l’autre, l’armée étant constituée de femmes et d’hommes qui participent de la nation, tandis que la nation doit sa pérennité et sa sécurité à l’armée qui la protège et la défend. Si l’on a longtemps supposé qu’il existait un risque majeur de voir l’armée décrocher de la nation, c’est en fait plutôt l’inverse qui tendait à se produire, avec une nation qui s’éloignait inexorablement de l’armée.

Lorsqu’en 2006, le professeur Didier Sicard, alors président du Comité national d’éthique, a proposé à l’aumônier de l’armée de l’air que j’étais de rejoindre cette revue que venait de lancer l’armée de terre, c’est avec grand intérêt et fierté que j’ai accepté – je n’oublie pas que j’ai servi aussi sous l’uniforme « terre de France ». Depuis, j’ai eu l’immense privilège de participer à cette démarche d’intelligence collective et d’y faire des rencontres magiques, toutes différentes et uniques, tant elles étaient toutes adossées à une pratique éthique singulière de la guerre et de l’humain. Line Sourbier-Pinter puis Emmanuelle Rioux, Michel Goya, François Lecointre, Patrick Clervoy ou Jean-René Bachelet sont autant de personnalités hors norme avec lesquelles j’ai eu le bonheur d’échanger et de collaborer depuis mon entrée au comité, et qui ont su, avec talent, fédérer des individualités aussi différentes que complémentaires, avec toujours au cœur l’ambition de faire progresser la pensée. J’ai aussi une fonction secrète qui consiste à demander à tour de rôle à des représentants éclairés des cultes de réfléchir sur nos thèmes et à contribuer à notre revue.

Désormais un ancien du comité de rédaction, je mesure à quel point les questions abordées dans nos pages ont anticipé celles de la société. C’est comme si l’armée avait été en avant-garde de ce que vit celle-ci. Je pense notamment aux numéros consacrés à la judiciarisation des conflits, à l’engagement, aux valeurs et aux vertus, à la norme ou à la fraternité. L’expérience ultime des soldats permet en effet d’énoncer argumentations et réflexions que la pratique quotidienne de la société ne permet pas toujours de réaliser. Or, ce que l’on affirme dans la réalité de la dure vie au combat, on peut indubitablement le transposer dans la vie plus sereine de la société. C’est aussi valable pour l’humour, la confiance, l’échec, le secret, l’élévation, le patriotisme ou le sexe… autant de sujets auxquels nous avons consacré nos pages.

Peut-être est-ce là, au cœur du comité de rédaction, que j’ai compris qu’il fallait accepter de faire mourir une part de sa vérité pour laisser place à la vérité des autres, ce qui est le cœur du débat prolifique car honnête de chacune de nos réunions. Et je n’oublie pas le chocolat que je dévore aussi à chaque séance...

Cher lecteur, permettez-moi de vous encourager à partager et à diffuser la pensée d’Inflexions. À la revue, aux membres de son comité de rédaction et à tous ses contributeurs, je voudrais renouveler mes remerciements et ma gratitude d’avoir su conjuguer les univers, et de parvenir, jour après jour, depuis déjà vingt ans, à faire rayonner les enseignements des armées dans la vie civile. Puisse Inflexions continuer longtemps de nous faire réfléchir autour de thématiques incontournables pour la société, et contribuer à éclairer celles et ceux qui auront à conduire la destinée de la nation. Jusqu’à cent vingt ans, car ainsi est formulé le vœu de longévité dans la tradition juive.

Un lieu d’échange rare et préc... | D. Sicard
P. Clervoy | Anecdotes et contre-pieds...